Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №15/2007

Arts et culture

Lev GONDELMANS

Un papillon

Un papillon bleu est arrivé je ne sais d’où. Il a virevolté autour de la chambre, en faisant des petits arrêts auprès de chaque photo, il a dansé dans l’ombre vague de hoya et il a joué avec les rides de la lumière que projetait l’eau de l’aquarium sur le papier peint : restant toujours indifférent à la musique de ma flûte à bec. C’est quand j’ai cessé de jouer, qu’il a remarqué ma présence.

S’approchant peu à peu, il s’est dirigé vers moi, et ayant fait quelques cercles au-dessus de ma tête, il s’est assis sur mon épaule gauche. Je crois qu’il n’y avait rien d’attirant dans la chambre, aucune fleur, aucun objet coloré, et moi surtout, j’étais dans mon vieux pull-over gris, et pourtant, le papillon s’est posé sur mon épaule. Ne pouvant même pas tourner la tête, je restais dans une immobilité complète parce que sinon, j’aurais effarouché certainement mon visiteur avec le moindre mouvement. Alors, je le regardais du bout de mes yeux : deux ailes d’un indigo légèrement moucheté de pollen ne bougeaient presque pas, comme si le papillon, lui aussi, avait peur de moi, effrayé. La flûte à bec dans mes mains, étonnée par le silence brusque, moi, étonné par l’arrivée du papillon, et lui, fasciné par la lente chute de la poussière et par les battements de mon cœur, dont chacun devait lui sembler une secousse sismique.

Sans doute, c’était grâce à notre immobilité commune que j’ai compris son message : il était un souvenir. Pourtant, cela ne m’a guère étonné, parce que dans la mythologie celtique les papillons signifiaient les âmes des morts, et le souvenir, ce n’est qu’une âme du passé. En plus, Dagaz, ça a toujours été ma rune préférée, c’est pourquoi je n’avais jamais peur de donner la liberté à mes souvenirs.

D’habitude, les gens gardent leurs souvenirs jusqu’à la mort, en les tournant peu à peu en esclaves de leur présent. Ainsi ils se perdent.

Moi, par contre, je ne force jamais les souvenirs à venir, et ils le font quand ils veulent. Alors, ce jour-là, je voyais clairement que c’était un souvenir sous la forme du papillon.

Mais ce qui était étonnant, c’est que ce n’était pas un souvenir des événements qui s’étaient réellement passés. Cette fois-ci, ma mémoire m’avait envoyé la réminiscence d’un rêve que j’avais certainement fait, mais que j’avais dû oublier, peut-être même dès le réveil. Ça, c’était tout à fait étonnant parce que ce souvenir d’un rêve datant d’il y a bien longtemps, c’était encore plus étrange que de le revoir en dormant. Alors, je contemplais le papillon, mon souvenir bleu, mon rêve toujours inconnu, et je me demandais : Pourquoi est-il venu ?

D’où, de quelle époque ? De quoi s’agit-il ? Qui sont ces personnages ? Est-ce un rêve essentiel ou tout simplement une plaisanterie de ma mémoire, un caprice de mon subconscient ? En me perdant en conjectures, je me suis probablement perdu dans l’espace aussi, car à un certain moment j’ai remarqué qu’autour de moi, ce n’étaient plus les murs de la chambre, mais les arbres d’un verger abandonné. Le jour s’était transformé en crépuscule. La seule chose qui ait gardé sa forme, c’était le papillon sur mon épaule, et la flûte à bec qui était alors sur les pierres moussues. Cependant, tout à coup, le papillon a pris son envol, et la flûte a commencé à sonner par elle-même. C’est ainsi que pour la première fois dans ma vie je me suis trouvé dans mon rêve. Au-dessus de moi s’étendait le ciel du même bleu que celui des ailes du papillon, et dans son velours, le pollen des étoiles éparpillées brillait doucement.

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