Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №6/2008

Arts et culture

Jacques Brel, Ne me quitte pas (1959)

En 1999, un sondage établit que, pour un tiers de Français, Ne me quitte pas est sûrement l’une des chansons les plus célèbres de son temps, dans le monde entier.

img1

Ne me quitte pas a suscité d’innombrables commentaires, souvent contrastés. Édith Piaf disait, brutale : « Un homme ne devrait pas chanter des trucs comme ça ! » Brel lui-même affirmait qu’il ne l’aimait pas et la présentait, sans complaisance, comme « un hymne à la lâcheté des hommes. C’est jusqu’où un homme peut s’humilier. Je sais qu’évidemment ça peut faire plaisir aux femmes qui en déduisent, assez rapidement semble-t-il, que c’est une chanson d’amour. Et ça les réconforte ; et je comprends bien ça… »1

Après la mort de Brel, plusieurs femmes revendiquaient le triste honneur d’avoir inspiré Ne me quitte pas, le plus probable est qu’il s’agisse de Suzanne Gabriello, jeune chanteuse et présentatrice à l’Olympia.

Longtemps après, évoquant sa liaison avec Jacques Brel, à la fin des années 1950, Suzanne Gabriollo, aura fait ces confidences : « Je le regardais dormir ; mais qu’est-ce qu’il était laid ! »… Geste délicat…

Leur histoire durera cinq ans. Avec des moments de grande passion et des ruptures spectaculaires. Cinq ans pendant lesquelles tous les deux se joueront, à tour de rôle, le mauvais drame des amants pathétiques, qu’un destin a unis et qui vont de déchirures en réconciliations, semblant souffrir autant des unes que des autres.

1959. L’histoire d’amour est entrée dans sa phase terminale. Et les querelles se font plus douloureuses chaque fois. La rupture est longue et pénible…

Un dicton populaire dit qu’en amour le premier guéri est toujours le mieux guéri. Dans le cas présent, il est évident que Jacques est sorti de son histoire d’amour le cœur en cendres et à jamais meurtri. Il en souffre plus qu’il ne le montre. C’est alors qu’il écrit Ne me quitte pas, une chanson de rupture, de désespérance, des adieux… Parce que les mots qu’il crache, qu’il crie, qu’il chuchote, on ne peut les prononcer qu’en se quittant définitivement. Parce que c’est le comble du désespoir, de l’humilité, d’anéantissement - une agonie qui précède forcément la mort.

Mais au-delà de l’histoire personnelle, cette chanson a atteint en effet une dimension universelle. Comme souvent dans ses chansons, Brel utilise un processus de progression. Le personnage part d’une proposition, somme toute banale :

Oublier le temps
Des malentendus
Et le temps perdu


Et puis il passe aux promesses vaines, irréalistes et pathétiques :

Moi je t’offrirai
Des perles de pluie
Venues de pays
Où il ne pleut pas
Je creuserai la terre
Jusqu’après ma mort
Pour couvrir ton corps
D’or et de lumière….

Renonçant finalement à tout gage d’amour, d’affection ou simplement de tendresse, il finit par n’implorer plus que le droit de rester présent. Pas même comme un objet, comme une ombre :

Laisse-moi devenir
L’ombre de ton ombre
L’ombre de ta main
L’ombre de ton chien
Ne me quitte pas...

« On compose une chanson pour trois mots, disait Brel ; trois mots qui vous transpercent le cœur, un jour, on ne sait pourquoi. Pour ces trois mots on écrit un poème. On cherche des phrases qui les amènent, qui les encerclent. Ce qu’il y a d’important, ce sont ces trois mots ; le reste c’est le remplissage. »2

Dans son excellente biographie de Brel, Marc Robine décèle au moins deux influences littéraires : Dostoïevski (« Je ne te demanderai rien de plus […], ne me réponds rien, ne fais même pas attention à moi, laisse-moi seulement te regarder de mon coin, fais de moi ta chose, ton chien… » (Douce, extrait du Journal d’un écrivain, 1876) et Garcia Lorca : « Si tu es mon trésor caché/ Si tu es ma croix et mon chagrin mouillé/ Si je suis le chien de ta seigneurie/ Ne me laisse pas perdre ce que j’ai gagné », où se trouve tout à la fois l’idée de trésor, d’eau et de royauté, et toujours l’image servile du chien.

Jacques Brel disait souvent que cette chanson, même si elle n’était pas sa préférée, le hantait : « Elle me poursuit comme une femme… Au début, je l’ai chantée pendant des mois sans qu’elle ait le moindre succès. “Elle est belle mais ne correspond pas à ton répertoire”, me disait-on alors. Canetti (directeur du théâtre « Trois Baudets ») qui s’occupait de mes tournées, m’a proposé de la faire interpréter par Sacha Distel. J’ai accepté, mais pas lui ! » Distel a répondu à Canetti : « Mais Jacques Brel est fou… Chantée par lui, cette chanson sera éternelle, par moi – elle sera vite oubliée. »

On connaît la suite : cette chanson poursuit une immense carrière internationale avec des interprètes de tous pays. De Frank Sinatra à Nina Simone, Juliette Gréco, Dalida, Tom Jones et Johnny Hallyday, les reprises sont aussi nombreuses qu’inattendues. On en a des adaptations en hollandais, allemand, italien, espagnol, anglais, hébreu, suédois, danois, finnois, yougoslave, japonais, russe, etc. Brel, lui, l’a enregistrée en français et en flamand.

Ne me quitte pas
(1959)

Ne me quitte pas
Il faut oublier
Tout peut s’oublier
Qui s’enfuit déjà
Oublier le temps
Des malentendus
Et le temps perdu
À savoir comment
img2Oublier ces heures
Qui tuaient parfois
À coups de pourquoi
Le cœur du bonheur
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

Moi je t’offrirai
Des perles de pluie
Venues de pays
Où il ne pleut pas
Je creuserai la terre
Jusqu’après ma mort
Pour couvrir ton corps
D’or et de lumière
Je ferai un domaine
Où l’amour sera roi
Où l’amour sera loi
Où tu seras reine
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

img3Ne me quitte pas
Je t’inventerai
Des mots insensés
Que tu comprendras
Je te parlerai
De ces amants-là
Qui ont vu deux fois
Leurs cœurs s’embraser
Je te raconterai
L’histoire de ce roi
Mort de n’avoir pas
Pu te rencontrer
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

On a vu souvent
Rejaillir le feu
D’un ancien volcan
Qu’on croyait trop vieux
Il est paraît-il
Des terres brûlées
Donnant plus de blé
Qu’un meilleur avril
Et quand vient le soir
Pour qu’un ciel flamboie
Le rouge et le noir
Ne s’épousent-ils pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

Ne me quitte pas
Je ne vais plus pleurer
Je ne vais plus parler
Je me cacherai là
À te regarder
Danser et sourire
Et a t’écouter
Chanter et puis rire
Laisse-moi devenir
L’ombre de ton ombre
L’ombre de ta main
L’ombre de ton chien
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas


1 Dialogue de Jacques Brel avec Geneviève de Vilmorin, 1966

2 Propos recueillis par Pierre Barlatier

TopList