Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №10/2008

Arts et culture

« Le jour s’en va toujours trop tôt »
Sur les pas de Maurice Carême

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2008 voit le trentième anniversaire du départ de Maurice Carême. L’année passée, à Bruxelles, a paru le livre de Jeannine Burny pour laquelle il avait écrit son recueil de poèmes La Bien-aimée. Secrétaire du poète jusqu’à la mort de celui-ci, elle préside à présent la Fondation Maurice-Carême.

Jeannine Burny est vraiment infatigable. Toujours souriante, énergique et bienveillante, elle est partout : aux concours poétiques organisés par la Fondation Maurice Carême, à la décernation des prix littéraires, aux conférences scientifiques et aux rencontres avec les enfants. Elle écrit des lettres, donne mille coups de téléphone, récite des poèmes de « son cher Maurice », organise des visites guidées du musée et prépare des repas à de nombreux amis qui viennent du monde entier dans cette maison hospitalière. Poètes, traducteurs, journalistes, hommes de lettres y affluent, invités par Jeannine Burny, pour travailler et pour trouver de l’inspiration à côté de cette femme toujours jeune, toujours belle et toujours pleine de vie.

Jeannine Burny a 16 ans lorsqu’elle rencontre en 1941, lors d’un concours de diction, Maurice Carême. Il est membre du jury, elle présente sa première audition en public. Lorsqu’ils se lient deux ans plus tard, en 1943, ils n’imaginent pas ce que deviendra à partir de 1948 leur collaboration. Par-delà cet amour partagé qui les unit, la poésie devient la raison quotidienne de leur vie. Dès les premiers beaux jours, Maurice Carême part écrire dans la nature. L’été, il profite des mois de juillet et d’août pour réaliser de longues retraites poétiques d’abord à Orval de 1954 à 1970, puis à travers la France de 1972 à 1976. Celle qu’il nomme, dans le secret de son cœur, la « bien-aimée » est présente à ses côtés.

Jeannine Burny nous révèle ce long parcours d’une œuvre sans fin jaillissante et sans fin remise en question. Elle nous raconte par la voix même de Maurice Carême l’enfance de celui-ci à Wavre, ses études à l’école normale de Tirlemont, ses relations privilégiées avec les poètes de Flandre. Elle nous ouvre sa bibliothèque, projette pour nous sa culture universelle de la poésie, son attrait pour l’astronomie, la philosophie. Au gré des recueils, elle nous emmène chez les plus grands noms de l’art belge contemporain, sans oublier les compositeurs qui ne cesseront de mettre en musique une œuvre qui ne demande qu’à l’être.

Nous vous proposons quelques extraits de ce livre.

Maurice Carême est né le 12 mai 1899 à Wavre. Voilà ce qu’il raconte : « Ma mère était de famille très humble. Elle n’alla pas longtemps à l’école. Dès neuf ans et demi, elle dut travailler. Mais elle me donna le goût de la poésie en me disant les poèmes qu’elle avait appris en classe. Elle connaissait les contes de Grimm et de Perrault. J’éprouvais une telle joie à l’écouter que je n’avais qu’une idée : donner plus tard à d’autres enfants le bonheur qu’elle me procu­rait. Je suis un homme comblé puisque j’ai réalisé, adulte, un de mes plus ardents souhaits d’enfant.

Mon père était peintre en bâtiment. Il partait si tôt le matin et rentrait si tard le soir que je ne le voyais que le diman­che. Quand j’eus douze ans, il fabriqua ma première bibliothèque avec une vulgaire boîte à oranges. J’en éprouvai une telle fierté que j’invitai mes compagnons de classe à venir la voir. J’y classai les feuilletons consa­crés aux chefs-d’œuvre de la littérature française que mon père m’ache­tait. Lui-même aimait lire. »

Son enfance, il en reprenait sans fin le récit. « Pour devenir Indien, nous nous piquions des plumes de poulet dans les cheveux. Nous les maintenions à l’aide d’un ruban. Nos fusils, nos sabres étaient de vulgaires morceaux de bois ou des branches. Nous étions pauvres, mais sans aucun doute plus heureux que bien des enfants d’aujourd’hui. »

Maurice ne cachera à personne sa satisfaction d’avoir eu des origi­nes aussi modestes.

« Plus je vieillis, déclarait-il à la fin de sa vie, plus je me rends compte de ce que je dois à ma mère, à sa simplicité, à sa bonté tranquille. Au fond, je ne désire qu’une chose : lui ressembler. »

Pour ma mère

Il y a plus de fleurs
Pour ma mère, en mon cœur,
Que dans tous les vergers ;

Plus de merles rieurs
Pour ma mère, en mon cœur,
Que dans le monde entier ;

Et bien plus de baisers
Pour ma mère, en mon cœur,
Qu’on en pourrait donner.

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Pour ma mère est devenu un des poèmes fétiches de l’enfance et il est traduit dans le monde entier.

À la question : « Quand et comment avez-vous commencé à écrire? » Maurice répondait : « Par amour et à quinze ans. Épris d’une petite amie avec qui j’avais joué, enfant, je cherchais un moyen exceptionnel de lui déclarer ma passion. Je lisais Musset avec avidité. Un jour les Stances à Ninon me frappèrent. Transporté d’une joie étrange, je composai les Stances à Bertha. Je fus étonné de la facilité avec laquelle je rimais et, comme ma déclaration en vers me valut un rendez-vous, un baiser et une magnifique pochette, brodée exprès pour moi, je chantai le rendez-vous, le baiser, la pochette. Je trouvai bien­tôt un tel plaisir à versifier que je me mis à composer des poèmes à propos de tout et de rien. »

En 1914, Maurice termine brillamment à Wavre des études moyennes secondaires.

Quatre ans plus tard, il termine l’école normale à Tirlemont et obtient son diplôme d’instituteur.

Maurice parlait souvent de l’époque où il était instituteur à l’école.

« Durant la récréation, j’allais m’asseoir sur un muret dans la cour. Aussitôt, je me mettais à écrire sans plus rien entendre de ce qui se déroulait autour de moi. Une veine de poésie naissait parfois au moment où je m’y attendais le moins. Un poème jaillit. Je le notai sur un bout de papier. À peine avais-je terminé qu’un autre fusait. Le soir, je ne cessai de rédi­ger. Le lendemain, des vers chantaient toujours dans ma tête. J’appelai un médecin. C’était un vieil ami, amoureux de la poésie : “J’ai la grippe, lui dis-je. Pouvez-vous me faire un certificat de maladie pour quelques jours ?”. J’écrivis durant une semaine comme un forcené. J’avais à peine le temps de transcrire les poèmes qui se bousculaient pour sortir de moi. »

En 1943, Maurice quitte l’enseignement pour se consacrer à la littéra­ture.

C’est la campagne qui avait le plus d’attrait pour Maurice. Il ne dési­rait rien d’autre que de s’asseoir loin du bruit de la ville. « Aussitôt, les poèmes sont là, à portée de main », constatait-il.

Ville

Trams, autos, autobus,
Un palais en jaune pâli,
De beaux souliers vernis,
De grands magasins, tant et plus.

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Des cafés et des restaurants
Où s’entassent des gens.
Des casques brillent, blancs :
Des agents, encor des agents.

Passage dangereux. Feu rouge,
Feu orangé, feu vert.
Et brusquement tout bouge.
On entend haleter les pierres.

Je marche, emporté par la foule,
Vague qui houle,
Revient, repart, écume
Et roule encore, roule.

Nul ne sait ce qu’un autre pense
Dans l’inhumaine indifférence.
On va, on vient, on est muet,
On ne sait plus bien qui l’on est
Dans la ville qui bout, immense soupe au lait.

Dès les premiers jours du printemps, il reprenait son sac à dos, ses livres, ses feuilles pour sillonner le Brabant en quête de nouveaux poèmes. L’hiver, il se contentait de balades plus brèves dans les environs de sa maison, mais il était rare qu’il passe deux ou trois jours sans sortir au moins une heure.

img4« La marche ? C’est le plus naturel des sports », répétait-il.

Que de poèmes, Maurice glanait ainsi au hasard des chemins, des bois et des prés du Brabant ! Son pays natal restait une des sources vives de son inspiration. Au fur et à mesure qu’on relisait ses poèmes, on retrouvait dans la mémoire les lieux où Maurice les avait créés. Une telle allégresse jaillissait des textes qu’on se sentait à nouveau soulevé par les odeurs, les prés, les champs, les oiseaux, voire la couleur du ciel.

Parfois, au cours de ces promenades, il y avait des rencontres amusantes.

– Sans doute, n’avez-vous pas remarqué que vous aviez pénétré dans une propriété privée, constata le garde avec une ironie polie ?

Apercevant la feuille couverte de vers, il se ravisa :

– Mais je vous en prie, Monsieur, terminez votre poème.

Il s’éloigna après avoir indiqué la sortie principale. Quelques mois plus tard, apercevant à nouveau Maurice dans la propriété, il s’ap­procha pour lui demander :

– N’êtes-vous pas le poète Maurice Carême ?

– Oui, Monsieur, répondit Maurice.

– Je vous ai vu à la télévision. Si ce domaine vous plaît, venez-y quand vous le désirez. Nos clôtures ne doivent pas vous arrêter.

Maurice répétait souvent qu’écrire pour lui était la chose la plus naturelle qui soit.

Poème

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– Un poème par heure ?
Vous vous moquez, Monsieur,
Comment donner son cœur
À chaque heure en entier ?

– Écrire est un métier,
En puis-je, moi, Monsieur,
Si, sans fin, mon bonheur
Adore raboter ?

Oh ! je ne vous dis pas
Qu’il construit chaque fois
Un coffre ou un buffet,

Mais, regardez, Monsieur,
N’est-il pas curieux,
Ce tout petit jouet ?

N’était-il pas – du moins aimait-il affirmer – « le poémier » qui donnait ses poèmes comme le pommier donne ses pommes ?...

(à suivre)

(La publication est préparée par Maria RIVES.)

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