Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №11/2008

Mon amie la langue française

Svetlana MIKHAÏLOVA

Réhabiliter l’écrit

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Apprendre une langue est possible pour tout individu moyen. La seule condition est de le vouloir vraiment... Et aujourd’hui quoi de plus facile en effet, si l’on assiste à un véritable épanouissement de méthodes, de cours proposés par des professeurs sachant mieux que personne aider l’étudiant dans cette tâche ? Arrivé un jour à l’apogée de sa capacité de s’entretenir dans toute situation, l’étudiant se voit persuadé de pouvoir parler « couramment ». Pourtant, « parler couramment » n’exprime rien d’autre que de « parler avec facilité et aisance », non avec perfection ce que ressent chacun qui ait terminé un cursus de langues, même de très haut niveau : lorsqu’il lui faut manier avec justesse l’ironie ou le sous-entendu, exprimer sa désolation ou sa colère sans excès, ou encore rédiger une lettre délicate ou un rapport officiel sans éprouver de la maladresse, il est conscient de ses propres difficultés. Et c’est à l’expression écrite, très souvent déduite par des enseignants privilégiant la communication, puisque prioritaire dans des méthodologies actuelles, que revient le rôle du démarreur d’un processus ultime, donc illimité, celui de son perfectionnement linguistique.

Il est à reconnaître que le savoir-écrire se réduit de nos jours à des formulaires administratifs à remplir, à des cartes de vœux à rédiger en trois lignes, sans parler des textos qui supplantent les missives d’autrefois. C’est un fait de civilisation admis quoique contesté par des « gens de plume » – écrivains, journalistes, traducteurs, chercheurs. Et l’étudiant en langues, le candidat à l’auto-perfectionnement, a devant lui une tâche accablante, celle de résister aux tendances du jour. Car, en effet, l’écrit est une construction lente et raisonnée qui prévoit un travail minutieux sur l’organisation du syntaxe, une réflexion active sur des composantes de la langue, des recours fréquents aux ouvrages de référence – grammaires, dictionnaires – qui permettent une auto-évaluation des connaissances, une auto-correction des acquis. La production écrite, à la différence du langage spontané, n’autorisera jamais de périphrases changeant de niveau de langue, ni de formes métalinguistiques (« vous voyez ce que je veux dire... ») ou paralinguistiques (intonation, mimiques, gestes), mais elle insistera sur la précision, la clarté et la logique de l’expression. C’est donc en écrivant que l’on remet en cause sa propre compétence et que l’on mesure ses besoins d’auto-perfectionnement. Mais c’est aussi en écrivant que l’on se perfectionne de la façon la plus efficace, en s’entraînant dans le choix entre les options linguistiques qui conduit au développement d’une véritable expression personnelle.

Comment réaliser cet auto-perfectionnement de l’écrit et par l’écrit ? D’abord en étudiant l’écrit des autres, en le soumettant aux plusieurs lectures, aussi actives que possible, afin de mieux voir comment la forme se met au service du contenu, quelles formulations correspondent le mieux à tel type de message et quels procédés stylistiques – embrassant des choix lexicaux, syntaxiques, esthétiques – sont employés dans tel ou tel type de discours. Ce travail personnel analytique sur les textes va de pair avec le travail sur les ouvrages de référence – dictionnaires analogiques, dictionnaires des synonymes, ouvrages de stylistique comparée – et aboutit à une synthèse de connaissances mise sur fiches.

Ensuite, c’est en écrivant que l’on maîtrise son écriture. Il existe, en effet, quantité d’exercices souvent pratiqués dans une classe de langue, des exercices efficaces et connus de tous, qui sont basé sur l’analyse textuelle et, donc, partent de là : résumé, compte rendu analytique, commentaire de texte, dissertation etc. Cependant ces exercices seuls ne suffisent pas à perfectionner le savoir-écrire de l’étudiant. De plus, comme tout exercice, ils peuvent paraître ennuyeux, impliquant plusieurs contraintes et abaissant la motivation d’écrire.

Il nous faut alors créer de nouvelles motivations et faire en sorte que l’écriture corresponde à un réel besoin d’expression et de communication. L’artifice ne sera plus l’exercice lui-même, mais la création et la stimulation de ce besoin. Créer le besoin d’écrire implique la nécessité de maintenir une correspondance « à l’ancienne », par écrit et suivant les meilleures traditions épistolaires. Créer le besoin d’écrire peut aussi impliquer une prise en charge de certaines activités qui nécessitent des travaux d’écriture, par exemple : organiser des sorties, des échanges, des voyages avec des personnes parlant la langue en question ; devenir le correspondant d’un journal étranger ou le rapporteur d’un colloque, d’un débat ou d’une simple réunion ; fréquenter des conférences et des expositions internationales et s’appliquer à y prendre des notes ; s’engager à fournir régulièrement des cours rédigés à un camarade qui ne peut pas assister à ces cours ; essayer même, en suivant un cours fait dans sa langue maternelle, d’en prendre des notes dans la langue étudiée... Au-delà de ces engagements fonctionnels, il faudrait nourrir le besoin d’écrire pour soi, pour s’exprimer personnellement, faire le point sur ses idées et ses sentiments, en rédigeant un journal intime, en commentant par écrit un film ou un livre. L’idéal est que peu à peu le besoin se change en plaisir et l’on découvre qu’on peut jouer avec la langue étrangère comme on joue même imparfaitement d’un instrument de musique. Ecrire pour le plaisir, écrire des poèmes ou des nouvelles, ou bien écrire pour redonner à l’écrit sa dimension ludique, pratiquer des jeux de langage à l’instar des surréalistes avec leurs « cadavres exquis », faire des collages de mots, composer des textes à la façon de Raymond Queneau qui travaillait sur des « squelettes textuels ». Bref, écrire pour découvrir ces autres possibilités de la langue qui n’apparaissent que dans le véritable processus créatif.

Il reste encore un point à ne pas négliger : tout travail de perfectionnement d’une langue étrangère doit s’appuyer sur un auto-perfectionnement conscient et constant de la langue maternelle. Que de fois nous restons interdits devant la nécessité d’expliquer l’un des aspects de notre propre langue ce qui témoigne de notre connaissance instinctive, mais superficielle de celle-ci ! Nous recourons tous à la simplification de la langue, en employant toujours le même vocabulaire, les tournures familières, les expressions à la mode, les mots fourre-tout et en évitant les tournures complexes, les formes verbales peu sûres. Qui pourrait gager que la loi du moindre effort qui régit alors sur notre conscience ne se trouverait pas de base dans la production écrite ou orale dans la langue étrangère ? En effet, au dernier stade du perfectionnement comme au premier, la langue étrangère est vécue à travers la langue maternelle. À ce stade, il faut lutter contre les interférences entre les deux langues, il faut savoir les dissocier, et pour ces raisons-là, il est indispensable de maîtriser parfaitement sa langue maternelle, de la soumettre à toutes les opérations décrites ci-dessus en la considérant comme une langue étrangère.

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En plus du perfectionnement séparé dans les deux langues, il existe le moyen d’améliorer ses connaissances linguistiques conjointement dans les deux, c’est la traduction : d’une part, la recherche du sens d’un énoncé permet de découvrir des significations, des associations de mots, des tournures qui sont souvent non répertoriées ; d’autre part, la reformulation du sens, la recréation et la rédaction dans une autre langue demandent encore plus de vigilance que les exercices classiques cités plus haut.

Donc, constatons que les voies à parcourir pour améliorer ses acquis dans la langue étudiée sont innombrables ; le moyen le plus sûr, quelque voie que l’on prenne, est une volonté ferme. Mais les progrès resteront lents, si l’on considère l’écriture comme un exercice scolaire. Ce n’est pas seulement en écrivant que l’on apprend à écrire, c’est en aimant écrire, en y prenant plaisir, que l’on y progresse.

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