Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №12/2008

Les Routes de l’Histoire

Le Théâtre de l’Odéon occupé

C’est là, que le 26 avril 1784, Beaumarchais fait jouer sa pièce Le Mariage de Figaro, ce qui lui vaut d’aller quelques jours en prison… En 1789, il change de nom et devient Théâtre de la Nation. On y joue les pièces anti-monarchiques. En septembre 1793, le Théâtre de la Nation est fermé pour esprit réactionnaire et les comédiens arrêtés. Il rouvre l’année suivante sous le nom de Théâtre de l’Égalité et acquiert son nom définitif, le Théâtre de l’Odéon, sous le Directoire.

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Donc, en mai 1968, le Théâtre de l’Odéon n’échappe pas, bien sûr, à la contestation ambiante. L’Odéon est occupé et transformé en forum permanent. Le drapeau rouge communiste et le drapeau noir anarchiste flottent au fronton du théâtre. Les manifestants déclarent qu’ils « sont ici pour organiser des spectacles révolutionnaires, que ce n’est qu’un début et qu’on occupera tous les théâtres ». Sur la façade, une banderole proclame : « L’Odéon est ouvert !», mais à l’intérieur, près du contrôle, une pancarte précise : « Dans les circonstances actuelles, l’Odéon est fermé au spectateur bourgeois ».

Sur la scène, les orateurs se succèdent, déchaînant alternativement les applaudissements ou les huées de la salle. Tout en s’associant au mouvement, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud1 ont demandé à leurs hôtes imprévus de laisser chaque soir les acteurs jouer. Le tumulte a couvert leurs voix. La découverte des réserves de costumes apporte des couleurs supplémentaires à ce monstrueux happening culturel. On retrouve même parmi les manifs les gens affublés de casques romains ou vêtus de tenues excentriques…

L’École des Beaux-Arts (rue Bonaparte)

img2L’École des Beaux-Arts est également l’un des piliers de la contestation au Quartier latin. Même type de débats fiévreux qu’au Théâtre de l’Odéon : art et révolution, artistes au service du peuple, architecture populaire ou de classe… Surtout, siège de l’atelier populaire d’où sortent des milliers d’affiches, véritables baromètres du mouvement, au service de tous les fronts en lutte. Slogans, graphismes, illustrations et toutes idées nouvelles sont discutées collectivement. Il arrive que certaines propositions soient refusées pour leur radicalisme. Certaines affiches, pourtant acceptées en comité de lecture, ne sortent pas après impression. Une nouvelle réflexion collective remettant en cause les choix antérieurs. Aujourd’hui, on retrouve un grand nombre de ces affiches mythiques dans les galeries à des prix élevés. On assiste même à la mise en circulation de faux, pourtant estampillés de fameux cachet « Atelier des Beaux-Arts » qui les validait à l’époque !

La révolution ou la chienlit2 ?

« La semaine du 6 au 10 mai est rythmée
par les manifs, les meetings, les barricades.
Le pays découvre ses enfants enragés contre
de Gaulle, contre l’ordre des “vieux cons”,
contre la société de consommation. »

Jean DANIEL,
Le Nouvel Observateur,
N°183, 15 mai 1968

img3Après une longue semaine d’émeutes, la paix n’est donc pas revenue au Quartier latin. La révolte qui au début est le fait des étudiants, s’étend à d’autres couches de la population. « J’appelle tous les manifestants à se retirer du Quartier latin vu la cruauté de la police. J’appelle tous les syndicats, tous les partis de gauche à se mettre en grève ! » Cet appel de Daniel Cohn-Bendit est entendu. Les syndicats appellent pour le lundi 13 mai à la grève générale. Leurs revendications : augmentation des salaires et réduction du temps de travail. 800 000 manifestants, dont étudiants, lycéens, ouvriers, partis politiques de gauche, syndicats, crient : « CRS – SS ! », « De Gaulle au musée ! », « De Gaulle assassin ! », « À bas de Gaulle et soutien à Georges ! », « Solidarité ouvriers-étudiants ! ». Tous protestent contre les violences policières et contre l’action du gouvernement. Car le 13 mai c’est l’anniversaire de l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1958. C’est donc l’occasion de réclamer un changement de président. Dans toutes les villes de province (Nantes, Lyon, Rennes, Toulouse, Marseille, Brest, Strasbourg), des défilés montrent la solidarité entre étudiants et ouvriers.

Le succès de cette manifestation encourage les syndicats à aller plus loin. Le 14 mai, la première usine se met en grève. Les usines de construction d’automobiles Renault se mettent en grève le 15 mai. L’agitation gagne les plus petites villes de province. De jour en jour, la grève s’étend. Comme les étudiants, des millions de travailleurs de tous les secteurs veulent des réformes et le font savoir de façon très nette. Une vague de revendications sociales déferle sur le pays. L’émeute des étudiants se transforme en révolution.

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En quelques jours, alors que le général de Gaulle est en voyage officiel en Roumanie, toute la France est paralysée. Les chemins de fer, les transports, les postes et la télévision, les usines sont en grève. Devant les banques, les queues s’allongent. On retire le plus possible d’argent liquide, les billets se font rares. Les files d’attente sont de plus en plus grandes devant les bureaux de tabac, les postes d’essence, les épiceries. Chaque ménagère stocke les provisions (huile, sucre, café, nouilles, confitures, riz, pâtes, pommes de terre) qu’elle jette en vrac au fond des placards, sur le balcon ou dans la baignoire (si celle-ci ne contient pas déjà cinquante litres d’essence). Chacun se prépare pour une guerre civile. Chacun croit assister à la fin du régime.

Face à cette situation, l’opposition demande la démission du gouvernement dirigé par le Premier ministre Georges Pompidou.

De retour à Paris, le général de Gaulle, lors d’une intervention télévisée, s’écrie en vain : « La réforme, oui, la chienlit, non ! » Il utilise même ce terme vulgaire pour montrer sa colère. La réaction à cette remarque du président est immédiate. À Boulogne-Billancourt, les grévistes de la Régie Renault proposent d’inaugurer une rue Chienlit et, à la Sorbonne, les étudiants affichent : « La chienlit, c’est lui ! »

Le Premier ministre, Georges Pompidou, commence à parler avec les syndicats et propose plus de 10 % d’augmentation des salaires. Il décide d’expulser Daniel Cohn-Bendit parce qu’il est « étranger ». Il est reconduit en Allemagne le 21 mai. Les étudiants organisent des manifestations en signe de soutien de leur leader. Ces manifestations deviennent de plus en plus violentes.

Le Quartier latin offre une vision de désolation : rues éventrées, voitures détruites et carbonisées. On voit que les événements ont dégénéré en drame. Bilan : 456 personnes blessées (dont 9 du service d’ordre) et 178 hospitalisées. Et puis un mort : un jeune manifestant, Philippe Matherion, victime d’un mystérieux coup de couteau.

Maintenant, une grande partie des Français a peur de la violence…

Un revenant et… un partant

img5Cohn-Bendit, reconduit en Allemagne le 21 mai, veut revenir en France malgré l’interdiction de séjour qui le concerne. Quatre jours plus tard, le voici à la Sorbonne (où la police n’a plus le droit de pénétrer). Ses cheveux ne sont plus roux mais teints en noir. Il révèle à ses camarades que son passage clandestin de la frontière et son retour en auto ont été jeu d’enfant. « Le chant des oiseaux est agréable », ajoute-t-il.

Le même jour, Alain Payrefitte, ministre de l’Éducation nationale, démissionne, « en espérant, dit-il, que son départ aidera efficacement au rétablissement rapide du calme ».


1 Deux grands comédiens français

2 (Vieilli) masque de carnaval ; (fig.) déguisement grotesque, désordre.

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