Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №15/2008

Les Routes de l’Histoire

Il était une fois la France…

« Pitié pour nos soldats qui sont morts !
Pitié pour nous vivants qui étions auprès
d’eux, pour nous qui nous battrons demain,
nous qui mourrons, nous qui souffrirons
dans nos chairs mutilés ! Pitié pour
nous, forçats de guerre qui n’avions pas
voulu cela, pour nous tous qui étions des hommes,
et qui désespérons de jamais le redevenir... »

Maurice Genevoix, La Boue

Il y a eu d’abord les paillettes d’un siècle nouveau : des expositions universelles, la course du progrès, la succession des dimanches calmes et sereins, les guinguettes des bords de Saine, de Marne ou de Loire. Les excursions en montagne ou dans les villes d’eau ; le temps d’un dimanche ensoleillé. La vogue des bains de mer ; le temps toujours et encore des robes longues, des épingles à chapeau, des voilettes et des ombrelles qui protégeaient du soleil ; les premières fièvres du Métropolitain ; la magie des tramways. Odeur de rail et d’électricité.

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Il y a eu les formes de l’Art nouveau, la mode des femmes qui commençaient à se libérer de leurs corsets, les chapeaux larges. Il a eu bien des grèves : des électriciens, des fonctionnaires, des mineurs, des vignerons, des garçons de café, des chauffeurs de taxi.

Il y a eu le Montmartre et ses peintres ; les inondations de Paris, l’apparition des premiers tango, les premiers music-halls ; l’inauguration du Vél d’Hiv1 ; le vol de la Joconde, la publication de La Guerre de bouton, l’édition du Grand Meaulnes qui a manqué de si peu le prix Goncourt ; l’apparition des cabines téléphoniques ; l’électrification du chemin de fer ; la mode des casquettes et des canotiers ; l’invention de l’esperanto.

img2C’était la paix. La promesse d’une aube nouvelle, l’insouciance de l’été, le calme des champs de blé parsemés de bleuets et de coquelicots…

Ils avaient 17, 25 ou 30 ans. Beaucoup portaient le cheveu court et la moustache. Il y avait des boulangers, des maîtres d’hôtel, des instituteurs, des rédacteurs, des cuisiniers, des bergers, des prêtres, des chauffeurs, des cheminots, des facteurs, des intellectuels, des ouvriers, des bourgeois et des aristocrates.

Il y a eu soudainement des civils, des militaires de carrière, des conscrits, des réservistes, des artilleurs, des marins, des fantassins, des zouaves, des aviateurs, des sapeurs, des brancardiers, des agents de liaison, des télégraphistes, des sous-officiers, des infirmiers, des adjudants, des généraux, des sous-lieutenants, des cantiniers, des cavaliers, des permissionnaires. Il y a eu soudainement des poilus.

Autant de voyageurs sans bagages qui ont dû quitter leurs familles, leurs fiancées, leurs femmes, leurs enfants. Revêtir l’uniforme mal coupé, le pantalon rouge. Endosser le barda trop lourd et chausser les godillots cloutés.

img3Très vite, ils ont compris que cette guerre n’avait pas de sens. De faux espoirs en faux espoirs, de dernières batailles en dernières batailles, ils ont fini par ne plus pouvoir prévoir la fin de la guerre dont ils étaient les acteurs et dont l’utilité ne leur paraissait plus évidente. Sur 8 millions de mobilisés entre 1914 et 1918, plus de 2 millions de jeunes hommes n’ont jamais revu le clocher de leur village natal. Leurs noms sont gravés dans la pierre froide des monuments.

Plus de 4 millions d’hommes n’ont survécu qu’après de graves blessures, le corps cassé, coupé, marqué, mordu, la chair abîmée, quand ils n’étaient pas gravement mutilés. Quant aux autres, il leur restait le souvenir de l’horreur vécue pendant plus de 50 mois, la mémoire du sang, de l’odeur des cadavres pourrissants, de l’éclatement des obus, de la boue froide, de la vermine. Tout cela pour le restant de leurs jours et avec cette mémoire, le cri angoissé parce que sans réponse - l’appel de leur mère. Il leur restait la force des mots qui évoquaient des images dont ils n’oublieraient jamais l’horreur.

(d’après Jean-Pierre GUÉNO)



1 Vélodrome d’Hiver.

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