Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №15/2008

Les Routes de l’Histoire

Frères de misère

Journal d’un soldat

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Gervais Morillon était un jeune homme calme, tendre et gai. Il a été tué à 21 ans en mai 1915.

Tranchées-Palace, le 14 décembre 1914.

Chers parents,

Il se passe des faits à la guerre que vous ne croiriez pas ; moi-même, je ne l’aurais pas cru si je ne l’avais pas vu ; la guerre semble autre chose, eh bien, elle est sabotée. Avant-hier (et cela a duré deux jours dans les tranchées), Français et Allemands se sont serré la main ! Incroyable, je vous dis !

Voilà comment cela est arrivé : le 12 au matin, les Boches arborent un drapeau blanc et gueulent : « Camarades, Camarades, rendez-vous ! »

Nous, de notre côté, on leur en dit autant ; personne n’accepte. Ils sortent alors de leurs tranchées, sans armes, officier en tête. Nous en faisons autant et cela a été une visite d’une tranchée à l’autre, échange de cigares, cigarettes, et à cent mètres d’autres se tiraient dessus. Je vous assure, si nous ne sommes pas propres, eux sont rudement sales, dégoûtants ils sont, et je crois qu’ils en ont marre eux aussi.

Mais depuis, cela a changé ; on ne communique plus. Je vous relate ce petit fait, mais n’en dites rien à personne, nous ne devons même pas en parler à d’autres soldats.

Je vous embrasse bien fort tous les trois.

Votre fils, Gervais.

Drôle de Noël 1914

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Effectivement, les fraternisations de Noël 1914 sont spectaculaires. Les soldats ont souvent rapporté l’événement dans leurs lettres. Elles reposent toutes sur la convivialité : manger et boire ensemble, offrir tabac et cigarettes, montrer des photos de sa famille. On organise l’enterrement des morts abandonnées dans le no man’s land1 lors des attaques des jours précédents. À certains endroits du front, les lignes n’étaient séparées que de quelques mètres et on entend rire les « voisins ». Ce rire est contagieux. Des documents mentionnent des concours de grimaces, de cris d’animaux, des compétitions de tirs sur des bouteilles ou des applaudissements lorsque l’ennemi chante… On s’aperçoit que l’autre lui ressemble et endure les mêmes conditions : le froid, la boue, les rats, les obus2, les ordres des grands chefs… Ce qui semble avoir été décisif, ce sont les petits sapins distribués aux soldats allemands. Ils les ont garnis de bougies et placés sur le parapet. Voir ce spectacle et entendre les chants ne donnait pas l’envie de s’entretuer le jour de Noël. Un poilu résume : « J’étais là à serrer la main des hommes que j’avais essayé de tuer quelques heures auparavant. »



1 Zone située entre les premières lignes des tranchées ennemies, creusée de trous d’obus et encombrée d’obstacles.

2 Obus tirés par l’artillerie, ils agissent grâce à l’explosion de leur charge, mais aussi par l’action de leurs éclats autour du point d’impact. Les obus à balles, ou Shrapnel, explosent en hauteur et projettent sur les hommes leurs billes d’acier.

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