Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №18/2008

Arts et culture

Les premiers succès de Serge Gainsbourg

« Quand on n’a pas ce que l’on aime
Faut aimer ce que l’on a. »

Serge Gainsbourg

img1

Nous sommes en 1958. Serge a trente ans. Il est encore inconnu en dehors du circuit des artistes de cabaret. Lors de la parution du premier 25-cm de Serge Gainsbourg, Du chant à la une, Boris Vian salue son « amère et joyeuse réussite » :

« Il écrit et chante des chansons pour rire noir.
Il aime le chachlik, Edgar Poe et la vitesse.
Il a besoin de trente ans de vie.
Il met des coups de poings au bout de ses vers.
Il évolue dans un univers étrange et irréel.
Qui est-il ? D’où vient-il ? Ces questions-là, tout le monde se les pose.
Nous allons y répondre.
Serge Gainsbourg est d’origine russe tout en étant né à Paris.
Ses classes : renvoyé du lycée Condorcet, étudie l’architecture qu’il abandonne pour la peinture, qu’il abandonne pour la guitare électrique.

Ses premiers pas : pianiste de bar, puis guitariste accompagnateur (quatre ans), il fait son tour de chant en 1958 à Milord l’Arsouille.

Ses faux départs : les premières chansons qu’il a composées avaient des titres prémonitoires : nul ne saura jamais, ça ne vaut pas la peine d’en parler. Il les a détruites. Elles parlaient d’amour.
Quant à ses défauts ou ses qualités principales, nous n’en parlerons pas. Car il est trop difficile de cerner l’étrange personnage qu’est Monsieur Gainsbourg. L’homme a plus d’une pirouette pour se dérober. »1

img2

Boris Vian n’est pas le seul à voir le talent exceptionnel de Gainsbourg. Marcel Aymé2 lui écrit un texte de présentation de Du chant à la une, où l’univers de Gainsbourg apparaît déjà dans toute sa maturité : « Je souhaite à Gainsbourg que la chance lui sourie autant qu’il le mérite et qu’elle mette dans ses chansons quelques taches de bonheur. »

Il y a de la chance et de la réussite dans sa vie. Du bonheur, peut-être pas. Ou bien il le fuit « de peur qu’il ne se sauve » !

Il y a déjà un style à part, un ton très particulier et une chanson Le Poinçonneur3 des Lilas, celle qui va changer sa vie. Gainsbourg écrit son premier succès populaire à l’âge de trente ans. La chanson est née le jour où, dans le métro, il a demandé à l’un de ces travailleurs souterrains à quoi il rêvait. « Voir le ciel », a répondu l’agent de la RATP4.

La chanson est symbolique à plus d’un titre : la disparition des poinçonneurs de tickets de métro, au profit des composteurs automatiques, marque le début d’une vague de chômage que l’on ne peut freiner et la naissance d’un monde dominé par la machine, où l’homme n’a plus vraiment sa place.

Serge GAINSBOURG

Le Poinçonneur des Lilas

img3

(1958)

J’suis l’poinçonneur des Lilas5
Pour Invalides changer à l’Opéra
Je vis au cœur d’la planète
J’ai dans la tête
Un carnaval de confettis
J’en amène jusque dans mon lit
Et sous mon ciel de faïence
Je n’vois briller que les correspondances
Parfois je rêve je divague
Je vois des vagues
Et dans la brume au bout du quai
J’vois un bateau qui vient m’chercher
Pour m’sortir de ce trou où je fais des trous
Des p’tits trous des p’tits trous,
Toujours des p’tits trous
Mais l’bateau se taille6
Et j’vois qu’je déraille
Et je reste dans mon trou à faire
Des p’tits trous,
Toujours des p’tits trous.

Le succès de la chanson est immédiat : sa version passe pourtant peu à la radio, alors que les reprises sont multiples : elle est chantée par Les Frères Jacques ou Philippe Clay. Grâce à Michèle Arnaud, ses chansons se vendent, certes chantées par d’autres, mais elles se vendent. Juliette Gréco, en 1959, s’attachera aussi à ce curieux personnage. Petit à petit, la notoriété l’appelle.

img4

Parmi les nombreux interprètes du Poinçonneur, un petit jeune qui a bien du mal à s’imposer : Hugues Aufray. Points communs avec Serge : lui aussi est animateur de cabaret ; lui aussi aimerait devenir peintre et vivre de ses toiles (si tout le monde sait que Gainsbourg a détruit ses œuvres, peu savent qu’il en subsiste au moins une, offerte à Juliette Gréco). La chanson de Gainsbourg est le premier coup de chance de la vie d’artiste d’Hugues Aufray : on l’inscrit au concours « Les n° 1 de demain », organisé par Europe 17, et il gagne grâce à son interprétation du Poinçonneur des Lilas8… Le nouveau venu à la chanson remporte l’estime du métier grâce au disque Gréco chante Gainsbourg, sacré Grand Prix du disque de l’Académie Charles-Cros.

Quant à Gainsbourg lui-même, il se voit très bien rester dans l’ombre : il est toujours complexé. Écrire pour les autres et demeurer en retrait lui conviennent très bien… pour l’instant.

À Yves Montand qui lui pose une question : « Mon petit gars, qu’aimerais-tu faire, l’auteur, le compositeur, l’interprète ? », Serge répond : « Tout ! » Sa réponse peut paraître déplacée à l’époque où on divise le travail entre auteurs et interprètes… pour l’instant.



1 Boris Vian, En avant la zizique, 10/18, 1994.

2 Marcel Aymé (1902-1967) – écrivain français, auteur de comédies, de romans, de contes et de nouvelles.

3 Employé qui poinçonne (perce) les billets de chemin de fer, de métro.

4 La Régie autonome des transports parisiens (RATP) est une entreprise publique qui assure la gestion du métro et d’autres transports urbains de Paris et de sa proche banlieue.

5 Les Lilas : commune de la banlieue est de Paris. C’est aussi le nom d’une station de métro.

6 Se tailler (familier) – s’enfuir.

7 Europe 1 est le nom d’une station de radio française.

8 Étrangement, Le Poinçonneur est devenu un chant de marche en Israël. Les Frères Jacques, en effet, l’avaient fait traduire en hébreu et l’avaient interprété à l’occasion d’un concert à Jérusalem. On peut dire qu’aujourd’hui, ce titre fait pratiquement partie du folklore juif.

TopList