Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №18/2008

Arts et culture

Le mythe Gainsbourg et ses influences

« J’ai donné l’image d’un homme désabusé, c’était un masque.
Et puis, si vous retirez ce masque, vous trouverez
dessous le visage d’un homme déchiré. J’avais besoin
de cette comédie que je dirais dramatique... »

Serge Gainsbourg

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En 1991, le chanteur mal rasé est adoré par la génération qui n’a pas connu le temps de La Javanaise, mais qui chante cette chanson le jour de sa mort. Désormais vénéré par les stars les plus remarquables en Grande-Bretagne, au Japon, aux États-Unis ou en France, Gainsbourg est devenu une icône pour toute une nouvelle génération. Tout le monde s’en inspire ou l’imite (parfois sans talent). Ses titres sont repris en permanence, et les textes de certaines chansons sont même étudiés dans les écoles (La Chanson de Prévert).

Pour la plupart de ses admirateurs, Gainsbourg reste une énigme. Qui était-il en fait ? Laissons-le répondre à cette question : « En fait, je suis Gainsbourg-Gainsbarre, un personnage de fiction qui, un jour, a quitté la réalité. J’ai tellement joué avec ça que je ne sais plus très bien si je suis Gainsbourg ou Gainsbarre… »

« Il y a Gainsbarre et Gainsbourg. L’un c’est l’artiste, celui qui a du talent, que l’on reconnaît dans un bistrot. L’autre, c’est l’être humain qui souffre parce qu’il est mal aimé. Surtout des femmes. Elles le font souffrir. »

Sa séduction résulte de cette dualité où voisinent le sourire et le sarcasme, la tendresse et la moquerie, la solitude, la popularité, le désespoir, la provocation, le malaise, le meilleur avec le pire… tout en gardant le secret de « cette angoisse qu’on a plaisir à supporter ».

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C’était encore Boris Vian qui l’avait deviné en 1958, au moment même où le tout jeune Lucien Ginzburg, si timide, allait se métamorphoser en Serge Gainsbourg, tellement provocateur : « Quant à ses défauts ou ses qualités, nous n’en parlerons pas. Car il est trop difficile de cerner1 l’étrange personnage qu’est Monsieur Gainsbourg. L’homme a plus d’une pirouette2 pour se dérober3. »4

En septembre 1994, Jane Birkin donne un concert hommage au Savoy Theater de Londres. Et en mars 1997, un coffret rétrospectif de trois disques compact sort aux États-Unis. L’accueil de la presse est unanimement élogieux. Jane Birkin, qui ne peut décidément pas renoncer à l’influence de Serge Gainsbourg, sort en octobre 2002 Arabesque, un album reprenant certains succès de l’artiste avec des arrangements musicaux inspirés par des sonorités arabes. Elle donne aussi à cette occasion une série de concerts. Le 8 mars 2003, la ville de Clermont-Ferrand rend hommage à Gainsbourg en inaugurant une rue à son nom, la première du genre en France.

Laurent Balandras, grand admirateur de Gainsbourg, a publié récemment Les Manuscrits de Serge Gainsbourg, un incroyable coffret de textes, il confirme : « Il faut toujours un certain temps pour se rendre compte de la valeur d’un artiste. Bien sûr, il a vraiment eu du succès de son vivant mais, en même temps, son image médiatique était plus importante que son œuvre. Maintenant, on se rend compte qu’il a produit une œuvre beaucoup plus importante qu’on ne l’imaginait... »

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En France, on a oublié les chansons faciles de sa dernière période et l’on commence à réécouter tous les Gainsbourg  et, quelle que soit l’époque, il y reste le magicien des mots, le grand poète qui a redonné sa musicalité à la langue française.

Il est aujourd’hui admis que L’Histoire de Melody Nelson est l’un des albums majeurs de la chanson du XXe siècle. Il en va de même pour L’Homme à la tête de chou, paru cinq ans plus tard. Son premier vrai succès ne survient qu’en 1979, avec Aux armes et caetera, cet album est présenté dans le guide La discothèque idéale, chanson française : « Avant sa Marseillaise, le club des gainsbourphiles5 ne comptait que dix, quinze mille personnes au plus. D’un coup, grâce à cet album à scandale, Serge devient pour la première fois, millionnaire en disques. »

Gainsbourg va désormais opter pour la « provoc » sans limites, dans ses textes comme dans ses apparitions télévisées et, bien sûr, parler de lui. « Je pense qu’il a réussi à créer une sorte de personnage qui entraînait un fanatisme très étonnant, explique Laurent Balandras. Chacune de ses apparitions télévisées était le lendemain un événement. »

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Mais le mythe Gainsbourg n’est pas né que de la provocation. L’artiste n’avait en vérité d’autre destin possible que celui-ci. Première raison : il se montre capable de séduire ou d’emmener sur ses talons les femmes les plus belles ou les plus « stars ». Gainsbourg passe un temps certain à devenir le beau Serge, travaillant son style avec soin. Aussi, aujourd’hui encore, demeurent très à la mode son style, ses chaussures blanches, ses costumes rayés, ses jeans (le modèle dit « Gainsbourg » a été réédité avec le visage du chanteur cousu à l’intérieur…).

Seconde raison : son talent, et surtout sa polyvalence. Il a été chanté par une pléiade d’artistes, ce que rappelle le coffret de quatre CD Les interprètes de Gainsbourg, publié en 2007. Ensuite, il donne plus que de la matière à ceux qui veulent s’en inspirer : jazz, reggae, pop, chanson parlée…

Cela fait dix-sept ans que chaque jour, des dizaines de nostalgiques viennent s’asseoir sur sa tombe du cimetière Montparnasse. Il repose non loin de Baudelaire qu’il a mis en musique (Le Serpent qui danse, Album nº 4, 1962), lui qui était plus proche de Verlaine. Dix-sept ans après sa mort, Serge Gainsbourg est plus présent que jamais. Le dandy provocateur, qui a été admiré autant que haï, est devenu un monument de la chanson, apprécié de tous.



1 Saisir.

2 Acrobatie.

3 Se dérober – se cacher, échapper aux regards.

4 Boris Vian, En avant la zizique, op. cit.

5 (Néologisme) Ceux qui aiment Gainsbourg.

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