Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №8/2009

Mon amie la langue française

Khabiba CHAGBANOVA , Maria FILATOVA

La langue française en Russie d’hier et d’aujourd’hui

« Je te parlerai la langue de l’Europe.
Elle m’est plus familière que la nôtre »

(POUCHKINE à Tchaadaïev)

Une soirée pluvieuse d’automne, j’étais assise dans un petit café, je buvais du chocolat chaud et je contemplais les gouttes de pluie dansant derrière la vitre. Soudain un jeune homme très sympa s’est approché de ma table, il souriait gentiment et son regard était tellement attirant que j’ai eu tout de suite envie de me noyer dans ses yeux bleus comme la mer. À ce moment-là tout a commencé à se dérouler à une vitesse incroyable et d’une façon irréelle. Il s’est présenté et ensuite il m’a raconté l’histoire de toute sa vie. Quelques heures plus tard je me suis retrouvée complètement ­abasourdie par son récit. Et vous pouvez me demander pourquoi donc. Alors il serait mieux que vous écoutiez tout de la part de lui-même. Je lui ai demandé de répéter son histoire spécialement pour vous :

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– Avant tout, permettez-moi de me présenter. Je m’appelle La Langue Française mais tous mes amis m’appellent simplement Lanfran. Je suis né et j’ai grandi en France, j’ai passé bien des années là-bas. Mais un beau jour j’ai fait mes bagages et je suis allé voyager autour du monde. J’ai visité plusieurs pays, ils sont tous très différents ! Et voilà, à la fin du huitième siècle je me suis trouvé en Russie. J’ai été bien accueilli ici, je me suis étonné d’hospitalité russe. Tout de suite j’ai trouvé beaucoup d’amis parmi les Russes, je suis entré aux milieux aristocratiques, j’ai commencé à visiter les salons mondains de la noblesse. Je représentais une petite partie de la culture française, je parlais aux Russes de l’architecture française, de l’art appliqué, de la peinture, de la mode. On peut dire que je suis devenu promoteur de la civilisation européenne en Russie. Mais tout de même, il s’est trouvé les ennemis qui accusaient les gens d’être attaché à moi au point qu’ils ont commencé à oublier son ami fidèle, le nom de cet ami était La Langue Russe. On a fait courir un bruit que cela menaçais de la catastrophe nationale. Pourtant, quand même tout le monde portais respect à moi et quelques-uns m’adoraient. J’étais lié par une étroite amitié avec les femmes : je prenais part à leur instruction, je suis devenu non seulement une partie intégrante de leur vie spirituelle mais aussi un moyen de se joindre à la culture européenne. Peu de temps après, je suis devenu populaire parmi les hommes de lettres russes. Beaucoup d’eux m’ont fait un héros de leurs romans. Le bilinguisme russe-français a trouvé son reflet dans les œuvres littéraires de Tolstoï. Dans le langage de ses personnages on peut rencontrer des mots, des expressions et des constructions qui se rapportent à l’étiquette de la parole (les formules d’adresse, salutation, reconnaissance, demande, souhait, etc.) : ma chère, ma bonne amie, Charmant, ma délicieuse !, Merci, mon père. Quelques expressions françaises sont devenues un trait distinctif de la langue russe parlée : « и в моей жизни tout n’est pas rose », « разве я не вижу , что du train que nous allons, нашего состояния нам хватит ненадолго... ». Ainsi les Russes ont emprunté beaucoup de mots français, de tours et certaines phrases. J’ai tenu une place spéciale comme le composant important de la culture et comme le signe de l’appartenance de mes amis à la société défini.

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Dans les années trente du dix-neuvième siècle on a commencé à m’évincer de tous les milieux et de toutes les sphères de relations où je partageais avec la langue russe une fonction de la langue littéraire. Mais en même temps, je jouissais d’une grande influence, j’ai pénétré dans les milieux démocratiques en étant une partie intégrante de l’instruction secondaire et en restant une signe de l’éducation raffinée. La connaissance obligatoire de moi pour une personne instruite était un des indices de la propagation large de la culture française dans la société de Russie. Vers la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle, j’ai déjà visité presque toutes les villes de la Russie, ayant occupé une place spéciale dans la connaissance linguistique des Russes, on peut comprendre cela par de nombreux mémoires, des œuvres littéraires de cette époque – de Gorki à Teffi. Et en outre, on rencontre des mots et des expressions françaises dans les œuvres des écrivains et des poètes de tous les courants et de toutes les tendances stylistiques : Blok, Bounine, Kouprine, Severianine, Goumiliov, Akhmatova, etc. En mentionnant ce phénomène, Teffi écrit : « En Russie tout va bien avec la langue française. Elle est perçue automatiquement elle-même et elle est tellement entrée dans l’âme russe que pendant les banquets les orateurs afin d’obtenir les applaudissements à la fin de leur discours s’exclament : Disons notre grand merci russe à notre collègue respecté ». (Le mot « merci » est prononcé en français dans une phrase dit en russe).

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En Russie Soviétique, depuis longtemps, je restais une incarnation des échanges culturels qui étaient opprimés, disparus ou perdus. Dans les années vingt, les années de Nep (nouvelle politique économique), on a commencé à se moquer de moi, partout j’entendais dire des railleries. J’ai continué à rester un héros des œuvres mais ces chefs-d’œuvre littéraires étaient le plus souvent des récits satiriques de Mayakovski et Zochtchenko. Je me souviens d’une phrase célèbre prononcé par Kissa Vorobianinov dans le roman d’Ilf et Pétrov Douze chaises : « Je ne mange pas six jours ». A la fin des années quarante la haine envers moi s’est tellement agrandie que même le mot « éclair » a été remplacé par la dénomination « un gâteau oblong avec la crème ». Mais malgré cela, je restais une langue de la culture dans la société soviétique. J’affermissais les rapports entre la Russie et la France, on peut citer comme preuve la lutte en commun contre le fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans les années soixante, j’ai découvert aux Russes l’univers des chansons françaises : Yves Montand, Charles Aznavour, Adamo, Mireille Mathieu, Joe Dassin ont trouvé dans l’Union Soviétique des auditeurs reconnaissants et des admirateurs. Les Russes apprenaient les paroles, ils écoutaient les mélodies des chansons françaises aux bals en plein air et pendant les leçons de langue étrangère. J’invitais aussi mes amis d’enfance en Russie, ils l’admiraient et parfois ils s’exclamaient : « Ah, des babouchkas russes ! Oh, des visages incroyables ! ». 

En ce qui concerne nos jours, je peux dire avec assurance qu’à tout moment je trouve beaucoup de nouveaux amis et admirateurs, la plupart d’eux habite justement en Russie. Je tâche de faire leur connaissance avec mes copains français, de cette façon, on a un certain échange culturel. Quoi qu’il en soit, je pense que ce n’est que le début et j’ai beaucoup de choses à faire pour le bien de la Russie et de la France. Je conçois des projets grandioses, mais j’ai besoin de quelque temps pour les réaliser. N’anticipons pas, je ne vous dirai que ceci : j’ai l’intention de rester un ami fidèle et sûr des Russes pour longtemps. Mais qui vivra verra. Voilà, il faut partir, j’ai beaucoup de travail urgent aujourd’hui qui ne doit être renvoyé aux calendes grecques. Donc, je vous dis au revoir et à bientôt ! ! !

Après tout ce qui a été dit, je peux ajouter que j’ai rêvé d’un tel ami depuis longtemps et je suis très heureuse que je l’aie finalement trouvé !

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