Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №5/2010

Arts et culture

Gauguin, la Bretagne et ses peintres

1. Les leçons de Pont-Aven

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Paul GAUGUIN, La Belle Angèle

Lettre de Gauguin à Van Gogh, le 24 juin 1889 : « Votre idée de venir en Bretagne au Pouldu me paraît excellente si elle était réalisable. Car nous sommes De Haan et moi dans un petit trou éloigné de la ville sans d’autre communication qu’une voiture de louage. Et pour un malade qui a besoin de médecin quelquefois… c’est scabreux… En outre, si je parviens à faire mon affaire pour Madagascar, je ne serai plus là au commencement de septembre, ainsi que De Haan qui va repartir en Hollande. ».

Vincent est alors à Auvers-sur-Oise. La nuit du 24 décembre 1888, où il s’est disputé avec Gauguin n’est pas oubliée. Mais ils n’ont pas rompu. Vincent rêve à nouveau d’une communauté de peintres, pourquoi pas en Bretagne, pourquoi pas encore avec Gauguin et son entourage de peintres au Pouldou. Un mois plus tard, le 27 juillet, Van Gogh se suicide. Gauguin ne pouvait envisager de recommencer une nouvelle expérience de vie commune avec Van Gogh. Il séjourne alors pour la quatrième fois en Bretagne. Il est là avec De Haan, un jeune peintre hollandais qui subvient à ses besoins en échange de leçons et de conseils. Il n’a maintenant qu’une envie, celle de partir, au Tonkin ou à Madagascar (alors colonies françaises). L’endroit lui est égal pourvu qu’il puisse y créer un « atelier des tropiques », où il pourrait peindre et vivre pour pas cher. Après son passage à Paris et la vente aux enchères de ses tableaux qui lui paient le voyage, il s’embarque en avril 1891 pour Tahiti… et une autre aventure.

Gauguin avait découvert la Bretagne quelques années auparavant. Pourquoi la Bretagne et la région de Pont-Aven ? Au milieu du XIXe siècle, la Bretagne est une lointaine péninsule qui pointe son nez dans l’Atlantique. Elle sort à peine d’un isolement favorisé par son éloignement de l’Île-de-France et de Paris. On y parle plus breton que français. C’est une terre âpre et sauvage aux côtes battues par le vent, aux ciels changeants. Ses bardes, l’équivalent breton des troubadours du Midi, chantent les vieilles légendes celtiques. Les habitants sont pétris de traditions. Ils sont encore rebelles aux modes modernes de Paris. Les femmes ont de larges jupes. Elles portent des coiffes blanches. Les hommes vont en pantalons serrés, des chapeaux garnis de rubans sur la tête. Il y a là une profonde piété, une profonde religiosité, une certaine rudesse aussi, un monde qui semble sorti de la terre primitive. Gauguin y puise les sources d’une inspiration qu’il développera à Tahiti.

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Maurice DENIS, Regates

Dès 1862, le chemin de fer arrive directement de Paris à Quimperlé. De là, il est aisé de se rendre à Pont-Aven avec la malle-poste, voiture à cheval qui transporte courrier et passagers. Pont-Aven est un village de caractère. Il le reste encore aujourd’hui. En 1864, un jeune peintre américain, cheminant du port de Concarneau à la gare de Quimperlé s’y était arrêté. Il y avait fait un croquis de moulin. « C’est le plus joli village que j’ai jamais vu », avait-il écrit. Bientôt viennent séjourner là des peintres américains, des peintres anglais, puis français, plus tard quelques Russes et Polonais.

Pont-Aven doit son nom au pont qui franchit l’Aven (rivière en breton), juste avant qu’elle ne s’élargisse vers la mer en une large vallée que remonte la marée. Lorsque celle-ci est haute, des bateaux de pêche et de petits bateaux de commerce viennent s’y ancrer. Le site est encadré de collines, donnant un aspect « de montagne » à la fois paisible et sauvage. Il y a de nombreuses promenades alentour. Parmi celles-ci, le « Bois d’Amour » est particulièrement pittoresque avec ses sentiers boisés en bordure de la rivière, clapotant et sinuant sur ses rochers. En venant de Concarneau, on découvre, au-delà du pont, les maisons du village. Il y a là une pension, la pension le Gloanec. L’accueil y est chaleureux. Le gîte et le couvert sont d’un prix raisonnable. Un peu plus loin la malle-poste s’arrête à l’hôtel du Lion d’Or et à l’Hôtel des Voyageurs. D’abord tout petit, ce dernier va devenir sous l’impulsion de sa propriétaire la belle Julia, l’hôtel Julia. Ses annexes comprennent quelques ateliers d’artistes. Il y a la rivière, des petits canaux qui dérivent leurs eaux vers une douzaine de moulins, ses lavandières en coiffe qui frappent le linge sur des roches aplaties et sont de parfaits modèles… et parfois plus. Il y a le marché hebdomadaire, l’animation du port, les marins, les marchands. On y parle beaucoup le breton mais aussi le français. Les habitants sont accueillants. Ils posent avec plaisir – sauf en période de moisson – moyennant quelque modeste argent. La nourriture est bonne, les prix peu élevés. La campagne est riche de points de vue. Il y a des chapelles perdues, telle celle de Tremolo où Gauguin déniche le Christ en Croix, d’un style primitif qu’il lui inspire son tableau le Christ Jaune, préfiguration de ses peintures de Tahiti.

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Émile BERNARD, Moisson en bord de mer

À proximité Concarneau, petite ville portuaire active avec ses bateaux, ses sardiniers, ses cafés, ses lieux de plaisir, son cadre pittoresque où tout est sujet de peinture. Et puis, les côtes semi-désertes du sud de la Bretagne. Des rochers battus par les flots encadrent des plages mangées par le roulis des vagues, des landes rases où fleurissent le genêt et l’ajonc, où se nichent de rares hameaux. Parmi ceux-ci, les quatre ou cinq maisons du Pouldu.

Gauguin, qui est venu quatre fois en Bretagne de 1886 à 1890, a finalement décidé de s’installer là.

Le Pouldu est un petit hameau situé au bord de la mer, dominant une vaste hanse où se jette plus loin une rivière, la Laïta. La plage des Grands Sables s’enferme dans des rochers où se perchent, d’une part, la maison du douanier, d’autre part, celle du Pen-Du, que le français a déformé en « pendu ». Une buvette avec quelques chambres se dresse là. Elle est tenue par une orpheline qui a amassé quelques sous à Paris comme femme de chambre. Marie Henri, dite Marie Poupée pour sa beauté, fait marcher sa buvette fréquentée par les ramasseurs de goémon, les marins et les pêcheurs du petit port sur la Laïta.

L’arrivée des peintres va tout changer. C’est une joyeuse équipe que décrira le jeune André Gide de passage un jour, hirsute, pieds nus, rigolard, plein d’histoires : Gauguin et son ami De Haan qui va faire à Marie un enfant, une petite fille qu’il ne verra jamais, Sérusier, Filiger, Moret… On loge chez Marie où l’on peint murs et plafonds de motifs aujourd’hui dispersés. L’Atelier est d’abord à la villa Mauduit, puis dans l’appentis même de l’hôtel. On se lève tôt, on parcourt la campagne, on dessine, peint, discute, boit, on se couche tôt.

La buvette de la plage est aujourd’hui reconstituée à quelques pas de l’ancienne buvette aujourd’hui café-tabac. Le paysage n’a guère changé. Le ciel est toujours aussi changeant, aussi lumineux, les vagues aussi déferlantes et la lande aussi pelée.

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Vincent VAN GOGH, Gauguin

Lorsqu’il était arrivé à Pont-Aven la première fois, Gauguin avait été étonné d’y trouver un si grand nombre d’artistes, plusieurs dizaines ! L’ambiance en faisait disait-on un second Barbizon. Dans la campagne, parmi les habitants, Gauguin trouve quelque chose de « sauvage », de « primitif », qu’il recherche : « Quand mes sabots résonnent sur le sol de granit, j’entends le ton sourd, mat et puissant que je cherche en peinture », dit-il. Il va rencontrer Émile Bernard que lui a recommandé Van Gogh. Ce jeune peintre qui se détache du pointillisme, expérimente une peinture faite d’aplats de couleurs qu’il entoure de traits sombres qui enferment les formes. Il peint Les Bretonnes dans la prairie verte. Gauguin peint  La Vision du Sermon. C’est la naissance de ce que l’on appelle le cloisonnisme et le synthétisme (aplats de couleurs franches, cernes noires dessinant des formes simplifiées, effacement des perspectives). La confrontation des deux peintres est fructueuse. Elle conduira cependant à une rupture. Émile Bernard ne pardonnera pas à Gauguin d’avoir laissé courir le bruit que la paternité de ce nouveau style n’appartenait qu’à lui. Gauguin a rencontré aussi, à Pont-Aven, Paul Sérusier. C’est au Bois-d’Amour qu’il le conduit à peindre sur un morceau de bois, un paysage aux couleurs forcées, presque abstrait que l’on appellera Le Talisman  (Musée d’Orsay à Paris). C’est l’acte de naissance d’un nouveau groupe : les Nabis (en hébreu, les Prophètes). Paul Sérusier affirme que Gauguin lui a dit : « Comment voyez-vous cet arbre ? Il est vert ? Mettez donc du vert, le plus beau de votre palette. Et cette ombre, plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible ».

Quand à Maurice Denis, il tire du Talisman cette leçon, aujourd’hui universellement connue : « Se rappeler qu’un tableau avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Leçons de Pont-Aven, leçons tirées des lumières et des paysages de Bretagne parcourus de Concarneau à Huelgoat, de Saint-Brieux à Morlaix, par des artistes venus du monde entier.

2. Les peintres russes en Bretagne

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Paul SERUSIER,
Ève bretonne ou Mélancolie

Parmi ces peintres, les Russes ne furent pas absents. Dès les années 1860, ceux-ci sont attirés par la France. Paris offre le cadre de ses salons, de ses expositions où la confrontation est permanente. Alors que l’Académie des Beaux-Arts exigeait un bon niveau de français, l’Académie Julian créée en 1867 s’ouvre largement à tous, y compris aux femmes en 1880. Les meilleurs maîtres y professent. Pour qui est boursier de la célèbre Académie de Saint-Pétersbourg (créée par l’impératrice Elisabeth, fille de Pierre le Grand en 1757) et peut bénéficier d’un séjour à l’étranger, l’Italie reste certes un passage obligé. On y revisite son héritage classique. Mais c’est la France qui est la plus choisie, comme lieue de long séjour. Les jeunes peintres russes ressentent une certaine parenté avec les peintres français dans la remise en cause de la peinture académique à thème historique ou mythologique. En 1863, est créé à Paris le « Salon des refusés », organisé par ceux qui ont vu leur travaux rejetés du Salon officiel. Cette même année, des élèves de l’Académie de Saint-Pétersbourg ont refusé les sujets imposés de mythologie nordique. Ils sont à l’origine du mouvement des « Ambulants » qu’ils créent en 1870. Dès lors, on sort des ateliers, on privilégie le portrait, les hommes au travail, les sujets à caractère social, le paysage. La confrontation avec la peinture réaliste et naturaliste de l’École de Barbizon, plus tard avec certaines formes de l’impressionnisme sera stimulante.

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Paul SERUSIER, L’Averse

Le parcours d’Alexeï Bogolioubov est exemplaire. Lauréat de l’Académie, il part pour un voyage qui passe par l’Allemagne et par Rome. Là, il découvre en 1857 la Villa Médicis. Cette prestigieuse institution française a été créée par Colbert, ministre de Louis XIV, pour l’édification des peintres et des sculpteurs, sous le nom d’Académie de France à Rome. Depuis 1803, elle est installée à la Villa Médicis. Elle continue encore de nos jours d’accueillir peintres, sculpteurs, mais aussi poètes, romanciers, musiciens… Bogolioubov s’extasie devant la nouvelle manière de peindre qu’il a sous les yeux : la peinture de la nature sur le vif, loin des ateliers, de leur académisme, de leurs paysages composés pour servir de décors à des scènes mythologiques. Arrivé à Paris, il rencontre Eugène Isabey qui lui donne quelques leçons. Celui-ci, peintre réputé pour ses « marines » (il a formé le jeune Eugène Boudin qui deviendra un maître dans ce domaine et dont il faut voir les toiles exposées au Musée de Honfleur), est lui-même le fils du célèbre aquarelliste et lithographe qui a représenté dans les années 1830 tant de vues pittoresques de la France. Il lui conseille de voyager en Bretagne et en Normandie. Il découvre le village de Veules-les-Roses, les falaises d’Étretat, Saint-Malo (il y peint en particulier la Tombe de Chateaubriand, aujourd’hui au Musée Radichtchev de Saratov), puis le port breton de Douarnenez, la côte de Pornic (Le Clair de lune, Les Blanchisseuses). Il se situe dans le sillage de l’École de Barbizon et de Corot. Il joue un rôle considérable auprès de la communauté des peintres russes installés en France. Il est l’initiateur en 1870 de l’Association d’entraide des artistes russes à Paris dont le secrétaire ne fut pas moins qu’Ivan Tourgueniev !

L’habitude du voyage en France qui ne se limitait pas à Paris était prise. En 1897, Alexandre Benois et sa famille, comme tant d’autres, sont attirés par la Bretagne. Il est en compagnie de son neveu Lanceray. Ils s’installent à Primel-Trégastel, petit village situé sur la côte rocheuse de l’Armor, pas loin de Morlaix. Ils s’émerveillent des formes torturées, mystérieuses des rochers qui évoquent les vieilles légendes bretonnes, des manoirs à l’esprit sauvage et rustique, de petites églises de granit et des calvaires semés dans un paysage aux lumières changeantes. Le tableau Danses bretonnes conservé au Musée Russe de Saint-Pétersbourg témoigne de cette période. C’est là, que Diaghilev est venu et qu’ils ont posé les principes d’un mouvement « Mir Iskousstva » (Le Monde de l’Art) dont la première revue paraît à Saint-Pétersboug dès 1898.

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Paul SERUSIER, La Grammaire

Certes, il y a l’influence de Gauguin, quand on le connaît, ce qui n’est pas le cas de Benois, mais surtout une attirance pour les vieilles légendes celtiques et les traditions venues du fond des temps. Elles sont l’objet d’illustrations faites par des auteurs russes qui ont séjourné en France et en particulier en Bretagne. Lanceray illustre ainsi une Légende des vieux châteaux bretons. Alexandre Blok, le poète, conçoit son œuvre La Rose et la Croix, à partir d’un séjour qu’il fait en Bretagne dans l’été 1911.

« L’ouragan gémit
Et chante l’océan
La neige tourbillonne
Le siècle passe en un instant
Le rêve nous porte aux heureux rivages ».

Il serait long de faire la liste des peintres russes venus en Bretagne. Une exposition leur a été consacrée en 2006 au Musée breton de Quimper. Une partie de ces peintres, nés en Russie et passés par la Bretagne, sont restés en France et ont aussi peint d’autres régions, comme le Midi. On peut citer en particulier : Zinaïda Serebriakova, la sœur de Lanceray qui laissera de nombreuses vues, des portraits et des scènes de genre ; son fils Alexandre Serebriakoff qui a beaucoup peint Concarneau, Marie Vassiliev pour son Académie libre crée dans son atelier de l’avenue du Maine à Paris, Ivan Peské, Alexandre Vassilev, Ossip Braz (Paysage de montagne en Bretagne, Paysage avec arbre sont au Musée Russe de Saint-Pétersbourg) et tant d’autres.

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