Les Routes de l’Histoire
Nathalia SOUKHODOLSKAYA
René Descartes et son siècle : une petite gorgée de libertinage intellectuel
La seconde moitié du XVIIe siècle est, avant tout, non seulement, pour la France mais pour l’Europe, celui du cartésianisme dont René Descartes est le « père fondateur ». La pensée philosophique cartésienne change bien fortement les points de vue intellectuels de l’époque en donnant une place primordiale à la Raison. Toute la philosophie du XVIIe siècle se fonde sur la problématique posée par Descartes. Parmi les plus fameux cartésiens on peut nommer les philosophes Nicolas Malebranche, Blaise Pascal, Antoine Arnaud, Jaques Rohault, Pierre Gassendi, Pierre Sylvian-Régis, partiellement Baruch Spinoza et Gottfried Leibniz.
René Descartes est né à La Haye, le 31 mars 1596. Son père s’est occupé attentivement de l’éducation de son plus jeune fils et a été frappé par la curiosité, la facilité pour les mathématiques et la soif de savoir de René. Vers sa dixième année, Descartes est envoyé au collège de Jésuites de La Flèche et il suit pendant 8 ans le cours des études profondes et sérieuses dirigées par des maîtres de grande qualité. Après avoir quitté La Flèche, peut-être en quête d’une occupation, Descartes fait quelques voyages. En 1618, on le retrouve en Hollande, engagé dans les armées. Comme dit la légende, en novembre 1619, Descartes gelé du froid s’abrite dans la poêle belge et y fait le rêve d’une « science admirable ». Il prend cela pour un signe lui enjoignant de consacrer le reste de sa vie à la recherche de la vérité. À cette époque, les philosophes dogmatiques n’offraient que des systèmes plus ou moins renouvelés des Grecs, avec quelques propositions qui les rendaient suspects à la théologie régnante ; et les autres faisaient un grand étalage d’érudition, pour avouer finalement qu’ils ne savaient rien. Le reproche principal de Descartes aux telles philosophes consiste en ce que leurs systèmes sont contestables, donc ils ne peuvent pas obtenir la vérité. Évidence et certitude – telles sont les deux bouts de la future Méthode de Descartes.
Après quelques autres voyages et de longs séjours en province et à Paris, en 1629 Descartes décide de s’installer encore en Hollande afin d’y travailler en paix. Désormais les événements majeurs de sa vie sont ses œuvres. Le premier ouvrage de Descartes écrit en latin, sous le titre Les Règles pour la direction de l’esprit, devient le premier exposé de la méthode cartésienne. Puis Descartes commence un autre petit traité de métaphysique et la rédaction d’un traité de physique qui expose la structure du monde. En 1637, il publia, mais sans le signer et en français (ce qui est d’une grande nouveauté pour l’époque), le Discours de la Méthode suivi de trois petits essais scientifiques : La Dioptrique, Les Météores et La Géométrie. Autres grandes œuvres se succèdent rapidement : Les Méditations métaphysiques, Les Principes de la philosophie, puis une version française de ces Principes, et enfin le traité Les Passions de l’âme parut en Hollande et en France en novembre 1649 alors que Descartes est déjà arrivé à Stockholm où il mourra très peu de temps après, le 11 février 1650.
Descartes cherchait une science pratique qui puisse guider les hommes dans les divers chemins où ils s’engagent, les aider à devenir « maîtres et possesseurs de la nature ». Pour cela il faut savoir manier les choses, les transformer, au lieu de les considérer comme constantes et intouchables. Descartes cherchait une méthode qui permette à l’esprit de progresser avec assurance et lucidité dans la recherche de la vérité, dans n’importe quel domaine de la connaissance.
Descartes commença par le doute méthodique. Afin de s’assurer de la solidité de nos connaissances, il faut trouver une fois pour toutes un fondement inébranlable à partir duquel nous pourrions déduire tout le reste. C’est sur le doute que Descartes espère fonder les sciences. Mais il faut comprendre que nos préjugés et la précipitation nous empêchent souvent de bien juger. De plus, nous pouvons être trompés par nos sens. Mais il reste toujours quelque chose dont nous ne saurions jamais douter : tandis que je doute, je sais que j’existe, car s’il y a un doute, c’est qu’il y a nécessairement quelqu’un qui est là pour douter : ego cogito, ergo sum (je pense donc je suis). Toutes les idées de notre connaissance, de notre existence doivent avoir une cause, un fondement car c’est un principe postulé par Descartes que tout effet doit avoir une cause. Quelle place Descartes assigne à la morale ? Pour lui elle est le fruit le plus parfait de toutes les sciences. Et les sciences elles-mêmes ont en effet pour but d’améliorer la vie humaine, pour que l’homme puisse bien conduire sa vie, maîtriser ses passions, et laisser ce qui n’est pas en notre pouvoir, c’est-à-dire savoir distinguer entre ce qui n’est pas en notre pouvoir de ce qui est en notre pouvoir. Seule la volonté est en notre pouvoir. Notre capacité à douter sans borne est une preuve, pour Descartes, du caractère illimité de notre volonté et de l’existence de notre liberté. Ainsi Descartes pose un nouvel idéal de l’homme libre, cultivé mais imparfait et cette philosophie a eu son retentissement dans l’art et la littérature.
Le développement de l’art à l’époque de Descartes peut être caractérisé par deux courants esthétiques : baroque et classicisme. Venu d’Italie et moins violent en France qu’en d’autres pays européens, baroque est attaché à une conception cartésienne d’un monde instable, d’un monde en transformation incessante. En littérature, le baroque comporte une multitude de tendances contradictoires mais peut se concentrer autour de quelques principes communs : goût de la sensualité, des extrêmes, de l’ornementation, du langage à effets. Les genres privilégiés du baroque sont la poésie, telle de Théophile de Viau, Pierre de Marbeuf ou Saint-Amant, et le théâtre, par exemple L’Illusion comique de Pierre Corneille. Durant la période de transition qui va de 1630 à 1661, le baroque, bien que peu à peu supplanté par le classicisme, continue à jouer son rôle. Il est présent dans le courant précieux, le courant burlesque et le courant libertin. Cependant ces trois courants ne se confondent pas avec le baroque, mais chacun développe, de façon privilégiée, un de ses aspects.
Le courant précieux est un mouvement esthétique de la classe féodale aristocratique vaincue par l’absolutisme. La préciosité est un désir de se distinguer du commun, d’être individuel. C’est aussi une volonté d’élégance, une tendance au raffinement dans le domaine du comportement, des manières, du goût aussi bien que dans celui du langage et de la littérature. La société précieuse s’épanouit dans les salons dont les plus célèbres sont ceux de la marquise de Rambouillet et de Madeleine de Scudéry. La littérature y est un des sujets privilégiés. La volonté d’élégance dans la conversation, la recherche de pureté du vocabulaire en proscrivant les jargons, les archaïsmes, le langage populaire et l’invention de termes nouveaux conduisent à des abus et c’est là que s’exprime avant tout leur esprit de classe.
Libertinage est un courant idéologique qui part de la philosophie matérialiste de Pierre Gassendi, un des célèbres disciples de Descartes. Les libertins (libres penseurs) se détachent de la religion officielle, le christianisme, raillent les pratiques religieuses, manifestent leur indépendance de la pensée et tendent à donner à l’existence humaine un sens uniquement terrestre. Ce courant assure ainsi la transition entre l’humanisme de la Renaissance et la philosophie du siècle suivant, celui des Lumières. Cyrano de Bergerac, disciple de Gassendi, est le représentant le plus éminent de la pensée libertine.
Dès le début du XVIIe siècle, par opposition au pouvoir absolu, à la préciosité et au classicisme, se développe un courant bourgeois, réaliste et burlesque. Les écrivains s’intéressent aux réalités quotidiennes les plus crues et rendent compte dans leurs œuvres de la diversité de l’homme et ses contradictions. Pour mieux expliquer ces contradictions humaines, ils pratiquent l’exagération et introduisent ainsi une dimension comique.
Enfin, le classicisme, une des époques culturelles les plus brillantes de l’histoire de la France, est une expression idéologique et esthétique de la monarchie absolue. Il se développe pendant toute la première partie du siècle et atteint son apogée vers les années soixante. Le classicisme est en liaison étroite avec les courants philosophiques de l’époque, en premier lieu celui du rationalisme de Descartes dont il subit l’influence. L’esthétique classique est fondée sur trois principes essentiels : rationalisme, imitation de la nature et l’imitation de l’Antiquité. Le classicisme établit la suprématie de la raison qui s’exerce par des règles. Peindre le beau et le vrai est la grande préoccupation des écrivains et des artistes. Peindre le vrai, c’est peindre la nature humaine, peindre l’homme et la réalité. La vraisemblance et la bienséance sont à la base de l’imitation de la nature.
L’époque classique est, donc, siècle majeur pour la philosophie, la langue et la littérature françaises et cet essor peut être considère comme inséparable d’œuvres de René Descartes et les cartésiens.