Arts et culture
Gréta TCHESNOVITSKAYA
Amedeo Modigliani : « Le bonheur est un ange au visage grave »
Amedeo Modigliani fournit, déjà de son vivant, le portrait de l’artiste maudit. La postérité s’est chargée de faire de lui le Rimbaud de la peinture moderne, en sorte, qu’il est difficile de séparer sa vie et sa démarche artistique du mythe qui l’entoure.
« Il était très séduisant, très beau, brillant et intelligent, artiste virtuose, féru de poésie, de littérature et de philosophie, mais en même temps, il cachait derrière tout cela une fragilité psychologique. » (Marc Restellini)
Après avoir séjourné à Venise, Modigliani décide de tenter l’aventure à Paris. En ce début du siècle, Paris symbolise la liberté qui attire un grand nombre d’artistes et d’intellectuels. Il y arrive en 1906. Il a alors 22 ans.
« Modigliani déborde d’espoir et d’enthousiasme. Il n’a qu’une idée en tête : plonger dans le monde artistique le plus riche du siècle. Il n’est pas question de perdre un instant. Avant de partir, il se choisit une garde-robe digne de l’art qu’il a choisi d’exercer : costume de velours, bottines de cuir noir, larges chemises blanches, foulard autour du cou. Une boîte de couleurs, des feuilles de dessin, des livres, une série de photos des œuvres d’art italiennes classiques achetées dans les musées complètent son équipement », écrit Christian Parisot.
Avec Sam Granowski, le sculpteur russe, Modigliani découvre à Paris les grands noms de cette peinture révolutionnaire dont il avait eu vent en Italie : Dufy, Braque, Matisse, Vlaminck, Van Dongen, Rouault. Il découvre aussi les bois sculptés de Gauguin, inspirés des sculptures primitives et l’art africain. C’est une révélation ! Le jeune artiste passe des journées entières au Louvre à contempler les salles égyptiennes. Désormais, il cherche à simplifier les formes, comme sur les masques africains ou sur les corps de femmes de Cézanne.
Ayant épuisé ses réserves et vivant au jour le jour, Modigliani habite chez un camarade. On le retrouve quelques mois plus tard, misérablement installé dans le quartier de Montmartre, errant de brasserie en café, récitant à la perfection des passages entiers de Dante, Verlaine ou Rimbaud, toujours ivre, exécutant en un tour de main des dessins sublimes, qu’il donne souvent ou vend pour quelques sous. Pour trouver la forme parfaite, Modigliani dessine sans relâche. Puis il sculpte directement dans la pierre. Mais c’est tellement difficile !
Il décide de se consacrer entièrement à la peinture. À cette époque, Modigliani se lie d’amitié avec le peintre Maurice Utrillo, amitié qui durera toute sa vie. Il découvre aussi les œuvres de Toulouse-Lautrec.
Mais « Modi » n’est pas encore né. Ce n’était qu’un jeune Italien, très beau, dont les belles boucles brunes encadrent un visage aux traits classiques. Dans le quartier, il est connu pour ses excès. Avec Maurice Utrillo, qui est son fervent admirateur, ils ont coutume de vider d’un seul trait toutes les carafes de vin qui sont sur la table d’un bistrot.
Sa santé est fragile, il est tuberculeux. Il n’est pas rare, sous l’influence du haschich, de le voir briser ses sculptures et déchirer ses toiles. En 1908, Modigliani emménage au Bateau-Lavoir, où habitent toujours Picasso, Braque, Van Dongen et tant d’autres. Il se passionne pour tout ce qu’il voit dans leurs ateliers, mais ne se reconnaît pas dans les grands courants de cette période. Toujours à court d’argent, il refuse avec mépris de dessiner, comme tant d’autres artistes, pour les affiches de spectacles, les revues et les journaux satiriques.
Il cherche à se définir et, à partir de 1915, commencera à accumuler les portraits qui constituent l’essentiel de son œuvre.
En 1917, le peintre rencontre une jeune étudiante Jeanne Hébuterne qui va apporter un peu de joie dans sa vie agitée. Lorsque le peintre décède, rongé par la tuberculeuse le 24 janvier 1920, sa compagne, désespérée, se suicide en se jetant par la fenêtre.
« Modigliani avait une force de caractère incroyable. Au point qu’il a entraîné dans la mort son amie. Cette fin tragique a fait de Modigliani un peintre misérable, ce qu’il n’a jamais été. On ne voyait plus que l’artiste maudit. » (Anna Akhmatova).
Amedeo Modigliani à Moscou
Pour la première fois, le Musée des Beaux-arts Pouchkine organise une rencontre avec Amedeo Modigliani à Moscou. Passionnés par ses tableaux et fascinés par sa relation mystérieuse avec Anna Akhmatova, nous connaissons ce peintre d’après les reproductions. Par bonheur, on l’a découvert enfin en vrai, lors d’une première rétrospective dans le Musée Pouchkine à Moscou.
L’exposition intitulée « Rencontre avec Modigliani » offre une vingtaine de peintures, autant de dessins et une sculpture venus des musées du monde entier dont MoMa, Metropolitan Museum de New York, Tate Modern de Londres, le Musée Picasso de Paris et des collections privées.
« Nous avons attendu depuis longtemps cette rencontre, a déclaré Irina Antonova, directrice du Musée Pouchkine et admiratrice du peintre. Modigliani est un peintre merveilleux pour la beauté, l’esprit et l’humanisme de ces œuvres qui réchauffent le cœur. »
Une citation d’Anna Akhmatova sert d’épigraphe à l’exposition : « Tout le côté divin de Modigliani étincelait à travers la pénombre. Il ne ressemblait à personne d’autre au monde ». Les relations entre Modigliani, ce roi de la bohème parisienne, et Akhmatova, symbole de la souffrance russe, malmenée de son vivant en URSS pour « érotisme, mysticisme et indifférence politique », est pour les Russes la page la plus touchante de la biographie de Modigliani.
Modigliani et Akhmatova se sont rencontrés à Paris en 1910, lorsque la poétesse était en voyage de noce avec le poète Nikolaï Goumiliov dont elle se séparera en 1918 et qui sera fusillé par la Tchéka en 1921.
Les dessins représentant Akhmatova datent de 1911. Les 16 dessins qu’il lui avait offerts ont péri pendant la Révolution. Une dizaine d’autres dessins ont été retrouvés dans la collection du docteur Paul Alexandre, ami de Modigliani, mais c’est seulement en 1994, qu’on y avait identifié Akhmatova.
L’autre témoignage de la vie romantique et tragique de Modigliani présenté au Musée Pouchkine est une série de portraits de son épouse Jeanne Hébuterne issue d’une bonne famille bourgeoise, tombée amoureuse du peintre et qui, enceinte, s’est suicidée le lendemain de sa mort.
Une partie de l’exposition est consacrée aux documents biographiques et à des photos de la collection de l’Institut Modigliani qui racontent son existence tumultueuse qui se termina tragiquement lorsqu’il avait 35 ans.