Arts et culture
STÉPHANIE
Des cornichons au chocolat
(extrait)
(Suite. Voir N° 12, 13, 15, 17, 18, 19, 21, 22, 23, 24/2007)
Le drame
Le troisième jour ou le quatrième, je ne sais, j’allais vraiment mieux, alors j’ai mangé des trucs et je suis sortie pour aller voir les vaches. En rentrant, Mamo m’a dit : « Maintenant que t’es bien, je vais pouvoir aller à la ville, je reviens, tu gardes la maison, ma fille. »
Je me suis dit alors que peut-être elle commençait à me faire confiance et que peut-être je pourrais vivre avec elle mais quand elle est partie et que je me suis retrouvée seule, j’ai eu un vrai coup de cafard. D’un seul coup j’ai pensé aux copines et à l’Autre et à maman et pas forcément dans cet ordre et j’ai eu envie de revoir tout le monde et j’ai paniqué. Je me suis dit que maman devait être au dernier degré de l’angoisse, que j’étais une dégueulasse de ne pas penser à la trouille que je devais lui filer et qu’elle me cherchait peut-être partout dans toute la France avec des gendarmes, enfin bref que j’étais une imbécile tarée débile capricieuse et égoїste. J’avais pensé à rien d’autre qu’à moi. J’étais vraiment aussi nulle qu’un adulte.
Alors j’ai dit à Garfunkel : « J’en ai marre et je veux rentrer à la maison, pas toi ? »
Il m’a pas répondu. Il était pas dans la cuisine. Je suis remonté dans la chambre à coucher, il y était pas non plus. Il avait pas touché à sa nourriture et le sable dans son seau était toujours propre. J’ai commencé à l’appeler : « Garfunkel ! Garfunkel ! »
Et puis après j’ai appelé mais je l’entendais pas me répondre. Je l’aime tellement mon chat et je suis tellement habituée à lui que quand il est pas quelque part, je le sais tout de suite. Il y a comme une sorte de silence sans Garfunkel que je suis la seule à comprendre et à sentir. Et là je l’ai senti, ce grand silence. Il était plus là, il était plus dans la maison de Mamo, il s’était passé quelque chose. J’ai eu une trouille terrible, j’étais plus du tout malade plus du tout cafardeuse, il fallait absolument que je le retrouve, je pensais plus qu’à lui.
Alors je me suis dit que Garfunkel avait dû sortir pendant que Mamo ouvrait la porte et que ce grand chien-loup Médor avait dû le courser et le chasser et que mon chat était quelque part perdu dans la nature. Parce que Garfunkel, dès le départ, c’était évident qu’il était contre tout ce que je faisais, mais je ne m’en rendais compte que maintenant. Un chat, c’est absolument pas fait pour bouger, pour le froid, pour la nuit pour tout ce cinéma pour les camions pour l’auto-stop pour les sacs dans le dos et pour toutes ces conneries incroyables et irresponsables que je lui avais fait subir. Et puis ça déteste les endroits inaccessibles. Alors, forcément, dès qu’il a pu, il a fiché le camp.
Il avait attendu que je sois guérie parce que c’est un génie de l’amour, mon chat, et il s’est d’abord préoccupé que j’aille à peu près bien mais dès qu’il a vu que j’allais bien, alors dès qu’on lui a laissé une porte ouverte, une seconde de trop, paf boum crac, il s’est barré.
Et tout ça, c’était ma faute.
J’ai mis mon blouson, j’ai mis des bottes pourries en caoutchouc qui étaient sous l’évier de la cuisine et je suis partie à la recherche de Garfunkel dans la campagne. Je criais partout, je l’appelais par son nom, puis je me taisais et j’attendais qu’il réponde et il se passait rien. J’ai couru dans les prés. J’ai traversé trois petits bouquets d’arbres et de buissons. J’avais plus de voix tellement je l’appelais. J’ai dû faire un très grand circuit à pied parce que je me suis retrouvée sur la grande route d’Arville avant le petit chemin qu’on prend pour rentrer chez Mamo. J’étais fatiguée, je pleurais, je sais plus ce qui m’arrivait. Et puis sur la route, avant qu’elle tourne pour qu’on prenne un chemin pour aller chez Mamo, je l’ai vu, Garfunkel, il était sur le goudron, il bougeait pas ; j’ai tout de suite compris qu’il était mort.
C’était certainement un camion ou un tracteur ou une grosse moto qui lui était passé dessus. Je l’ai pris dans mes bras. Il était encore tout chaud. Je suis rentrée très doucement sans pleurer. J’essayais de me dire des choses, j’essayais de me dire qu’il était encore avec moi mais qu’il était aussi déjà parti dans le ciel, de l’autre côté du Vide, et je priais fort fort fort pour qu’il soit pas trop malheureux parce que sinon je pourrais pas vivre si j’avais pas au moins cet espoir, l’espoir qu’il était heureux ailleurs.
Je voyais plus tellement j’avais les yeux et ma tête dans sa tête à lui pendant que je marchais. Quand j’ai relevé la tête juste avant d’arriver à la maison de Mamo, j’ai vu une voiture et j’ai reconnu celle de ma mère et j’ai vu maman qui courait vers moi en ouvrant ses bras et j’ai vu Mamo derrière elle et j’ai vu des gendarmes et une voiture comme ils en ont, bleue avec un truc sur leur toit, et j’ai vu que tout le monde s’arrêtait en me voyant – tout le monde sauf maman qui continuait à courir vers moi et qui criait et qui criait, elle était belle ma mère quand elle courait, j’étais tellement soulagée de la voir et alors moi j’ai crié aussi : « Maman maman, Garfunkel est mort ! »
Mais je sais que j’ai crié aussitôt après : « Oh maman je t’en supplie, pardonne-moi ! »
Elle m’a prise dans ses bras, elle sentait bon elle était douce, elle m’a dit qu’elle m’aimait, on a pleuré toutes les deux avec Garfunkel entre nous deux et j’avais l’impression qu’il pleurait aussi.
VOCABULAIRE
confiance (f) – доверие
cafard (m) – тоска, хандра
forcément – обязательно
degré (m) – степень
angoisse (f) – тоска, тревога
dégueulasse – противный, отвратительный
trouille (f) – страх
fairz subir – зд. заставить испытать
taré – испорченный
j’en ai marre – надоело, хватит
nourriture (f) – пища
sable (m) – песок
seau (m) – ведро
quelque part – где-то
courser – догонять, преследовать
se rendre compte – давать себе отчет
subir – испытывать
inaccessible – недоступный
ficher le camp – убежать вон
se barrer – убегать, удирать, смываться
pourri – гнилой
évier (m) – раковина
se taire – молчать
circuit (m) – круг, зд. путь
goudron (m) – зд. асфальт
vide (m) – пустота, зд. небытие
prier – молиться
ailleurs – в другом месте
être soulagé – испытать облегчение
supplier – умолять
sentir – зд. пахнуть
Fiche pédagogique
Tatiana JELEZNIAKOVA
QUESTIONS
Le drame
- Parlez du cafard et de l’angoisse de Stéphanie. Où en est la cause ?
- Commentez les réflexions de Stéphanie sur Garfunkel et sur les chats en général ?
- Est-ce que vous avez un chat ? Est-ce que votre chat ressemble à Garfunkel ?
- Qu’éprouvait Stéphanie pendant qu’elle cherchait son chat ? Parlez de ses sentiments.
- Est-ce que la mort de Garfunkel c’était la faute de Stéphanie ?
- Expliquez la dernière scène du texte. Parlez des sentiments des personnages. Qu’est-ce que vous pouvez dire sur l’apparition de maman juste après la mort de Garfunkel ?