Arts et culture

Brel par lui-même

(Extrait de l’album souvenir
Jacques Brel. Hommage à un grand artiste)

– Mon principal défaut ? L’orgueil ! Mais l’orgueil qui penche vers la fierté. Je ne veux pas avoir à rougir de mon travail. J’ai le respect de la dignité de l’homme. Ma principale qualité ? La faiblesse ! Je n’arrive pas à dire non. Vu de l’extérieur, cela doit être un aspect de bon cœur. Mais peut-on exister sans bon cœur ?

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– Je suis optimiste et pessimiste de nature. J’ai un désespoir qui n’est pas triste du tout parce que je n’attends rien. L’espoir rend méchant parce que tout ce qu’on espère n’arrive pas. Comme je n’attends rien, je trouve prodigieux tout ce qui m’arrive. Je suis un homme qui rit beaucoup, tout le temps, même quand je n’en ai pas envie.

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– Je suis stupéfait de voir que des gens passent à côté du bonheur comme s’ils le faisaient exprès.

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– Je suis violent… mais j’ai été timide. Et je ne trouve pas cela très mal. Je ne me suis pas dégagé tout à fait de ma timidité.

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– Ce qui me rend violent ? Les hommes… les hommes qui attendent que les choses arrivent et qui gémissent en disant : « J’ai pas de chance ! ». Ça, ça m’énerve !

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– Mes chansons sont inspirées par ce qui m’arrive, ou ce qui m’est arrivé il y a longtemps. J’ai des sensations qui reviennent avec dix ans de retard.

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– J’attaque ce qui me dérange la vue, ce qui gêne le bonheur. Je suis obsédé par les choses laides ou vilaines dont personne ne veut parler, comme si on avait peur de toucher à une plaie qu’il faut soigner.

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– Je suis un chansonnier ! La chanson me permet d’exprimer mes indignations. Mais je ne m’en prends pas à des personnes précises : il ne s’agit pas d’une femme, mais d’un type de femme ; il ne s’agit jamais d’un homme, mais de dix hommes à la fois.

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– Je plante d’abord le décor de mes chansons pour que mes personnages évoluent à l’aise. Je préfère les paysages que ma mémoire de môme a retenus, des paysages que je reconnaîtrais si je les revoyais. Mais peut-être que les souvenirs déforment l’optique : mes décors sont moitié vus, moitié imaginés.

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– Je jette beaucoup de mes chansons. Si j’ai un tableau en tête et si ma chanson correspond à ce tableau, c’est parfait. Si ma chanson ne correspond pas à ce tableau mais qu’elle soit jolie, je la garde. Si elle ne correspond à rien et si elle n’est pas jolie, je la jette impitoyablement.

(d’après Télé-Poche, le 10 octobre 1978)