Arts et culture
Alphonse DAUDET
Lettres de mon Moulin
(Suite. Voir N°4/2008)
(extrait)
La chèvre de monsieur Seguin
À un ami poète.
Tu m’étonneras toujours… On te propose un emploi dans un journal et tu refuses ! Tu réussis en poésie ? Non ! Alors, sois journaliste, imbécile. Tu auras un salaire et de la considération.
Tu ne veux pas ? Tu préfères être libre ?
Alors, écoute, tu vas découvrir le prix de la liberté !
M. Seguin n’a pas de chance avec ses chèvres. Il les perd toutes de la même manière. Un matin, elles se sauvent et le loup les mange. Ce sont des chèvres indépendantes.
Un jour, M. Seguin achète une nouvelle chèvre, Blanquette. C’est la septième. Cette fois, il la choisit jeune. Ainsi, elle s’habituera et restera avec lui.
Quelle jolie petite chèvre ! Toute blanche avec des sabots noirs et brillants et de petites cornes rayées ! M. Seguin l’installe derrière sa maison. Il l’attache au milieu du pré avec une longue corde.
Mais bientôt, la chèvre s’ennuie.
Elle regarde la montagne, et elle a envie de s’y promener. Elle devient triste et maigre.
Un matin, elle demande à M. Seguin :
– Laissez-moi partir, je veux aller dans la montagne.
– Tu veux me quitter, Blanquette ? Toi aussi ? J’en ai connu des chèvres comme toi. Même la vieille Renaude, si forte, a été mangée par le loup. Elle a résisté toute la nuit. Elle a été courageuse, mais au matin, elle est morte. Le loup a été plus fort qu’elle. Qu’est-ce qui te manque ici ?
– Rien, M. Seguin, mais je veux aller dans la montagne.
– Et que feras-tu en face du loup ?
– Je me battrai, jusqu’à la mort...
– Eh bien non ! Je vais t’enfermer et le loup ne te mangera pas !
Et il enferme la chèvre. Il tourne la clé dans la porte, mais oublie la fenêtre. Il rentre chez lui. Et la chèvre s’en va par la fenêtre.
Quand la chèvre arrive dans la montagne, c’est un bonheur sans fin. Et la fête commence.
Elle est comme une reine. Les arbres la saluent. Les fleurs sentent bon. L’herbe est délicieuse, fraîche et parfumée, vraiment meilleure que dans le pré de M. Seguin en bas, très loin.
Elle n’a peur de rien. Elle fait connaissance avec les chèvres sauvages. Elle est heureuse, elle a beaucoup de succès. Elle a même une aventure que la rivière peut raconter.
Et soudain, c’est le soir.
– Déjà ! dit la petite chèvre étonnée.
En bas, tout est dans le brouillard. Elle se sent un peu triste. Puis elle entend le loup. Elle entend aussi la trompette de M. Seguin qui l’appelle.
Elle réfléchit. Elle a envie de rentrer, mais elle pense à la corde. Alors elle reste. D’ailleurs, M. Seguin ne l’appelle plus.
Il y a un bruit derrière elle. Elle se retourne. Elle voit deux oreilles courtes et droites, deux yeux brillants : c’est le loup.
Énorme, immobile, il est là.
Il la regarde avec gourmandise et la déguste d’avance. Il est sûr qu’il va la manger. Il n’est pas pressé.
Elle comprend tout. Elle a peur. Elle doit résister, comme la vieille Renaude, jusqu’à l’aube. Elle va se battre.
Le monstre avance.
Alors, elle baisse la tête, et ses petites cornes se mettent à danser. Dix fois, elle oblige le loup à reculer. Entre les attaques, elle mange encore un peu d’herbe pour profiter de sa liberté. Toute la nuit, elle regarde les étoiles et pense : « Je dois tenir jusqu’au matin. Je dois résister aussi bien que la vieille Renaude. »
Enfin, le matin, le coq chante. Blanquette se couche dans l’herbe. Elle est épuisée. Le sang coule sur sa belle robe blanche. Et le loup la mange.
Au revoir, Gringoire !
Rappelle-toi : « … et le matin, le loup la mange ! »
VOCABULAIRE
avoir de la considération – иметь положение в обществе
sabot (m) – копыто
corne (f) – рог
pré (m) – луг
corde (f) – веревка
s’ennuyer – скучать
avoir envie de qch, de faire qch – захотеть
résister – сoпротивляться
brouillard (m) – туман
trompette (f) – труба
réfléchir – размышлять
d’ailleurs – впрочем
avec gourmandise – с жадностью
aube (f) – заря, рассвет
obliger qn à faire qch – заставлять
reculer – отступить
tenir jusqu’au matin – продержаться до утра
épuisé – изможденный, истощенный
sang (m) – кровь
QUESTIONS
- Pourquoi M. Seguin n’a-t-il pas de chance avec ses chèvres ?
- De quelle manière les perd-il toujours ? En avait-il beaucoup ?
- Pourquoi croit-il que Blanquette restera avec lui ?
- Qu’est-ce qui manquait à Blanquette ?
- Est-ce que M. Seguin avait raison d’enfermer sa chèvre ?
- Comment Blanquette se sentait-elle dans la montagne ?
- Qu’est-ce qui lui est arrivé quand la nuit est tombée ?
- Qu’est-ce que nous enseigne cette histoire ?
- Est-ce que les conséquences de la désobéissance sont graves ?
- Quel peut être le prix de la liberté ?
- Gringoire, qui est-ce, qu’en pensez-vous ?
- Est-ce que l’histoire de la petite Blanquette est instructive pour lui ?
(à suivre)
(La publication est préparée par Nadejda ROUBANIK.)