Arts et culture
Adieu à Robbe-Grillet
Au crématorium de Caen (Calvados), seuls quelques amis étaient venus rendre un dernier hommage, vendredi 22 février, à l’écrivain et cinéaste Alain Robbe-Grillet, mort le 18 février à l’âge de 85 ans d’une crise cardiaque.
« J’aime la vie, je n’aime pas la mort. J’aime les chats, je n’aime pas les chiens. J’aime les petites filles, surtout si elles sont jolies, je n’aime pas beaucoup les petits garçons. (...) Je n’aime pas les salades journalistiques. Je me méfie des psychiatres. J’aime beaucoup agacer les gens et je n’aime pas qu’on m’emmerde. » C’est par ce texte lu et enregistré en 1981 par Robbe-Grillet pour l’anniversaire de la mort de Roland Barthes que la petite assistance fut accueillie.
Alain Robbe-Grillet, né le 18 août 1922 à Brest (Finistère) et décédé le 18 février 2008 à Caen (Calvados) est un romancier et cinéaste français. Considéré comme le chef de file du nouveau roman, il a été élu à l’Académie française le 25 mars 2004 sans être reçu. Son épouse est la romancière Catherine Robbe-Grillet, dont le nom de plume est Jeanne de Berg.
Fils d’ingénieur, Alain Robbe-Grillet suit ses études au lycée Buffon, à celui de Brest, puis au lycée Saint-Louis. Il entre à l’Institut national agronomique à Paris, dont il sort diplômé ingénieur agronome puis est envoyé au STO à Nuremberg. À son retour en 1945, il est chargé de mission à l’Institut national de la statistique à Paris, puis ingénieur à partir de 1949 à l’Institut des fruits et agrumes coloniaux, au Maroc, en Guinée française, à la Martinique et à la Guadeloupe (1949-51).
Il se consacre ensuite à la littérature. Son premier roman, Les Gommes, paraît en 1953 aux Éditions de Minuit et Roland Barthes lui consacre un article dans Critique. On considère parfois Les Gommes comme le premier « nouveau roman », mais l’expression n’apparaît que quelques années plus tard, sous la plume d’un critique. En 1963 paraît Pour un Nouveau Roman, recueil d’articles de Robbe-Griilet publiés notamment dans L’Express. Il se fait ainsi en quelque sorte le théoricien de ce mouvement littéraire. On le qualifia souvent de « pape du nouveau roman ».
Il travaille également pour le cinéma, notamment sur le scénario de L’Année dernière à Marienbad, réalisé par Alain Resnais en 1961.
Peu à peu, ses romans se sont tournés vers l’érotisme, et vers l’« autobiographie fantasmatique », romans qui ont parfois été plus appréciés à l’étranger (notamment aux États-Unis) qu’en France, au moins du point de vue des universitaires.
Il participe également au Haut comité pour la défense et l´expansion de la langue française entre 1966 et 1968.
De 1972 à 1997, Alain Robbe-Grillet enseigne aux États-Unis, à l’université de New York (NYU) et à la Washington University de Saint-Louis (Missouri), et dirige le Centre de sociologie de la littérature à l´université de Bruxelles entre 1980 et 1988.
Élu à l’Académie française au 32ème fauteuil, succédant à Maurice Rheims, le 25 mars 2004, il n’a jamais prononcé son discours de réception, refusant le port de l’habit vert et cette tradition, qu’il considèrait comme dépassée, provoquant ainsi l’impatience des autres immortels. Son décès ayant eu lieu avant que le problème ne trouve de solution, il n’a jamais siégé à l’Académie française.
Installé au Mesnil-le-Grain depuis 1963, il y écrit la plupart de ses livres et consacre sa formation d’agronome au parc du château du XVIIe siècle. Plus tard, il travaille avec l’Institut mémoires de l’édition contemporaine ouvert en 2003 à Caen, où il dépose ses archives et dont il a fait du directeur son légataire universelle.
Pour en savoir plus : qu’est-ce que le « nouveau roman » ?
Le nouveau roman, qui porte ce nom sans rester toujours aussi nouveau, est un mouvement littéraire des années 1950-1970, regroupant quelques écrivains appartenant principalement aux Éditions de Minuit. Le terme fut créé, avec un sens négatif, par le critique Émile Henriot dans un article du journal Le Monde du 22 mai 1957, pour critiquer le roman La Jalousie, d’Alain Robbe-Grillet. Le terme sera exploité à la fois par des revues littéraires désireuses de créer de l’actualité ainsi que par Alain Robbe-Grillet qui souhaitait promouvoir les auteurs qu’il réunissait autour de lui, aux Éditions de Minuit, où il était conseiller éditorial. Il précède de peu la Nouvelle Vague qui naît en octobre de la même année.
Dans Pour un Nouveau Roman, édité en 1963, Alain Robbe-Grillet réunit les essais sur la nature et le futur du roman. Il y rejette l’idée, dépassée pour lui, d’intrigue, de portraits psychologiques et même de la nécessité de personnages.
Repoussant les conventions du roman traditionnel, tel qu’il s’était imposé depuis le XVIIIe siècle et épanoui avec des auteurs comme Honoré de Balzac ou Émile Zola, le nouveau roman se veut un art conscient de lui-même. La position du narrateur y est notamment interrogée : quelle est sa place dans l’intrigue, pourquoi raconte-t-il ou écrit-il ? L’intrigue et le personnage, qui étaient vus auparavant comme la base de toute fiction, s’estompent au second plan, avec des orientations différentes pour chaque auteur, voire pour chaque livre.
Jean Ricardou le définit ainsi « le roman n’est plus l’écriture d’une aventure, mais l’aventure d’une écriture. »
Avant eux, en 1956, Nathalie Sarraute avait déjà interrogé le roman et récusé ses conventions dans son essai L’Ère du soupçon. Son œuvre romanesque est la mise en pratique de sa réflexion théorique.
Une nouveauté relative
Les « nouveaux romanciers » mettent en pratique des solutions littéraires qui ont déjà été testées par leurs prédécesseurs : À rebours de Joris-Karl Huysmans avait, soixante-dix ans auparavant, prouvé que l’intrigue est superflue dans le roman, Franz Kafka que la méthode classique de caractérisation du personnage est accessoire, James Joyce s’était débarrassé du fil conducteur du récit et les auteurs du théâtre de l’absurde avaient fait fi du réalisme.
Si les « néoromanciers » ne constituent donc pas, à proprement parler, une avant-garde littéraire, ils poussent sciemment et systématiquement la déconstruction romanesque entamée par leur aînés. Chacun de leurs livres se veut novateur et devient le lieu d’une expérimentation inédite sur l’écriture.
(d’après les sites Internet)