Les Routes de l’Histoire
Être jeune en France des années 1960
Après la Seconde Guerre mondiale, beaucoup d’enfants naissent : c’est le baby-boom ! Jamais les adolescents n’ont été si nombreux : 16 000 000 ont entre 15 et 20 ans, soit un Français sur trois. C’est un des événements majeurs de cette deuxième moitié du XXe siècle. Les adolescents, auparavant, n’ont jamais formé réellement un monde à part. Ouvriers, paysans ou étudiants, tous les jeunes ont le sentiment de faire partie d’une même génération : ils sont très différents et n’ont pas connu la guerre.
Ces jeunes partagent une culture commune qui vient des États-Unis et de l’Angleterre. Dans les années 1960, ils regardent vers cette dernière, qui est alors le centre de la mode jeune, le temple de la culture pop. Ils y trouvent une façon d’affirmer leurs goûts.
Les ados1 abandonnent de plus en plus la salle de séjour familiale pour vivre dans leur chambre. Ils y passent beaucoup de temps, y préparent leurs devoirs, y lisent. L’électrophone tient une place essentielle pour écouter leurs disques préférés. Et surtout, ils écoutent la radio sur leur transistor portable. C’est un compagnon qui les suit partout. À 17 heures, ils sont nombreux à écouter « Salut les copains », une émission consacrée aux chanteurs à la mode (Johnny, Clo-Clo, Sylvie, Françoise2). Écouter de la musique est le premier des loisirs des jeunes. Ils apprécient de nouveaux rythmes, comme le rock.
Devant une entrée des usines Renault en grève, à Boulogne-Billancourt.
Les chansons d’un groupe de garçons anglais, les Beatles, envahissent les radios, suivies de près dans les hit-parades par celles des Rolling Stones. Chanteurs et artistes de cinéma sont les vedettes des magazines qui se multiplient : Salut les copains, Mademoiselle Âge tendre.
Pour la première fois, ces journaux consacrent des articles à l’amour et à la mode. Le mot « copain » devient magique ; on l’entend dans de nombreuses chansons : Tous mes copains de Sylvie Vartan, Les Sifflets des copains et Vous les copains de Sheila. Même les classiques en sont contaminés. Ainsi Georges Brassens déclare-t-il : Les Copains d’abord. Et Juliette Gréco chante La Fête aux copains.
Avec les « copains », on écoute les idoles dans les juke-box3, ou chez soi, avec les « copains », on constitue des fan-clubs.
La passion démesurée que certains chanteurs provoquent est un phénomène récent. À partir des années 1960, le vocabulaire change : on parle de star, d’idole des jeunes, de chanteur culte. C’est la grande heure du petit tourne-disque bon marché, Teppaz, facilement transportable. On l’emporte chez les « copains » pour écouter des disques (le 45-tours à quatre chansons, deux sur chaque face) et pour danser. On appelle ça, dans le langage codé des ados, les « surboum », puis les « boum ». Une certaine solidarité de génération se crée. Les ados dansent le rock, le twist, le madison. Les slows, plus tendres, sont également appréciés car ils rapprochent filles et garçons. Ceux-ci se retrouvent aussi au cinéma, un de leurs loisirs préférés. Ces sorties sont autorisés mais très contrôlés par leurs parents ; les parents sont très présents car ils restent responsables de leurs enfants jusqu’à leur majorité qui est fixée à … 21 ans !
À l’école, la discipline aussi est très sévère. Les élèves montent en rang dans les classes, se lèvent pour saluer leur professeur. La blouse est obligatoire, pas de pantalons pour les filles. La majorité des collèges et des lycées ne sont pas mixtes, les garçons et les filles n’étudient pas ensemble (aujourd’hui on se pose la question s’il faut retourner à la séparation des écoles pour filles et garçons).
Les jeunes filles adoptent de nouvelles jupes très courtes, droites ou plissées : les mini-jupes, lancées en 1962, deviennent le symbole de la liberté des femmes. Les garçons veulent aussi se distinguer des adultes : ils aiment porter les cheveux longs, des pantalons « pattes d’éléphants ».
La majorité des jeunes travaille dès 16 ans : dans tous les pays d’Europe, faire des études supérieures n’est en effet possible qu’après avoir obtenu le baccalauréat. Si aujourd’hui près de 65 % des jeunes Français vont jusqu’au bac, ils ne sont que 12 ou 13 % avant 1968. Mais, même avec le bac, tous les bacheliers n’ont pas les moyens d’étudier de longues années ; beaucoup entrent donc dans la vie active directement après l’examen de fin d’études. Les étudiants, qui ne représentent qu’une petite partie de leur génération, la « future élite de la France » savent qu’ils ont beaucoup de chance.
Cependant, la situation de l’emploi n’étant pas encore préoccupante, la course au diplôme, le besoin de faire une carrière ne sont pas des problèmes. Pour s’acheter les disques, le transistor ou la mobylette, on a recours au travail temporaire, aux petits boulots qu’on appelle aujourd’hui « le job » : on travaille comme pompiste, vendeur occasionnel, peintre en appartements ou bien on garde des enfants (baby-sitting).
Paris. Mai 68.
À la fin des années 1960, les adultes et les jeunes ne partagent pas les mêmes idées. Le mode de vie où l’adolescent est considéré comme un enfant (« Sois jeune et tais-toi ! ») est en train de changer. Le jeune exige du respect de la part des adultes. Pire, il n’a plus envie d’être considéré comme un membre de sa famille ; il se démarque de ses parents, en écoutant « sa » musique, en choisissant des vêtements qui ne peuvent pas être portés par des « vieux », et qui, si possible, choque ces derniers. Son « je » prend paradoxalement la forme d’un « nous », les copains : d’un autre « nous » que le familial. Chacun veut briser le cercle domestique pour ne pas avoir l’impression d’être enfermé.
Les ouvriers en grève.
Les parents ne comprennent et donc n’apprécient ni la musique rock, « la musique yé-yé », comme ils l’appellent, ni les cheveux longs, ni la mode vestimentaire, et c’est une source de conflits dans certaines familles. Mais les parents hésitent entre le respect des règles (« tu feras ce que tu voudras quand tu seras majeur ») et une éducation plus libre, parce qu’ils veulent être aimés de leurs enfants et que ceux-ci soient heureux.
Les jeunes, eux, contestent à leur tour le mode de vie de leurs parents : ils les accusent de donner trop d’importance à l’argent, à l’achat de choses matérielles, et d’oublier les souffrances du monde. Ils critiquent aussi leurs choix politiques. En France, le général de Gaulle est au pouvoir depuis dix ans, ils le trouvent démodé et trop conservateur.
Bref, la nouvelle génération a une autre façon de voir la vie. Elle rêve d’un monde meilleur, plus solidaire. Le slogan « Peace and Love » (Paix et Amour), né aux États-Unis, en 1965, résume son état d’esprit.
Les jeunes veulent montrer que la France de « papa » (de Gaulle, symbole typique du père-patrie) et que ses représentations (autorité et hiérarchie familiale, université pépère, société de consommaticien, etc.) eh bien, tout cela, ils n’en veulent plus. Le monde bouge, les nouveaux héros qui s’affirment sont Che Guevara, Ho Chi Minh, Angela Davis et les peuples qui se libèrent. Pour résumer, l’histoire antérieure, ce sont les pères qui l’ont faite (la Résistance, la reconstruction de la France, la décolonisation, le bien-être social). La jeunesse de 1968 veut écrire sa propre histoire, prendre en main son propre destin, mettre l’imagination au pouvoir, élaborer de nouvelles utopies, construire une nouvelle société.
La « vie va » (comme chante Guy Béart), mais les adultes ne s’en aperçoivent encore pas. Ils s’en apercevront trop tard.
1 Adolescents
2 Johnny Hallyday, Claude François, Sylvie Vartan, Françoise Hardy. Voir le numéro spécial sur les idoles des jeunes et la « musique yé-yé »
3 Américanisme désignant une machine sonore publique faisant passer automatiquement un disque demandé