Les Routes de l’Histoire
Contre ce monde injuste
« Les Français ont souvent montré qu’ils aimaient le changement
pour le changement, quoi qu’il puisse leur en coûter. »
La France s’ennuie //
Le Monde, le 15 mai 1968
Dans la cour de la Sorbonne.
Une semaine plus tard, les étudiants de Nanterre lancent l’un des plus vastes mouvements de protestation que la France ait connus au XXe siècle.
Les jeunes s’intéressent beaucoup à ce qui se passe dans le monde, qui est dominé depuis la fin de la Seconde Guerre mondial par deux géants économiques et politiques : les États-Unis et l’URSS. Mails ils sont très critiques envers ces deux superpuissances.
Le modèle communiste est en place en Russie, mais aussi dans l’Europe de l’Est, où l’État dirige toute la vie économique et politique. En France, le Parti communiste aimerait s’inspirer de ce modèle pour son propre pays. La jeune génération, quant à elle, a une image assez négative du système communiste, car dans les pays de l’Est la démocratie et la liberté d’expression n’existent pas.
À Nanterre, le 15 février 1968.
Le modèle américain, avec ses films et sa musique fascine les Européens. La décontraction des Américains étonne. On dit qu’ils mâchent du chewing-gum toute la journée, qu’ils préfèrent les fauteuils aux chaises et même qu’ils mettent les pieds sur les tables. Ils stockent les produits alimentaires dans d’immenses congélateurs. Les écoliers n’ont ni blouse ni cartable. Et les Américains ne reprisent plus les vêtements déchirés, ils les jettent ! Les États-Unis encouragent ainsi la consommation : plus on dépense d’argent pour acheter des objets neufs, plus les usines doivent produire. Cette société de consommation séduit.
L’ambiance est chaude
à Nanterre.
Gouverné depuis dix ans par le même homme, le général de Gaulle, secondé depuis 1962, par le même Premier ministre, Georges Pompidou, la France connaît une stabilité politique remarquable. Depuis les années 1950, le pays vit une période de prospérité économique qui permet à la majorité des citoyens d’avoir une augmentation de leur pouvoir d’achat. On prend plaisir à consommer comme le font les Américains. On achète des voitures, on s’équipe en appareils électroménagers. Réfrigérateurs, aspirateurs et machines à laver sont devenus des objets courants. La télévision a pénétré dans tous les milieux, y compris dans les campagnes. Beaucoup empruntent de l’argent pour acheter un appartement ou une maison individuelle. Le confort devient très important. Pour beaucoup d’adultes, l’idéal c’est de vivre à l’américaine. Mais les jeunes voient surtout dans les États-Unis un pays injuste où les citoyens n’ont pas les mêmes droits selon qu’ils sont de telle ou telle couleur de peau.
Daniel Cohn-Bendit parle aux étudiants.
Une raison de plus pour refuser ce modèle américain qui écrase les plus faibles. La guerre du Vietnam symbolise pour beaucoup cette oppression.
Donc, ni les communistes d’URSS ni les Américains ne proposent un monde fait de justice et de liberté. Les jeunes cherchent donc ailleurs. Leurs nouveaux héros sont tous des hommes du Tiers-monde qui ont voulu transformer leur pays et ont tenu la tête aux deux grandes puissances. Mao Zedong (1893-1976) qui, avec ses jeunes gardes rouges, mène en Chine une révolution culturelle pour faire changer les esprits, Hô Chi Minh (1890-1969) qui guide la résistance au Vietnam, Fidel Castro (né en 1926) qui a réussi à renverser la dictature dans l’île de Cuba, et Che Guevara (1928-1967) qui meurt en combattant pour la révolution en Bolivie en octobre 1967.
La France est à l’époque un cocktail explosif d’archaïsme et de modernité. Modernité consentie par l’État pour démocratiser l’école : en 1950, 800 000 lycéens et 125 000 étudiants. En 1968, 3,7 millions de lycéens et 600 000 étudiants (une nouvelle école ouverte chaque jour). Archaïque, car la société française ne change pratiquement pas depuis les siècles le pouvoir patriarcal dans la famille, bureaucratique dans l’administration, autoritaire dans les entreprises. Dans les universités, ça ne va pas mieux : la centralisation excessive, l’élitisme, le contenu des cours, les règlements intérieurs trop rigides, etc.