Les Routes de l’Histoire
« Tous au Quartier latin ! »
Un parcours des grands moments de Mai 68
« Tous au Quartier latin ! » devient le mot d’ordre des étudiants de Nanterre surnommés « enragés ».
Le 3 mai, le meeting est organisé à la Sorbonne. La police évacue la Sorbonne occupée et arrête 600 étudiants, provoquant une première nuit d’émeutes. On érige les premières barricades au Quartier latin. Les étudiants de la Sorbonne lancent un appel à la grève. La police intervient. C’est alors qu’une nouvelle histoire drôle circule dans Paris :
« Savez-vous pourquoi les policiers français sont les plus intelligents du monde ? »
– ???
– Parce qu’ils sont tous entrés à la Sorbonne. »
Mais la police n’a pas l’air de plaisanter lorsqu’il s’agit de l’émeute, de la révolte, voire de l’insurrection. Alors là, contre toutes les traditions universitaires, la police procède à des arrestations. La Sorbonne est à son tour fermée. Depuis ce moment, les revendications des étudiants prennent un caractère politique ; leur objectif est affiché : « Contester l’impérialisme sous toutes ses formes, y compris sous la forme culturelle de l’Université bourgeoise ! ». La révolte prend un nouveau tournant.
Promenons-nous dans le Quartier latin pour y trouver les traces des événements de Mai 68. En reste-t-il des vestiges, aujourd’hui, 40 ans après ? Comment les trouver, les signes de cette époque ?
Départ : métro « Cluny-la-Sorbonne », « Odéon » ou RER « Luxembourg ».
La Sorbonne : rue de la Sorbonne1.
Faut-il rappeler que la Sorbonne doit son nom à son fondateur, Robert de Sorbon, confesseur du roi de France, Saint-Louis. Son histoire, au cours des siècles, a été si intimement liée à celle de l’Université de Paris, qu’elle en est devenue le symbole.
Des maîtres et écoliers de Paris sont venus, dès le XIIe siècle, dans le futur « quartier latin » où la théologie, le droit la médecine et les arts sont enseignés à des jeunes gens venant des quatre nations (française, picarde, normande et anglaise) lui conférant, dès l’origine, un prestige international. Le collège de Sorbon, fondé en 1257-58, est alors l’un des nombreux collèges hébergeant, sur les flans de la montagne Sainte-Geneviève, des étudiants pauvres. Très vite, ces collèges deviennent le cadre des disciplines universitaire, et le collège de Sorbon – la Sorbonne, qui prendra une part active aux débats philosophiques et politiques de son temps. Reconstruite par le cardinal Richelieu au XVIIIe siècle, fermée par la Révolution en 1791, atelier d’artistes en 1801, la Sorbonne est à nouveau affectée à l’enseignement en 1821. À la fin du XIXe siècle, la République la reconstruira à son tour pour faire, de la Nouvelle Sorbonne, le sanctuaire de l’esprit, le lieu privilégié de la connaissance.
C’est là, que 3 mai 1968, après-midi, un grand rassemblement de protestation contre la fermeture de Nanterre est organisé dans la cour de la Sorbonne. On réclame la liberté de Daniel Cohn-Bendit et de ses camarades arrêtés lors de manifestations. C’est une manifestation tout à fait pacifique, mais la police, sur la demande du recteur soucieux que « la Sorbonne ne soit pas Nanterre », intervient à l’intérieur de l’université et arrête 500 étudiants. C’est la colère ! Une tradition datant du Moyen Âge, interdisait en effet à la police de pénétrer dans l’enceinte de la Sorbonne ; c’était un privilège qui faisait d’université un lieu où maîtres et étudiants étaient seuls responsables de la sécurité.
À la Sorbonne, c’est donc la première fois depuis sa fondation. Beaucoup d’observateurs vont estimer plus tard que cette intrusion de la police en territoire universitaire a été la cause principale des désordres. Le préfet de police répondra que « si les forces de l’ordre sont entrées à la Sorbonne, c’est parce que les forces du désordre les y ont précédées ». La discussion sur les responsables dure jusqu’à nos jours.
Quoi qu’il en soit, ce 3 mai 1968, les étudiants en colère crient : « Libérez nos camarades ! », puis, soudain, le premier pavé est arraché, puis un autre. C’est comme une boule de neige. En un instant, on voit les manifestants jeter des pavés sur les cars de police. Durant près de trois heures, des panneaux de signalisation sont aussi arrachés, des voitures sont mises en travers de la chaussée comme remparts aux grenades lacrymogènes. Les premières images de « l’agitation » arrivent peu à peu par la télévision. Il y a plus de 100 blessés.
On reste aussi collé à la radio pour suivre les événements. Ce matin-là, les protestations s’entrecroisent contre la brutalité policière, « tandis que les rumeurs les plus folles se répandent : on parle de tortures dans les locaux de la police, de morts dont les corps auraient été dissimulés et enlevés secrètement, de jeunes gens mutilés ou rendus aveugles à jamais par les gaz, d’emploi d’armes nouvelles et terribles... » 2
Treize étudiants sont pris en flagrant délit et comparent devant la Xe chambre du tribunal correctionnel de Paris. De l’aveu même du préfet de police Maurice Grimaud, « les condamnations sont exceptionnellement sévères en matière de manifestation. Quatre se voient infliger deux mois de prison ferme. » Le Syndicat national de l’enseignement supérieur lance aux enseignants un ordre de grève générale. Le ministre de l’Éducation nationale ordonne la fermeture de la Sorbonne. Les étudiants réagissent à la mesure de cette incroyable violation des libertés.
1 Centre de ralliement de la contestation en mai 1968, l’Université est réorganisée depuis en universités autonomes, mais la Sorbonne, symbole de l’université française, demeure, encore et toujours, l’espace magique, le point magnétique de la jeunesse et du talent.
2 Le Monde du 3 mai 1968. L’Histoire au jour le jour 1939-1996