Arts et culture
Alphonse DAUDET
Lettres de mon Moulin
(extrait)
(Suite. Voir N° 4, 7, 8, 10, 11/2008)
Le sous-préfet aux champs
Monsieur le sous-préfet est en tournée. La voiture de la sous-préfecture a beaucoup d’allure avec un cocher devant et un valet derrière.
Pour le concours général agricole de la Combe-aux-Fées, monsieur le sous-préfet a mis son bel habit, son chapeau et son épée…
Il regarde tristement, sous ses genoux, une grande serviette en cuir. Il pense au fameux discours qu’il doit prononcer devant les habitants de la Combe-aux-Fées.
– Messieurs et chers administrés…
La suite du discours n’arrive pas.
Il fait si chaud dans cette voiture. Et loin, sur la route de la Combe-aux-Fées, il voit le soleil, et encore le soleil ! Ah… Ce soleil du Midi, cette chaleur et cette poussière sur les arbres devenus blancs ! Et ces milliers de cigales qui n’arrêtent pas de chanter !
Tout à coup, monsieur le sous-préfet sursaute. Là-bas, il aperçoit un petit bois de chênes verts. Le petit bois l’appelle :
– Venez donc par ici, monsieur le sous-préfet, pour écrire votre discours. Vous serez bien sous les arbres…
Monsieur le sous-préfet est séduit par cette idée. Il saute de sa voiture et dit à ses valets qu’il va préparer son discours dans le bois.
Dans le bois, il y a des oiseaux, des violettes et de l’eau fraîche, Quand ils aperçoivent le sous-préfet, tout ce monde a peur. Les oiseaux s’arrêtent de chanter, les violettes de sentir bon et l’eau de couler. Ils n’ont jamais vu de sous-préfet. Ils se demandent qui est ce beau prince :
– Qui est-il avec ce beau costume ?
Pendant ce temps, monsieur le sous-préfet, ravi du silence et de la fraîcheur du bois, s’assied au pied d’un arbre et ouvre sa serviette.
– C’est un artiste, dit un oiseau.
– Non, dit un autre, c’est un noble.
– Ni un artiste, ni un noble, dit un vieux rossignol qui a chanté toute une saison à la sous-préfecture, c’est un sous-préfet.
Et tout le monde le répète :
– C’est un sous-préfet !
Et les fleurs demandent :
– Est-ce que c’est méchant ?
Et le rossignol répond :
– Pas du tout.
Et tous les oiseaux recommencent à chanter, les violettes à sentir bon et l’eau à couler. Comme si monsieur le sous-préfet n’était pas là.
Monsieur le sous-préfet pense au concours général agricole et il commence :
– Messieurs et chers administrés…
Un rire l’arrête. Il se retourne et voit un oiseau qui le regarde. Il est sur son chapeau et il rit. Le sous-préfet veut continuer son discours, mais il entend :
– Pourquoi ce discours ?
– Comment, dit le sous-préfet qui devient tout rouge.
Et il reprend :
– Messieurs et chers administrés…
– Messieurs et chers administrés…
Mais les violettes lui disent :
– Monsieur le sous-préfet, sentez-vous comment nous sentons bon ?
Et les oiseaux dans les arbres, au-dessus de sa tête, chantent pour lui leurs plus belles chansons. Tout le bois attire son attention et l’empêche de composer un discours.
Monsieur le sous-préfet, ivre de parfum, de musique et de bien-être, essaie encore deux ou trois fois :
– Messieurs et chers administrés…
Et il envoie ses administrés au diable et il oublie le concours agricole.
Une heure plus tard, quand les valets rentrent dans le petit bois, ils sont devant un spectacle incroyable : monsieur le sous-préfet est couché dans l’herbe. Il mâche un brin d’herbe. Sa veste est ouverte, son pantalon desserré… Il ressemble à un bohémien ! Et il fait de la poésie !
VOCABULAIRE
cocher (m) – кучер, возница
valet (m) – лакей, слуга
épée (f) – шпага
genou (m) – колено
administré (m), -e (f) – подчиненный, -ая
bois (m) – лес (небольшой), роща
chêne (m) – дуб
noble (m, f) – дворянин, дворянка
empêcher qn de faire qch – мешать, препятствовать
bien-être (m) – приятное чувство, наслаждение, удовольствие
incroyable – невероятный
sentir bon – хорошо пахнуть
mâcher – пережевывать
brin (m) d’herbe (poét)– травинка, былинка
bohémien (m), -ne ( f) – цыган, -ка
QUESTIONS
- Où monsieur le sous-préfet doit-il se rendre ?
- Comment monsieur le sous-préfet est-il habillé ?
- Pourquoi est-il triste ?
- Quel temps fait-il dans le Midi ?
- Dans quel endroit veut-il préparer son discours ?
- Le commencement du discours est-il solennel ?
- Pouvez-vous décrire une cigale ? En avez-vous jamais vu ?
- Décrivez le monde du bois et sa réaction à l’arrivée du sous-préfet.
- Pourquoi le rossignol a-t-il reconnu le sous-préfet ?
- Monsieur le sous-préfet, peut-il continuer à préparer son discours ? Qu’est-ce qu’il fait en fin du compte ?
- Dans quel état les valets retrouvent-ils leur maître ?
- Avez-vous aimé ce récit ? Pourquoi ?
(La publication est préparée par Nadejda ROUBANIK.)