Univers du français
Le français au quotidien
Que peuvent avoir en commun des auteurs aussi différents que l’Italien Carlo Goldoni, le Russe Ivan Tourgueniev, et l’Irlandais Oscar Wilde ? Eh bien, non seulement ils ont vécu une partie de leur vie en France, mais c’est en français qu’ils ont choisi d’écrire une partie de leur œuvre ! Il faut y voir un effet de prestige sans égal dont a joui le français parmi les élites européennes entre le règne de Louis XIV et la fin du XIXe siècle.
Monarques et grands seigneurs, écrivains et gens de lettres
Une page de la Cantilène de sainte Eulalie
Au Moyen Àge, ceux que l’on nomme les « clercs » – parce qu’ils ont reçu une certaine instruction-communiquent entre eux en latin, langue de la religion pratiquée dans l’Europe entière. Puis, au XVIe siècle, le latin reste assez vivant pour servir de véhicule à l’humanisme de la Renaissance qui, parti des grandes cités italiennes, se propage peu à peu bien au-delà des Alpes.
Mais au XVIIe siècle, c’est le français qui, petit à petit, s’impose. Devenu le pays le plus peuplé et le mieux structuré d’Europe, la France, qui est aussi la plus ancienne et la plus solide monarchie de ce continent, jouit d’un prestige incontestable. La personnalité de Louis XIV joue un rôle déterminant : partout on est fasciné par les fastes de Versailles et l’éclat artistique d’un pays où le roi a su s’entourer des plus grands talents de son temps.
La langue française prend alors naturellement un grand ascendant sur les souverains d’Europe.
La suprématie du français se confirme au XVIIIe siècle : toutes les familles princières engagent des précepteurs français, imitée bientôt par l’aristocratie et la bourgeoisie. L’engouement est tel que, dans toutes les cours, on préfère s’exprimer en français plutôt que dans la langue nationale. À cette époque tous semblent d’accord avec Voltaire pour affirmer : « La langue française est de toutes les langues celle qui exprime avec le plus de facilité, de netteté, de délicatesse tous les objets de la conversation des honnêtes gens. »
En témoigne l’abondante correspondance que le roi Frédéric II de Prusse entretient avec Voltaire et l’impératrice Catherine II de Russie avec Denis Diderot. Ces deux souverains « éclairés » y manient la langue des encyclopédistes avec autant d’aisance que de brio.
Les mémoires de la princesse Daschkoff (Ekaterina Romanovna Daschkova pour les Russes) sont révélateurs à cet égard. Issue de la puissante famille Vorontzov, née en 1743 et morte en 1810, elle y raconte comment Catherine II l’a chargée de fonder l’Académie russe sur le modèle de l’Académie française, en vue de fixer les règles d’orthographe et de la grammaire russe, d’entreprendre un dictionnaire et d’encourager l’étude de l’histoire nationale. Or, le récit de ces efforts en faveur de la langue russe a été écrit… en français !
La tradition se poursuit tout au long du XIXe siècle. On parle français dans les salons, parmi les diplomates, les intellectuels et les artistes. Parle-t-on de littérature, ce qui se publie en France sert de référence : d’Honoré de Balzac à Émile Zola en passant par Victor Hugo, les écrivains français sont lus et commentés avec enthousiasme. En Russie, dans les familles de la noblesse et de la bourgeoisie, on continue de parler couramment le français. Léon Tolstoï (1828-1910) en fournit maintes preuves : son roman Guerre et Paix ne s’ouvre-t-il pas sur un dialogue en français ? Quant à Ivan Tourgueniev (1818-1883), auteur d’une belle correspondance, notamment avec Gustave Flaubert, il séjourne longtemps à Bougival où, avant de mourir, il dicte en français sa dernière œuvre : une nouvelle intitulée Un incendie en mer.
Les origines du français
Il faut bien le reconnaître : les Gaulois n’ont pas laissé grand-chose, même pas leur langue ! Langue romane, le français vient surtout du latin. En conquérant la Gaule, les légions de César ont peu à peu latinisé un territoire bien différent de celui de la France actuelle. Naturellement, il y a eu des résistances et bien d’autres influences. D’où la difficulté de cette question des origines…
Un peu d’histoire pour se repérer
Impossible de comprendre quoi que ce soit aux origines du français si l’on n’a pas en tête quelques éléments chronologiques :
Les Serments de Strasbourg
- Les Gaulois s’installent en Gaule au Ve siècle avant J.-C..
- Vers 120 avant J.-C., une région du sud de la Gaule, la Narbonnaise, devient romaine. Les Romains l’appellent Provincia, et c’est la première région qu’ils s’annexent. La provincia, ce sera ensuite la Provence. Le latin qui y est parlé influencera durablement le provençal, langue d’oc.
- En 55 avant J.-C., Jules César entreprend la conquête de la Gaule ; le latin s’implante alors en Gaule.
- Au début de notre ère, les premières communautés chrétiennes imposent à leur tour le latin.
- D’autre part, du IIe au Ve siècle après J.-C., il faut compter avec les invasions barbares : une vague de Francs (peuple germanique) occupe le nord de la Gaule, tandis que les Wisigoths (venus de Suède) s’installent dans le Sud et que les Burgondes (sans doutes venus de Norvège) conquièrent l’Est. La chute de l’Empire romain date de 476. En 481, la dynastie des Mérovingiens (le premier de ses rois est Clovis) règne sur le pays qui deviendra la France ; les Carolingiens n’arriveront qu’en 751, avec Charlemagne.
Quelle langue – ou plutôt quelles langues – parle-t-on pendant cette longue période en « France » ?
La naissance d’une langue sous influences
Louis XIV
Le français, langue romane comme l’italien, l’espagnol, le roumain, le catalan, l’occitan et d’autres encore, s’est formé à la suite de l’évolution du latin. Mais quel latin ? Évidemment pas le latin littéraire, que personne ne parlait – et encore moins les légionnaires de César qui avaient sillonné la Gaule – mais un latin populaire, c’est-à-dire quotidien. Entre le Ier et le Ve siècle, un latin régional a peu à peu remplacé par le gaulois ; c’est lui qui donnera naissance aux dialectes d’oïl, d’oc et aux dialectes franco-provençaux (sous l’influence des Burgondes). On a pris l’habitude de distinguer le français du nord et le français du sud selon les deux manière de dire « oui » : au nord on disait oïl, au sud on disait oc.
Naturellement, les échanges étaient nombreux : les tribus gauloises transformaient le latin des envahisseurs, mais les concurrents empruntaient des mots aux peuplades locales. Ainsi, bon nombre de mots authentiquement gaulois sont passés en français, après avoir été latinisés. On n’a hérité du gaulois qu’environ 200 mots. On peut citer : « alouette », « balai », « bec », « bouc », « drap », « mouton », « trogne ».
En dehors du gaulois, le français a aussi emprunté aux langues germaniques, et notamment, au francique (la langue des Francs), à laquelle elle doit son nom. C’est un beau nom : franc veut dire libre.
Pour le reste, c’est au latin que le français doit l’essentiel de son fonds. C’est avec une étonnante facilité que le latin s’est imposé en Gaule, en effaçant très vite les traces des parlers celtiques. La raison en est que les Romains ont tout de suite importé leur administration. Les écoles, la justice, le commerce, la religion… tout est devenu romain ! Du coup, les élites ont voulu parler latin. De plus, le christianisme, qui s’est développé dès le Ier siècle de notre ère, a choisi le latin comme langue officielle. On voit que l’avenir du gaulois était compté !
Mais une langue, ce n’est pas seulement un lexique, ce sont aussi des sons. On peut imaginer comment des transformations se sont produites. Par exemple, les Francs ont inspiré le « h » aspiré à la langue qui allait devenir le français ; le gaulois a transformé la prononciation de l’« u » (ou en latin) en « u » comme le mot « dur ». Cette influence a du reste été si importante (même si le gaulois a disparu à la fin du IVe siècle après J.-C.) que l’on appelle la langue parlée en Gaule toute cette période le gallo-roman.
Dans le nord de la Gaule, la pression des langues germaniques a été beaucoup plus forte sur le latin que dans le Sud. C’est la raison pour laquelle les Français du Sud, pays de langue d’oc, comprennent beaucoup plus facilement l’espagnol et l’italien, restés plus proches du latin que le français du nord. Il faut attendre 987, l’avènement d’Hugues Capet, pour qu’un roi de France ne comprenne plus du tout la langue germanique. On peut donc dire qu’Hugues Capet est vraiment le premier roi français !
Vers la langue romane
Au cours des VIe et VIIe siècles, la maîtrise du latin savant se perd. On ne comprend plus le latin classique et, en même temps, la grammaire se simplifie. Par exemple, alors qu’en latin, il existait six cas dans la déclinaison d’un nom, en roman on en garde seulement deux.
Au début du IXe siècle, le latin parlé dans le nord de la Gaule n’a plus rien à voir avec le latin romain. Pourtant, Charlemagne a tenté de le réimposer comme langue officielle. Ainsi, on envoyait des « chargés de mission » appelés missi dominici.
Les premiers textes littéraires français allaient naître. Ce seront des textes religieux , comme par exemple, vers 881, la Cantilène de sainte Eulalie, qui raconte en 29 vers la légende d’une jeune martyre que l’on jette dans le feu et à qui on tranche la tête, mais qui s’envole vers le ciel, transformée en colombe.
Un texte qui fait date
Le premier texte conservé en langue romane date de 842 : ce sont les Serments de Strasbourg, qu’on apprenait par cœur autrefois à l’école. De quoi s’agit-il ?
À la mort de Louis le Pieux (fils et successeur de Charlemagne), ses trois fils se disputent l’empire. Les deux premiers, Louis le Germanique et Charles Le Chauve, font alliance contre le troisième, Lothaire. Le serment est prononcé dans les deux langues, le roman et le tudesque (langue germanique). En voici les premiers mots :
« Pro deo amur et pro christian pablo et nostro commun salvament, d’ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat…. »
Autrement dit : « Pour l’amour de Dieu et pour le peuple chrétien et pour notre salut commun, à dater de ce jour et dans la mesure où Dieu m’en donne le savoir et le pouvoir… »
La francophonie : généralités
Un anglophone parle anglais, un hispanophone parle espagnol… mais il n’existe rien de comparable dans le monde à la Francophonie. Bien sûr, le mot renvoie au fait de parler le français. Mais l’ambition de la Francophonie est bien plus large : elle embrasse un vaste espace géographique et culturel dans lequel cherche à s’exprimer une volonté politique commune, à travers un certain nombre d’institutions.
Petite histoire d’une belle idée
La France a été pendant plusieurs siècles le pays d’Europe le plus peuplé et l’un des plus puissants, ce qui a donné à la langue française un rayonnement exceptionnel. Langue de la diplomatie, des lumières, langue de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le français est longtemps apparu comme la langue de la liberté.
L’expansion coloniale au XIXe et XXe siècles a d’abord eu pour résultat de multiplier le nombre des territoires où l’on parlait français. Puis, avec la décolonisation, d’une part, la formidable expansion des États-Unis et la puissance économique de l’espace franco-saxon, d’autre part, le français a été fortement concurrencé par l’anglais. C’est en partie pour réagir à cette perte d’influence que les embryons institutionnels de la Francophonie ont vu le jour.
Au début des années 1970, un certain nombre de responsables politiques d’anciennes colonies françaises décident de se regrouper pour développer avec l’ancienne puissance tutélaire des actions de coopération économique et culturelle et fondent l’ACCT (Agence de Coopération Culturelle et Technique), ancêtre de l’actuelle OLF (Organisation Internationale de la Francophonie)
Aperçu de l’Organisation des Institutions de la Francophonie
Essayons de décrire l’OIF.
Voltaire
Au sommet, il y a le secrétaire général et son cabinet, ainsi qu’un administrateur général. Un certain nombre de directions et de délégations dépendent de ces deux instances principales : par exemple, la délégation à la Paix, à la Démocratie et aux Droits de l’homme, la direction de la Langue française et de la Diversité culturelle et linguistique, la direction de l’Éducation et de la Formation, de la Solidarité, etc.
Toutes ces instances entretiennent des relations avec un grand nombre de partenaires à travers le monde : des OIG (Organisations Intergouvernementales) et des OING (Organisations Internationales Non Gouvernementales), le FFA (Forum Francophone d’Affaires), ainsi que le CIRTEF (Conseil International des radios et télévisions francophones).
53 États dans le monde sont membres de l’OIF, mais il existe aussi des États associés (deux) et treize États qui sont observateurs. À titre d’exemples, la Belgique, le Cambodge, le Québec, le Congo, la Grèce, le Maroc, le Sénégal, la Suisse et le Vietnam sont membres ; Chypre est associé ; la Pologne et quasiment tous les États nouvellement entrés dans l’Europe (qui auparavant dépendaient de l’Est) sont observateurs.
Entre tous ces pays, un lien très fort : la langue, même si le français n’est pas forcément la langue officielle de tous ; il peut assurément y être pratiqué (comme langue administrative, langue juridique, langue des affaires, etc.) à côté d’une ou plusieurs langues.
Enfin, tous les deux ans, se réunissent des « sommets » de la Francophonie, qui fixent les objectifs principaux pour l’action des deux ans à venir. Les pays où ils ont eu lieu depuis le sommet inaugural de Paris (réuni en fait à Versailles, sous la présidence de François Mitterrand) témoignent du caractère universel de l’institution : Québec (1987) ; Dakar (1989) ; Paris (1991) ; île Maurice (1993) ; Cotonou (1995) ; Hanoi (1997) ; Moncton (au Canada, en 1999) ; Beyrouth (2002, car le sommet prévu en 2001 a été repoussé en raison des attentats du 11 septembre) ; Ouagadougou (2004) ; Bucarest (2006)
À quoi sert la Francophonie ?
OIF
Logo de l’OIF
Ses fondateurs l’avaient conçue comme un instrument permettant de développer des actions politiques et culturelles, des aides au développement, des programmes d’éducation et de formation. Telle est bien toujours l’ambition de l’OIF qui se fixe un certain nombre de missions, selon un programme quadriennal.
Parmi les missions prioritaires de l’OIF, certaines sont pédagogiques au sens large, comme l’enseignement de base (des programmes d’alphabétisation, par exemple), le développement de la culture et de la communication (la diffusion d’œuvres d’art, notamment)… Mais il y a aussi des ambitions directement politiques : la protection de la liberté, l’effort pour développer la démocratie et préserver partout l’état de droit, ainsi que des actions économiques (soutien aux entreprises, développement durable.) S’y manifeste surtout un effort soutenu pour promouvoir le français et contribuer ainsi à lutter contre l’uniformisation imposée par le modèle anglo-saxon, et l’ambition, peut-être utopique, de maintenir vivantes les valeurs humanistes que la France a propagées au cours de son histoire : indépendance, liberté et progrès.
(La publication est préparée par Alla CHEÏNINA.)
La carte de la langue française