Arts et culture
Vitali NOURIEV
En traduction, il faut être très souple
Anne Coldefy-Faucard, maître de Conférence à Paris IV Sorbonne, traductrice, éditrice, responsable des Éditions de l’Inventaire, conseillère littéraire des « Belles Étrangères Russie. »
– Vous avez refait la traduction du roman Les Âmes Mortes de Nikolaï Gogol. Pourquoi ? D’où vient la nécessité d’une nouvelle traduction ?
– Alors, d’abord je voudrais dire et j’insiste beaucoup là-dessus, même si dans la presse notamment française on trouve souvent ce qui paraît une erreur, ça, c’est pas un roman c’est un poème, et ça c’est vraiment très important parce que ça n’a rien à avoir avec un roman et on le voit dans la structure, dans la composition, dans tout. J’en ai remarqué il y a très très longtemps quand des francophones lisaient une des nombreuses traductions des Les Âmes Mortes, qui existaient, ils ne riaient jamais, et moi, quand je lisais Мертвые души en russe, je riais beaucoup même si c’est un peu désespéré comme texte il n’empêche que je riais beaucoup. Et je me suis dit, qu’il avait un problème et sans doute un problème, dû à la traduction. Donc c’est en fait un vieux rêve, que j’ai réalisé avec beaucoup d’hésitations il y a maintenant deux ans, en fait, quatre ans, parce que j’ai commencé deux ans avant, bien sûr. Et voilà je pense, qu’il fallait absolument refaire, comme, de toute façon, je pense, que tous les classiques et même tous les livres, c’est souvent plus facile pour les classiques, doivent être retraduits régulièrement.
– C’est la question du vieillissement de la traduction ?
– C’est la question du vieillissement de la traduction, certainement. Il me semble aussi, que, de toute façon, une traduction n’est jamais parfaite et que plus on a de traductions d’un même texte, surtout les grands textes, plus on a de chance, quand on n’a pas accès au texte original, d’avoir une petite idée au moins de ce qui est ce texte original.
D’ailleurs, il y a encore un problème pour le lecteur qui ne va pas comparer les deux ou les trois traductions existantes.
C’est vrai. C’est vrai, bon, bien sûr, tout ça, c’est un peu idéalisé, mais c’est satisfaisant pour l’esprit de savoir, que le lecteur véritablement intéressé peut comparer.
– Bien sûr, et pour Gogol, quelles étaient les difficultés principales lors de ce travail ?
– Alors je dirais, que la grande difficulté tient à l’écriture de Gogol, notamment, alors ça, à mon avis, c’est un problème pour toute la traduction du russe vers le français, la littérature, en tout cas, c’est à dire qu’il y a en russe ce qu’il n’y a pas du tout en français et ça s’explique par l’histoire de la littérature russe. Il y a ce mélange, qui n’est pas un mélange au sens péjoratif du terme, au contraire, quelque chose d’extrêmement harmonieux de langage élevé, de structure, de syntaxe élevées et de langage extrêmement quotidien voire trivial. C’est un problème général pour la littérature russe par rapport au français, en tout cas, et c’est un problème particulier pour Gogol qui use et abuse même de ça, et on s’aperçoit très vite, que si on veut traduire exactement ces mélanges, ces ruptures de ton, de style et de niveau de style surtout, en français on devient très vite vulgaire, parce que le français n’a pas du tout ces приемы, ces procédés-là. On devient vulgaire, ce qui pour Gogol est évidemment le cauchemar absolu, parce que Gogol n’est jamais vulgaire, même si quelques fois on est limite, il n’est jamais vulgaire. Il fait toujours un rétablissement spectaculaire au dernier moment, en français c’est toujours très périlleux. Pour moi c’est ça, la grosse difficulté.
– Donc, il y a encore un détail, vous avez pris un grand risque, ayant modifié des noms propres et renoncé presque complètement aux calques qui sont devenues traditionnelles (Mme Korobotchka (petite boîte) devient Mme Kassolette) ? Pourquoi alors ? Ne s’agit-il pas de ce qu’on appelle une adaptation ?
– Alors c’est vrai, que c’est un vrai problème, c’est vrai comme j’ai beaucoup hésité, parce qu’il est de tradition chez les traducteurs français de ne pas traduire les noms de famille, même quand ils ont un sens, on traduit éventuellement le surnom d’un personnage, quand c’est un personnage épisodique, secondaire. Dans le cas de Gogol au départ je me suis dit : « Bon, je fais comme mes prédécesseurs, c’est à dire, je ne traduis pas. » Et puis en relisant je me suis dit : « On perd la moitié, pas la moitié, mais on perd énormément de choses. » Et notamment pour Manilov, c’est là, que ça m’a vraiment sauté aux yeux, parce que pour Manilov Gogol joue sans arrêt sur заманчиво, манит etc. etc., il n’arrête pas de jouer avec ça. Et je me suis dit : « Bon, même si je mets une note pour expliquer le sens de Manilov, d’une part ça n’expliquera pas grand chose, d’autre part je ne pourrai pas de toute façon jouer sur tous les mots qui tournent autour de Manilov et qu’utilise Gogol pour créer des effets comiques. » Donc, je me suis dit : « Bah, tant pis, il faut prendre le risque et il faut essayer de traduire. » Avec effectivement tous les risques, que ça comporte et le fait, qu’on n’est pas spécialement, que moi, je ne suis pas spécialement satisfaite du résultat. Par exemple pour Manilov il est clair que je n’ai pas trouvé le mot en français, sur lequel je puisse jouer exactement comme joue Gogol et qui ait, en même temps, cette sorte de mollesse qu’il y a dans Manilov. Donc là, vraiment je reconnais que, bon, j’ai beaucoup cherché, mais j’ai pas trouvé. Mme Kassolette, en revanche, je suis contente, parce que kassolette, d’abord, ça lui va très bien, et puis une kassolette, c’est aujourd’hui compris comme une petite casserole, mais le premier sens, c’était une petite boîte. Et je trouve que ça va très bien avec le personnage. Bon, il y en a desquels je suis à peu près contente, surtout kassolette, d’ailleurs. Pour d’autres moins contente, mais je pense, ce qui est important dans une traduction, c’est avant tout de donner le maximum de possibilités de compréhension au lecteur, et que donc il y a une sorte de perception immédiate, en tout cas, plus grande, que si je n’avais pas traduit.
– Ce qui est vraiment curieux et précieux en même temps, c’est que la nouvelle traduction des Âmes Mortes est accompagnée des illustrations faites par Marc Chagall. Donc, Chagall colle bien à Gogol ? Pensez-vous, que c’est une réussite de l’éditeur ? Je pose cette question, puisque vous êtes aussi éditrice.
– Oui, tout à fait. Au départ, quand j’ai signé le contrat avec l’éditeur, il n’était pas du tout question des illustrations de Chagall. Ensuite la Fondation Chagall a donné ces illustrations à Moscou, à je ne sais plus quel musée, qui a sorti une édition russe de Мертвые души avec justement les illustrations de Chagall. En fait, les illustrations étaient une commande, qui avait été faite par Chagall, mais il y a très longtemps, entre deux guerres, si je ne me trompe pas, par un éditeur français, qui donc avait eu une publication, mais un tirage très limité, je crois que c’est deux ou trois cent exemplaires. Et ensuite l’éditeur a disparu et donc c’était quasiment inaccessible. Presque personne, presque plus personne ne savait, qui avait ces illustrations de Chagall. Donc l’éditeur a racheté à Moscou les droits sur les illustrations de Chagall, et l’on m’a dit : « Bon, il y aura des illustrations de Chagall, point. » Ce que j’ai trouvé ..., je savais pas trop quoi en penser sans les avoir vues. C’est bon peut-être, ça va être..., en général j’aime pas les illustrations des Âmes Mortes. J’ai vu plusieurs éditions soviétiques ou russes, je trouve que c’est une très mauvaise interprétation la plupart du temps des personnages et de toute cette œuvre.
– Votre traduction était récompensée par le prix Russophonie. Qu’est-ce que c’est comme prix ? Est-ce qu’il existe depuis longtemps ?
– Il a été discerné en 2006 pour la première fois. C’est un prix, qui a été créé par l’Association France-Oural, Association d’amitié France-Oural, je sais plus exactement. Ce qui est drôle, c’est pas moi, qui a eu le prix, j’ai eu un prix spécial comme toutes les personnes âgées, à qui on remet des prix spéciaux avant qu’ils prennent leur retraite, mais ce qui est intéressant, c’est que celui, qui a eu le prix, c’est un de mes anciens étudiants de mon séminaire, qui a fait cette traduction, qui a été primée, à mon séminaire, comme travail de diplôme et que j’ai publié chez un éditeur, chez lequel je dirige une collection. Et c’est donc lui, qui a eu le prix ce que j’ai trouvé vraiment très bien et moi, j’ai eu ce prix honorifique, en plus c’était vraiment parfait, moi, j’étais tout à fait contente. Il a traduit un texte de Zamiatine, extrêmement difficile, qui était inédit, donc c’était vraiment tout à fait mérité, c’était sa première traduction.
– Dans votre liste des auteurs traduits on trouve autant de classiques que d’auteurs dits modernes. Si l’on commence à énumérer, c’est sans fin. Fedor Dostoïevski, Ivan Bounine, Nikolaï Gogol, puis Vassili Grossman, Alexandre Soljenitsyne, Iouri Mamleïev, Nikolaï Maslov et même Edouard Limonov et Evgueni Primakov.
Quel était l’auteur le plus intéressant à traduire, le plus remarquable peut-être, le plus difficile ?
– Alors, la difficulté, bon, Gogol, c’est extrêmement difficile, ça alors vraiment je crois, qu’il y a peu de choses plus difficiles. Soljenitsyne, c’est terriblement difficile, de Soljenitsyne j’ai traduit avec d’autres, d’ailleurs, je n’étais pas toute seule, on était trois traducteurs. Красное колесо, ça c’est vraiment terriblement difficile. Maintenant il y a peu de traductions, que j’ai faites, qui ne m’ont pas plues. C’est-à-dire, qu’en général je m’arrange pour en choisir des textes ou des auteurs, qui me plaisent pour une raison ou pour une autre, il est clair que ce sont pas les mêmes raisons, qui me poussent à faire Primakov et à faire Gogol, par exemple. Si on regarde très bizarrement, il y a des traductions, en fait, toutes, je les ai appréciées pour une raison ou pour une autre, ces traductions, que j’ai faites. Il y en a pour lesquelles... il y en a, que j’ai beaucoup appréciées, que j’étais très contente d’avoir faites, mais qui étaient très dures, il y en a, qui n’étaient pas si faciles, mais dont je garde un souvenir de plaisir immense et c’est pas forcément les plus connues, c’est bien ça, qui est tout à fait intéressant. Par exemple, j’ai traduit Повесть о пустяках de Annenkov et c’était vraiment un moment de bonheur parfait, mais vraiment de bonheur parfait. Je sais pas pourquoi, peut-être, ça me correspondait bien, bon, il est vrai, que j’ai aussi connu, dans les dernières années de sa vie, j’ai connu Annenkov, je ne sais pas, si c’est un mélange de tout ça. En tout cas, je sais, que j’étais pressée de rentrer de mes cours chez moi pour me remettre à la traduction parce que c’était un vrai moment de bonheur. J’ai un autre exemple comme ça. Apoukhtine a écrit trois nouvelles en prose, qu’on m’a demandé de traduire il y a quelques années. Архив Графини Д., Дневник Павлика Дольского и Между смертью и жизнью, et ça aussi, c’était un moment de bonheur parfait, vraiment pas très facile à traduire, parce que ce sont trois nouvelles très raffinées, très bien écrites, mais c’était quelque chose de jouissif véritablement, un vrai moment de plaisir.
– Qui encore voudriez-vous traduire ?
– Aujourd’hui je ne sais pas bien, Мертвые души, c’était vraiment un grand rêve. Maintenant je ne sais pas bien, j’ai pas un auteur comme ça, comme Gogol, j’ai pas d’autres auteurs, pour qui c’était une espèce de rêve un peu inaccessible, non, il y a des auteurs, qui j’ai toujours envie de traduire, par exemple Пильняк, c’est un auteur, que j’aime beaucoup traduire, qui est difficile mais que j’aime vraiment beaucoup traduire, il y en a d’autres, il y en a sans doute beaucoup d’autres, mais disons que Мертвые души, c’était une sorte de sommet dans la mesure, où c’est quelque chose, que je voulais faire depuis des années, des années, des années, j’ai même oublié quand, puisque ça remonte à vraiment très très loin.
– Et encore un peu d’histoire, peut-être... pourquoi avez-vous choisi le russe comme langue de départ dans votre travail traducteur ?
– Alors le russe, en fait, j’ai fait des études de russe, et j’ai hésité beaucoup, quand j’ai commencé mes études supérieures entre la musique et le russe, c’était, en fait, entre la musique et la littérature avec le russe, bien sûr, en première place pour la littérature, finalement j’ai opté pour la littérature. J’ai des origines russes du côté maternel, qui remonte à avant la Révolution et juste après, et donc c’était un tout petit peu... ça fait une partie de mon histoire.
– Avez-vous eu des cas, où le travail, une fois commencé, est resté inachevé, devenu ennuyeux ou très difficile ?
– Non, je n’ai pas eu de cas, où je n’ai pas terminé une traduction, en général quand je m’engage, je le fais, mais j’ai eu une fois effectivement un texte, et depuis j’y ai fait très attention, ça a été une très bonne leçon, un texte d’un auteur, qui est, d’ailleurs, un bon auteur et je crois, que tout simplement je l’avais lu et ça m’avait bien plu, mais ça m’avait pas emballé, ça m’avait pas enthousiasmé. Il s’agissait d’un recueil des nouvelles de Maramzine. J’ai vraiment été très malheureuse pour finir cette traduction, je l’ai finie et je pense, que c’est pas une très bonne traduction, et parce que vraiment je crois que ... non, c’était extrêmement difficile, c’est pour ça que je dis toujours à mes étudiants : « Lisez très attentivement le texte, que vous voulez traduire, parce que même en le lisant très attentivement, on n’est pas sûr de son choix. » Donc c’est vraiment très important, parce que c’est extrêmement difficile, de toute façon, la traduction est un travail très ingrat, et si en plus on n’est pas porté par le texte original, si à un moment on se désintéresse, et c’est pour ça que je l’aime pas trop, ce texte, ça devient très très pénible.
– En fait, ce qui paraît tout à fait intéressant, c’est qu’après la chute de l’Union Soviétique, dans la période de Perestroïka la littérature russe en France a connu un grand intérêt sinon succès. Est-ce que cet intérêt dure toujours ?
– Moi, j’ai été très étonnée au moment du Salon du livre il y a quelques années, où la Russie était l’invitée, je savais pas du tout, je savais pas du tout, s’il y aurait beaucoup de publique, je savais pas. Et on a été, en fait, tout le monde, tous les organisateurs, on a été très étonné parce qu’il y a eu un monde fou, et vraiment un monde fou, les gens y ont acheté des livres en russe, en français, c’était vraiment un succès, un réel succès. Il y avait des tables rondes organisées tous les jours, plusieurs fois par jour, avec les écrivains, il y avait un monde fou chaque fois, je veux dire, là, j’ai senti, qu’au fond la Russie en général et la littérature russe en particulier intéressent toujours beaucoup en France, et qu’il y avait une réelle curiosité de la part des lecteurs français de savoir ce que c’était aujourd’hui la littérature russe. Et maintenant est-ce qu’ils ont une réponse correspondant à leur attente, ça, c’est autre chose. Je dirais, qu’on a une sorte de mélange, à la fois il y avait une curiosité, qui montrait, que les gens avaient envie de comprendre vraiment ce qui se passait, en même temps, il est clair, qu’il y a toujours vis-à-vis de la Russie un certain nombre de clichés et vis-à-vis de la littérature russe aussi. Donc quelle est la part du cliché, quelle est la part de la curiosité réelle et sincère, c’est extrêmement difficile à dire, mais qu’il y a un intérêt, ça, c’est évident. Maintenant une autre question, c’est de savoir, si la littérature russe peut répondre à cette attente, ça, c’est autre chose.
– Quelle est cette littérature russe, qui est actuellement en demande chez le lecteur français, qui est beaucoup plus gâté, paraît-il, que le lecteur russe ?
– Par rapport à ce qui est la littérature produite, vous voulez dire ? Je pense, si vous voulez, qu’il y a quand même une curiosité effectivement de la part des lecteurs français, qu’il y a chez les écrivains russes aujourd’hui beaucoup de mauvais ou, en tout cas, de satisfaisants, moi, jusqu’aux années quatre-vingt quinze je traduisais surtout des auteurs contemporains, des auteurs des années vingt, depuis je me suis mise aux classiques, ce qui veut quand même tout dire, mais il y a aussi des choses intéressantes, il y a aussi des tentatives intéressantes, dans la littérature russe actuelle il y a des recherches, qui sont intéressantes, qui sont pas forcément abouties peut-être, mais je trouve, qu’on aurait tort d’être très sévère, surtout quand on est en France, où la littérature contemporaine est quand même, soyons clairs, archinulle ou pas loin, alors qu’on n’a pas eu tous les bouleversements, qu’il y a eu en Russie, disons, tout au long du XXe siècle. Les différences d’effondrements, qu’il y a eu en Russie tout au long du XXe siècle font qu’à chaque fois la littérature a dû au fond retrouver des marques et même retrouver une langue à chaque fois, la langue d’après 1917 n’est pas la même qu’avant 1917, la langue d’après 1991 n’est pas la même qu’avant 1991, c’est quand même extrêmement difficile, donc qu’il y ait des périodes comme ça, переходные, de transition, ça me paraît tout à fait normal, ça fait quoi ? Ça fait quinze ans en gros, qu’il y a eu l’effondrement de l’Union Soviétique, quinze ans pour reprendre des marques et passer à autre chose, c’est rien, c’est pas beaucoup, quinze ans, donc, ça me paraît tout à fait normal, que pour le moment c’est un peu hésitant et c’est hésitant, en fait, qu’il y a des choses quand même très mauvaises, il faudrait bien le dire aussi. En même temps, bien sûr, on peut regretter, qu’il y a une sorte de vulgarisation de la littérature, qui s’est faite sur le modèle de la littérature, de ce qui se passe en Occident depuis des années, mais dans l’ensemble je trouve, qu’il y a quand même des choses plus intéressantes dans la littérature russe actuelle que dans la littérature française actuelle.
– Quels auteurs russes, selon vous, sont devenus en France comme une espèce de marque de soi de la Russie ? Ce sont des classiques ou bien des auteurs tout à fait modernes ?
– Ce sont plutôt des classiques, je dirais, ce sont plutôt des classiques. Dostoïevski est considéré comme, en France, en tout cas, comme l’auteur russe par excellence. Ah, oui, ça c’est clair, c’est vraiment l’auteur russe par excellence.
– Et encore un peu de clichés... Qu’en pensez-vous, est-ce que c’est vrai qu’en Russie la traduction est considérée comme art, et pour le traducteur occidental ce n’est qu’un artisanat ?
– Pour la Russie, bon, je peux pas en parler évidemment, même si j’ai pas mal de contacts avec des traducteurs, qui travaillent le littéraire en Russie et qui travaillent, je trouve quand même vraiment bien, je pense, qu’on a effectivement peut-être une perception différente, qui vient peut-être, entre autre, c’est pas la seule explication sans doute, mais du fait, que beaucoup d’écrivains à des moments, à certains moments, ou bien pour des raisons diverses et variées selon les époques, des véritables écrivains, des véritables poètes ont été aussi traducteurs, ce qu’on a moins traditionnellement dans la tradition littéraire française, on a des poètes ou des écrivains traducteurs, mais nettement moins. Donc je pense, que c’est peut-être pour ça, qu’on a tendance à y voir plus, nous, un artisanat, qu’un art véritable, qu’un art à part entière, en tout cas, même si on admet, on reconnaît tout à fait, ce qui est une évidence, qu’il y a une part de création, ou plus exactement de recréation, ce qui est pas tout à fait la même chose, ce qui est pas tout à fait la même choses, quand même.
– Et pour en finir, quelle est la règle la plus essentielle, que doit avoir en tête celui, qui traduit du russe ?
– Ха, (rit), вопросик, ай-ай-ай, ça, c’est vraiment très difficile comme question, je pense que... moi, ce que je dirais comme ça, qu’il faut être très souple, c’est à dire, qu’il faut s’attendre à tout, de la part des écrivains, qu’on traduit, ce qui est toujours un peu vrai de la part des écrivains, mais je crois encore plus dans la littérature russe, et qu’il y a une sorte de rigidité du français, dû au cartésianisme français, dû au rationalisme français, dû à une certaine rigidité de la langue française, en tout cas, par rapport à la langue russe. Je crois, qu’on perd beaucoup, il y a des choses, qu’on comprend pas, si on n’aborde un texte russe qu’avec les critères et les principes du français, bien évidemment on est obligé de tenir compte des procédés du français, mais je crois que dans un premier temps il faut vraiment en faire abstraction pour voir exactement ce que dit le texte, qu’on va traduire, sinon on peut passer à côté des choses essentielles. Je crois, que c’est ça surtout qui paraît à la fois le plus compliqué et le plus nécessaire, le plus indispensable. Je pense, par exemple, pour en venir à Мертвые души, dans les traductions, qui avaient été faites précédemment, il y avait beaucoup de digressions et de ce qu’on a dans Мертвые души, qui étaient soit résumées, soit supprimées, alors j’imagine sous prétexte, qu’on considérait, que ça allait ennuyer le lecteur français ou ça ennuyait le traducteur, c’est possible, mais c’est là, que je dis, qu’il faut vraiment être prêt à tout, quand on aborde un texte, parce que si on parle du principe, que ce type de digressions va ennuyer le lecteur français, il faut laisser tomber Les Âmes Mortes, c’est pas la peine, parce que Les Âmes Mortes tiennent essentiellement là-dessus, et si on n’est pas capable de voir ça, de voir, que c’est l’essentiel et pas la petite histoire minable d’arnaque de Tchitchikov, franchement ça a sa part d’un intérêt fantastique, mais c’est juste un prétexte pour tout à fait autre chose, pour parler de tout à fait autre chose, et je crois, que si on ne voit pas ça, si on n’est pas ouvert à ça, on passe à côté.