Mon amie la langue française
Victoria NIKOLAEVA
Le monde merveilleux de Charles Perrault
Les étudiants et les professeurs de l’Université pédagogique de la ville de Moscou ont célébré le 380ème anniversaire de la naissance de Charles Perrault.
« Si Peau d’Âne m’était conté
J’y prendrais un plaisir extrême. »
Jean de La Fontaine
Il y a bien longtemps de cela, dans une contrée lointaine, naquit un enfant à qui les fées ne manquèrent pas de prédire une destinée hors du commun, celle de composer de jolis contes enchanteurs pour les enfants de tous âges et de tous pays.
Cela aurait pu être le beau début d’une histoire merveilleuse destinée à nous narrer la vie heureuse de son héros, Charles Perrault (12 janvier 1628-16 mai 1703). Mais la réalité se montra beaucoup plus prosaïque. En effet, si notre personnage principal fut d’abord un grand commis de l’État, élu à l’Académie française au fauteuil 23 en 1671. À cette distinction succéda toutefois sa disgrâce. Elle-même suivie, comme on peut l’imaginer, de la perte de ses charges et de celle de la pension qui lui était versée.
Quant à sa vie privée, elle ne fut pas très heureuse non plus. Charles Perrault se maria sur le tard, à 44 ans seulement, avec Marie Guichon, une femme de vingt ans sa cadette dont il eut quatre enfants. Un bonheur conjugal qui ne dura pas longtemps, six toutes petites années, après quoi il devint veuf.
On qualifie souvent Charles Perrault de touche-à-tout littéraire, on veut dire par là, qu’il s’essaya au genre galant, composa aussi des poèmes et des poésies, mais également qu’il participa à de nombreuses débats (dont la célèbre querelle des Anciens et des Modernes), qu’il rédigea des biographies romanesques mais qu’il ne connut pas à proprement parler la gloire. En revanche, ce qui le rendit vraiment immortel, ce fut l’adaptation de contes populaires pour les salons mondains.
En 1683, à la mort de Colbert, Premier ministre tout puissant de Louis XVI, et protecteur de notre héros, Charles Perrault, déjà veuf, perdit les bonnes grâces de son souverain, se consacra à l’éducation de ses enfants et, par voie de conséquence, rédigea l’œuvre de toute une vie, les Contes de ma mère l’Oye, ou Histoires du temps passé qui parut en 1697. Un recueil composé de huit contes mondialement connus : La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, Barbe bleue, Le Maître chat ou le Chat botté, Les Fées, Cendrillon ou la petite pantoufle de vair, Riquet à la houppe, Le Petit Poucet.
Les sujets des contes de Perrault furent ensuite repris par les frères Grimm, et servirent de source d’inspiration aux cinéastes du monde entier. Depuis qu’ils furent écrits, de nombreuses générations d’enfants se sont endormis, bercés par la voix de leur maman leur lisant ces pages merveilleuses.
Tous ceux qui apprennent le français connaissent les contes de Perrault. Nos étudiants ne font pas exception. Le 17 avril 2008, à la faculté des langues romanes et germaniques de l’Université pédagogique de la ville de Moscou, lors de la conférence scientifique, nous avons organisé une fête consacrée à Charles Perrault. Au programme il y eut une présentation de sa vie par les étudiants de première année, une analyse de son œuvre par L.G. Vikoulova, professeur, docteur en philologie ainsi qu’un spectacle intitulé Chantal Bottée conçu par les étudiants de deuxième année. Pour finir, les professeurs annoncèrent les résultats de l’atelier de création – il s’agissait d’illustrer un conte de Perrault (le premier prix revint à Anastassia Arkhipova, étudiante de première année) et de traduire en russe Le Petit Chaperon rouge (ce fut Tatiana Kachina, étudiante de première année qui l’emporta).
Charles Perrault
Le Petit Chaperon rouge
Dessin d’Anastassia Arkhipova,
1er prix
Il était une fois une petite fille de Village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien, que partout on l’appelait le Petit chaperon rouge.
Un jour sa mère ayant cuit et fait des galettes, lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade, porte-lui une galette et ce petit pot de beurre ». Le Petit chaperon rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre Village. En passant dans un bois elle rencontra compère le Loup, qui eut bien l’envie de la manger ; mais il n’osa, à cause de quelques Bûcherons qui étaient dans la Forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il était dangereux de s’arrêter à écouter un Loup, lui dit : « Je vais voir ma Mère-grand, et lui porte une galette avec un petit pot de beurre que ma Mère lui envoie ». « Demeure-t-elle bien loin ? » lui dit le Loup. « Oh ! oui, dit le petit chaperon rouge, c’est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, là-bas à la première maison du Village ». « Eh bien, dit le Loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous verrons qui plus tôt y sera ». Le Loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après les papillons, et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Le Loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la Mère-grand ; il heurte : « Toc, toc ». « Qui est là ? » « C’est votre fille, le Petit chaperon rouge, dit le Loup en contrefaisant sa voix, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie ». La bonne Mère-grand, qui était dans son lit à cause qu’elle se trouvait un peu mal, lui cria : « Tire la chevillette, la bobinette cherra ». Le Loup tira la chevillette et la porte s’ouvrit. Il se jeta sur la bonne femme, et la dévora en moins de rien ; car il y avait plus de trois jours qu’il n’avait mangé. Ensuite il ferma la porte, et s’alla coucher dans le lit de la Mère-grand, en attendant le Petit chaperon rouge, qui quelque temps après vint heurter à la porte. « Toc, toc ». « Qui est là ? » Le Petit chaperon rouge, qui entendit la grosse voix de Loup eut peur d’abord, mais croyant que sa Mère-grand était enrhumée, répondit : « C’est votre fille le Petit chaperon rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie ». Le loup lui cria en adoucissant un peu sa voix : « Tire la chevillette, la bobinette cherra ». Le Petit chaperon rouge tira la chevillette et la porte s’ouvrit. Le Loup, la voyant, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : « Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher avec moi ». Le Petit chaperon rouge se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa Mère-grand était faite en son déshabillé. Elle lui dit : « Ma Mère-grand, que vous avez de grands bras ? » « C’est pour mieux t’embrasser ma fille ». « Ma Mère-grand, que vous avez de grandes jambes ? » « C’est pour mieux courir, mon enfant ». « Ma Mère-grand, que vous avez de grandes oreilles ? » « C’est pour mieux écouter, mon enfant ». « Ma Mère-grand, que vous avez de grands yeux ? » « C’est pour mieux voir, mon enfant ». « Ma Mère-grand, que vous avez de grandes dents ? » « C’est pour te manger ». Et en disant ces mots, ce méchant Loup se jeta sur le Petit chaperon rouge, et la mangea.
Dessin de Marina Sokolova
Moralité
On voit ici que de jeunes
enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites et gentilles ;
Font très mal d’écouter toutes
sortes de gens,
Et que ce n’est pas chose
étrange,
S’il en est tant que le loup
mange.
Je dit le loup, car tous
les loups
Ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur
accorte,
Sans bruit, sans fiel
et sans courroux,
Qui privés, complaisants
et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons,
jusque dans les ruelles ;
Mais hélas ! Qui ne sait que ces
Loups doucereux,
De tous les Loups sont les plus
dangereux.