Arts et culture
Jean-Louis Trintignant : « Je n’aime que les beaux textes »
Jean-Louis Trintignant, que l’on n’a plus guère vu au cinéma depuis les années 1990, se consacre essentiellement au théâtre. Il joue à Paris, au Rond-Point, jusqu’au 19 avril, des extraits du Journal de Jules Renard et de textes de Jean-Michel Ribes, entouré de Joëlle Belmonte, Jean-Louis Bérard et Manuel Durand. Rencontre.
– Comment est né ce projet ?
– J’ai une passion pour ce journal que je lis depuis cinquante ans. On ne connaît souvent de Jules Renard que Poil de carotte, mais lui-même considérait que c’était ce qu’il avait fait de plus important.
– Il y a d’autres textes que ceux de Jules Renard, pourquoi ?
– Je ne connaissais pas ceux de Jean-Michel Ribes, mais en les lisant je me suis dit que ce serait bien de les mélanger et peu à peu on a ajouté d’autres textes, Alphonse Allais, Topor. Il fallait sortir de la succession d’aphorismes. Nous avons essayé d’établir des dialogues, de construire de petites scènes. Par exemple, on a mis ensemble des textes de 1876 et de 1902. C’est peut-être plus difficile qu’une pièce : on passe vite d’une humeur à l’autre, du fort au léger. Il fallait trouver un ton uniforme entre nous. Laisser le temps au public avant d’enchaîner, mais pas trop.
– Comment s’est effectuée la mise en scène ?
– Il n’y a pas vraiment de mise en scène, nous sommes chacun assis derrière une petite table et nous dialoguons. Ce n’est pas une lecture, nous savons nos textes. D’ailleurs, d’un soir à l’autre, on change, on en dit d’autres, on se piège un peu mutuellement. C’est bien d’oublier un peu ce qui a été écrit et d’improviser. Il faut savoir se mettre en danger. Nous avons été aidés par Gabor Rassov, mais je n’ai pas le culte des metteurs en scène. Je travaille de mon côté et je vends au metteur en scène. On a sans doute besoin de lui mais je n’en attends pas grand-chose.
– Vous dites souvent que vous préférez le théâtre au cinéma, pourquoi ?
– Le cinéma, c’est de la conserve. On est libre au théâtre, on invente. Laurent Terzieff dit qu’un interprète perd son âme dès qu’il est enregistré. Il peut se passer des tas de choses, un rideau qui tombe, et cette mise en danger, à plusieurs, devant le public, c’est le bonheur. Cela devrait être toujours un moment exceptionnel... ou raté. Et le public est essentiel pour les comédiens. Au cinéma, je n’arrive pas à imaginer les spectateurs.
– Vous avez d’autres projets ?
– Quand on est acteur de cinéma, on ne lit que des scénarios et ils sont peu intéressants. Je n’aime que les beaux textes. Et j’ai beaucoup de plaisir à les écouter ou à les lire, de moins en moins parce que je deviens aveugle... mais j’ai tellement vu. Je m’y attends, je recense les plaisirs que l’on peut avoir en étant aveugle.
– En dépit des événements douloureux qui vous ont touché, comme la mort de votre fille, vous aimez toujours jouer ?
– Si on meurt jeune, on est épargné. Je ne pensais pas que je vivrais si vieux, et j’aime vivre. Je suis tellement heureux d’être comédien, de jouer, et cela compte aussi dans mes rapports avec ma femme. Nous vivons dans les Cévennes, et je ne suis pas manuel, alors elle me méprise un peu. Mais quand elle me voit jouer, elle se dit, il n’est pas si con que ça, et ça compte beaucoup pour moi.
(d’après Le Monde)