Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №18/2008

Arts et culture

Juliette Gréco, la muse de Saint-Germain-des-Prés

« Moi, à l’époque je le trouvais beau.
C’est un homme passionnant, séduisant,
d’une grande tendresse. […] Il a eu une revanche
exemplaire qu’il méritait grandement. Mais il en est
quand même mort, de ce non-amour de départ. »

Juliette Gréco

img1

L’histoire de leur rencontre est décrite par Bertrand Dicale, biographe de Juliette Gréco. « 1958. Gainsbourg, cadet d’un an de Juliette Gréco1, a trente ans. Toujours tiré à quatre épingles2, il est d’une timidité maladive. À ses débuts comme auteur de chansons, il avait essayé de l’approcher. Lorsque, fin 1958, elle le rencontre enfin, il atteint à une certaine renommée dans le métier : Gréco va l’écouter chez Milord l’Arsouille du Palais-Royal, lieu déterminant dans la carrière de Léo Ferré, de Jacques Brel, de Guy Béart. Rendez-vous quelques jours plus tard, chez elle... »

Il est si impressionné par cette figure de proue de la chanson française, que finit par laisser échapper le verre de whisky qu’elle lui avait offert. Et pourtant, la glace se rompt : Gréco prend cinq chansons à Gainsbourg. Ils se revoient et commencent à sortir ensemble – elle, la chanteuse fascinante, et lui cet homme d’une extrême timidité que tout le monde trouve laid. « Moi, je le trouvais beau », dira Gréco, évoquant la même magie que pour sa rencontre avec Jacques Brel : « Je garde le souvenir de lui quand il était venu à la maison m’apporter ses chansons. Il était nul ! Il avait peur, il était paniqué. J’avais de très beaux verres à whisky, en cristal gravé. Je lui sers un drink, mais il avait les mains tellement tremblantes et humides que le verre lui a glissé des mains et s’est brisé à ses pieds ! »

Jean-Pierre Leloir les photographie au Club Saint-Germain, elle, flamboyante dans son tailleur pied-de-poule3 et fixant l’objectif ; lui, courbé sur son tabouret dans un impeccable costume prince-de-galles4, le sourire gêné, le regard un peu inquiet d’être là. Un soir d’été de 1962, ils ont passé la soirée à écouter des disques et à boire du champagne. Très tard, les fenêtres ouvertes sur la nuit d’été, la chanteuse a dansé longuement, « comme un papillon », pour Gainsbourg. Le lendemain, il lui a envoyé La Javanaise.

Serge GAINSBOURG

La Javanaise

(1962)

img2

Françoise Pancrazzi

J’avoue, j’en ai bavé, pas vous, mon amour
Avant d’avoir eu vent de vous, mon amour
Ne vous déplaise, en dansant la javanaise
Nous nous aimions, le temps d’une chanson

À votre avis, qu’avons-nous vu de l’amour
De vous à moi, vous m’avez eu, mon amour
Ne vous déplaise, en dansant la javanaise
Nous nous aimions, le temps d’une chanson

Hélas, avril en vain me voue à l’amour
J’avais envie de voir en vous cet amour
Ne vous déplaise, en dansant la javanaise
Nous nous aimions, le temps d’une chanson

La vie ne vaut d’être vécue sans amour
Mais c’est vous qui l’avez voulu, mon amour
Ne vous déplaise, en dansant la javanaise
Nous nous aimions, le temps d’une chanson

Gainsbourg écrira pour Gréco aussi La Chanson de Prévert. « Je n’ai pas voulu l’interpréter, se souvient Juliette Gréco, parce que je chantais déjà Les Feuilles mortes (à laquelle La Chanson de Prévert fait allusion). Cela l’a beaucoup chagriné. »

Gainsbourg obtiendra une consolation posthume5, puisque La Chanson de Prévert  figure sur le récent album de Gréco où l’artiste réinterprète également La Javanaise, dont elle est très fière. « Aujourd’hui, c’est une chanson immortelle. »

Serge GAINSBOURG

La Chanson de Prévert

Oh je voudrais tant que tu te souviennes
Cette chanson était la tienne
C’était ta préférée
Je crois
Qu’elle est de Prévert et Kosma

Et chaque fois Les Feuilles mortes
Te rappellent à mon souvenir
Jour après jour
Les amours mortes
N’en finissent pas de mourir…

Françoise Pancrazzi

Par ailleurs, début 1958, Serge, qui a déjà été marié à Élisabeth Levitsky de 1951 à 1957, fait la connaissance de Françoise Pancrazzi et tombe éperdument amoureux d’elle. Il s’installe chez elle, près de la place de l’Étoile. Il l’épouse en janvier 1964, et une fille, Natacha, leur naît le 7 août. Deux ans plus tard, ils divorcent, avant de se réunir à la fin 1966, pour se quitter définitivement au printemps 1968, juste après l’arrivée d’un deuxième enfant, Paul. « Le temps ronge l’amour comme l’acide », avait écrit Gainsbourg. Serge ne parlera jamais en public de Françoise et de leurs deux enfants. Pendant plus de vingt ans, il aura choisi de les faire demeurer dans l’ombre.



1 Bertrand Dicale, Gréco. Les vies d’une chanteuse, J.-C. Lattès, 2001.

2 Tiré à quatre épingles – vêtu avec beaucoup de soin.

3 Étoffe de laine ou de coton, formant un effet de damier, qui rappelle vaguement des empreintes de pattes d’oiseau.

4 Tissu moderne de laine, ordinairement de couleur grise, à fils noirs et blancs, et à légers filets de couleur vive formant de grands quadrillés.

5 Posthume – qui suit après la mort de la personne en question.

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