Arts et culture
Brigitte Bardot, « Je t’aime, moi non plus... »
« Il était sarcastique, grimacier, peu bavard.
Il faisait l’effet de quelqu’un de si intelligent
que communiquer avec ses semblables
l’indifférait. Je crois avoir reconnu (une
des premières) sa sensibilité d’écorché vif. »
Brigitte Bardot
Brigitte Bardot, dans son autobiographie Initials B.B.1, raconte l’histoire de leur rencontre. Une émission de télévision, le « Show Bardot », consacrée à l’actrice vedette est en préparation et, à cette occasion, Serge Gainsbourg écrit de nombreux titres qui doivent donner lieu chacun à une mise en scène particulière. Pourtant, Brigitte panique et est sur le point de tout laisser tomber, quand elle reçoit un coup de fil de Serge Gainsbourg : « Il parlait peu et bas. Il voulait me rencontrer et me faire entendre, à moi seule, une ou deux chansons qu’il avait composées pour moi. Il vint rue Paul Doumer. J’étais aussi intimidée que lui. Il joue Harley Davidson. Je n’osais pas chanter devant lui, il y avait quelque chose dans sa façon de me regarder qui me bloquait. Une sorte de timide insolence, d’attente, de supériorité humble, des contrastes étranges, un œil moqueur dans un visage triste, un humour froid, les larmes aux yeux. De ce jour, de cette nuit, de cet instant, aucun autre être, aucun autre homme ne compta plus pour moi. Il était mon amour, me rendait la vue, il me faisait belle, j’étais sa muse. »
L’histoire amoureuse de Gainsbourg et Bardot a été assez confidentielle : personne n’a jamais connu de détails intimes, même si, paradoxalement, Serge Gainsbourg a toujours fait parade de sa liaison avec cette femme qui faisait tourner la tête de toute une génération d’hommes… elle n’en demeure que bizarrement plus secrète. Serge Gainsbourg avait confié à son père : « La plus belle fille du monde ! On m’envie de tous les côtés ! Il ne faut pas que je tombe dans le panneau2… »
En 1967, ils sont au sommet de leur carrière : Gainsbourg a franchi les étapes du succès ; Bardot elle aussi est à son apogée… Ils sympathisent, on les voit inséparables. Brigitte Bardot rapporte : « Sur un plan quotidien, nos rapports étaient parfaits : “Gain-Gain”3 est un fils de famille courtois, et bien élevé. En ses débuts je ne l’ai pas connu provocateur ; la provocation n’est venue qu’après, lorsque le succès fut immense. Avec une note, un mot, il s’est mis à faire de l’or, mais sans changer d’attitude à mon égard. »
Une nuit, Gainsbourg compose, sans s’interrompre, sur son piano, ses trois plus belles chansons pour elle, trois chefs-d’œuvre, créés en dix heures seulement… Ce sont : Bonnie and Clyde, Je t’aime moi non plus et Harley Davidson.
Bonnie and Clyde4
(1967)
Vous avez lu l’histoire
De Jesse James5
Comment il vécut
Comment il est mort
Ça vous a plu, hein
Vous en d’mandez encore
Eh bien
Écoutez l’histoire
De Bonnie and Clyde
Alors voilà
Clyde a une petite amie
Elle est belle et son prénom
C’est Bonnie
À eux deux ils forment
Le gang Barrow
Leurs noms
Bonnie Parker et Clyde Barrow
Bonnie and Clyde
Bonnie and Clyde
Mais « BB »6, la plus belle des femmes, est mariée au millionnaire allemand Gunter Sachs… Alors que le couple Bardot-Gainsbourg enregistre Je t’aime moi non plus, qui signe la fin de leur brève liaison, le mari de Bardot est offensé par la chanson très sensuelle. L’actrice supplie Serge de retirer la chanson. « Ma liaison avec Serge était connue, mais là, on poussait le bouchon7 un peu loin. » Sagement, Gainsbourg obéit. 40 000 exemplaires que Serge retire, selon ses propos, « par pure galanterie »…
« Il m’a dit : “Je mets la chanson dans un coffre, elle est à toi. Et si tu veux, un jour, on la ressortira.” », se souvient Bardot. Aussitôt, il signe la plus belle chanson adressée à BB, chanson d’adieu et qui sanctionne leur rupture : Initials BB.
Initials BB
(1968)
Jusqu’en haut des cuisses
Elle est bottée
Et c’est comme un calice8
À sa beauté
Elle ne porte rien
D’autre qu’un peu
D’essence de Guerlain9
Dans les cheveux
À chaque mouvement
On entendait
Les clochettes d’argent
De ses poignets
Agitant ses grelots
Elle avança
Et prononça ce mot :
Alméria10
Après leur aventure, il est effondré. Il l’a adorée. « L’amour physique est sans issue11. » Quant à elle, elle se souviendra toujours de lui : « Il était une fois “Gainsbourg”, prince fou d’un monde trop étroit pour lui. Il a su nous séduire, nous enchanter par la beauté de son âme et de son cœur. Il cachait sa vulnérabilité derrière une insolente agressivité qui ne reflétait que la partie visible de cet iceberg bouillant et généreux. Gainsbourg c’est le meilleur et le pire, le blanc et le noir. Celui qui fut probablement le petit prince juif et russe qui rêvait en lisant Andersen, Perrault et Grimm est devenu face à la tragique réalité de la vie, un Quasimodo12 émouvant ou répugnant. Au profond de cet être fragile, timide et agressif, se cache l’âme d’un poète frustré de tendresse, de vérité, d’intégrité. Son talent, ses musiques, ses mots, sa personnalité en font un des plus grands compositeurs de notre triste époque... »
Hélas, ces mots tendres, elle les dira dix ans après la mort de Serge.
Mais nous sommes en 1968. Serge se remet mal de cette rupture. C’est à ce moment difficile de sa vie qu’il s’achète un coquet pavillon au cœur du quartier des antiquaires parisiens, le futur hôtel particulier de la rue de Verneuil. À l’origine, ce devait être un témoignage d’amour dont il rêvait pour y accueillir celle qu’il aimait… Il publie un recueil de textes Chansons cruelles, tourne, pour s’oublier, dans le cinéma et y rencontre une jeune Anglaise que personne ne connaît encore : Jane Birkin. Elle a une petite voix, mais il veut absolument qu’elle chante. Pour elle, il écrira près de 85 chansons originales et un film. Pendant douze ans, il n’aimera qu’elle.
1 Brigitte Bardot, Initials B.B., éditions Grasset, Paris, 1996.
2 Tomber dans le panneau – tomber dans le piège.
3 Sobriquet donné à Gainsbourg par Brigitte Bardot.
4 Bonnie Parker et Clyde Barrow – pendant la Grande Dépression dans les États-Unis des années 1930, célèbres criminels américains, spécialisés dans l’attaque à main armée de banques.
5 Jesse James – célèbre hors-la-loi, officiant dans les États-Unis de la seconde moitié du XIXe siècle.
6 Initiales de Brigitte Bardot, sous lesquelles elle était fréquemment désignée.
7 Pousser le bouchon (fam) – exagérer.
8 Calice (m) – vase sacré.
9 Guerlain est le plus ancien parfumeur français.
10 Ville espagnole, lieu de la rupture définitive entre Gainsbourg et Bardot.
11 Extrait des paroles de la chanson Je t’aime moi non plus.
12 Quasimodo est le laid bossu, amoureux de la belle gitane Esmeralda, dans Notre Dame de Paris, de Victor Hugo.