Arts et culture
Bambou – la dernière histoire de Serge Gainsbourg
« Avant, quand je le voyais à la télé, je me disais “il doit être un super papa”. »
Pauline Von Paulus (Bambou)
Au début des années 1980, séparé de Jane, Gainsbarre se retrouve désespéré. Naviguant entre désespoir et alcool, il travaille énormément. Après avoir écrit un album pour Deneuve, il enregistre, en 1984, un album aux sonorités funk aux États-Unis, Love on the Beat. C’est la meilleure vente de sa carrière. Le temps d’un titre Lemon Incest, qu’il chante en duo avec sa fille Charlotte. Deux ans plus tard, il la mettra en scène dans le film Charlotte For Ever, et lui écrira son premier album.
Ayant mis un jour ce masque de poète alcoolique et cynique en blouson de cuir, il n’arrive plus à l’enlever. Il ne reste pourtant pas longtemps seul et rencontre Pauline Von Paulus– qu’il rebaptisera Bambou – jeune eurasienne de vingt et un ans (de trente et un ans sa cadette), ex-junkie, mannequin à ses heures… L’histoire de cette jeune femme est plus que triste. Elle est née en 1959 à Villeneuve-sur-Lot. Son enfance est malheureuse. Mal aimée par sa mère, elle est placée en famille d’accueil où elle tombe sur des parents adoptifs sévères. La suite n’est pas plus réjouissante… À neuf ans, elle vole des lames de rasoir pour s’ouvrir les veines.
Ce sera la dernière histoire de Serge Gainsbourg. Il pleure le grand amour, quand elle ne sait pas ce que c’est : « Il a aimé Jane et Bardot, je le respecte, quand on aime c’est pour la vie. Moi quand je l’ai rencontré, je mendiais de l’affection. Alors je ne me suis jamais mise en rivalité. »
Bambou avec le petit Lucien
Elle cherche un protecteur. Il veut la protéger. Ils se trouvent l’un l’autre. Lorsqu’elle lui écrit, elle s’adresse à : « mon petit papa ». Lorsqu’elle lui parle, elle ne le nomme pas : « Serge, ça ne sortait pas. »
En dépit des apparences, c’est Bambou qui soigne les bleus à l’âme de son compagnon. La « compagne-enfant » devient « compagne-mère ». En 1986, ils ont un petit garçon, l’appellent, comme lui, Lucien. « Lulu II », comme Serge le dit. « Mes enfants, affirmait-il, c’est ce que j’ai fait de mieux dans ma vie. Tout le reste n’est que du vinyle. »
Gainsbourg écrit pour Isabelle Adjani, pour Vanessa Paradis, pour Jane Birkin et pour leur fille Charlotte. Ces albums sont autant de succès. Il écrit également un album pour Bambou, Made in China, mais c’est un échec. Si, dehors, il reste Gainsbarre, avec elle, dans leur vie privée, il est Gainsbourg, « délicat, galant, humain ». Elle ajoute : « Souvent il était drôle, et puis parfois, la limite dépassée, il devenait horrible. Il finissait par pleurer en disant : “T’inquiète pas, c’est des larmes de crocodile.” »
Serge Gainsbourg a 60 ans. Ses spectacles sont grandioses malgré sa santé de plus en plus fragile. Comme un adieu, il signe son dernier album pour Jane Birkin, Amours des feintes. La pochette, représentant une Jane triste, est dessinée par l’auteur, qui à cette époque, pensait sérieusement se remettre à la peinture.
Serge GAINSBOURG
You’re under arrest
(1987)
Je crèverai un Sunday où j’aurai trop souffert,
alors tu reviendras…
mais je serais parti…
Des cierges brûleront comme un ardent espoir !
Et pour toi, sans efforts, mes yeux seront
ouverts…
N’aie pas peur “mon amour” s’ils ne peuvent
te voir…
Ils te diront que je t’aimais… plus que ma vie…
Gainsbourg sort peu. Il installe Bambou à deux pas de chez lui, avec leur fils, pour rester seul entre ses murs peints en noir, rue de Verneuil. C’est elle qui donne l’alerte en appelant les urgences, le 2 mars 1991, quand, inquiète, elle frappe à la porte et que personne ne répond. Il a été terrassé par une ultime crise cardiaque.
Le jour de l’enterrement, au cimetière du Montparnasse, Isabelle Adjani, Françoise Hardy, Catherine Deneuve, Jane Birkin se serrent auprès de Bambou. Finalement très aimé, Serge Gainsbourg fait l’unanimité.
« Serge… Qu’est-ce que je peux dire de toi ? Qu’on ne s’habitue pas à ton absence… Le manque de toi… “Ne dis pas ça, ne pleure pas, il n’aimerait pas”, disent les autres. Quoi ! Vous ne le connaissez pas… Il serait ravi ! Voilà donc, cher Serge… Il paraît que ça fait dix ans… Ne t’en fais pas : on ne se remet pas…
Ça va ? Jane. »
1 Eurasien – né de parents européen et asiatique.
2 Junkie [dgoenki] (de l’américain junk – « drogue ») – consommateur de drogues dures.
3 Matière chimique qui sert à la fabrication des disques noirs microsillons. Un vinyle désigne aussi, par métonymie, le disque lui-même.
4 Le titre est un jeu de mots à partir de l’homophonie du nom féminin « feinte », qui signifie tromperie, et de l’adjectif « défunte », morte, disparue.
5 Texte de Jane Birkin, publié à la une du Nouvel Observateur, revue hebdomadaire, pour les dix ans de la disparition de Serge Gainsbourg, en mars 2001.