Arts et culture
Marina OURINOVA
Poèmes en prose des poètes connus, peu connus et méconnus
(Suite. Voir N° 16/2008)
Jean Follain (1903-1971)
Né à Canisy en 1927, Jean Follain s’inscrivit au Barreau de Paris où il exerça jusqu’en 1952. Il fut par la suite juge de paix. Ayant quitté la magistrature en 1961, il fit plusieurs voyages à travers ce monde.
Tout en exerçant son métier d’avocat, il fréquentait les milieux littéraires et écrivait, écrivait, écrivait...
Jean Follain écrivit des récueils de poèmes mais également des livres en prose.
Ami de Max Jacob, André Salmon, Pierre Reverdy, il collabora à de très nombreuses revues .
En 1970, il reçut le Grand Prix de poésie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.
Jean Follain était toujours hors tout groupe poétique et même hors toute époque, on peut dire qu’il était cavalier seul. Il écrivit de brefs poèmes au titre très significatif (Usage du temps, Exister, Espaces d’instants) et de courtes proses faites de bribes de souvenirs qui deviennent très importants grâce à cette attention qu’il avait pour de petits détails apparemment négligeables, pour la présence presque anodine d’êtres ou d’objets ordinaires, pour tout ce qui fait la trame de nos vies. « ...Cette impression de toujours voir les choses durer et attendre ne m’a jamais quitté ». Cette vision des choses et des événements passés, cette intériorisation faisait de lui un philosophe de l’imaginaire.
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Il y a un jour où tout à coup j’aperçois cet objet qui, depuis dix ans, était sous mes yeux et qu’en réalité je n’avais jamais veritablement vu. Aussi bien les hommes oublient-ils les bibelots de leur chambre, le motif de leur papier de tapisserie, les visages de leurs chenets, jusqu’au jour où les prend – comme on dit dans un certain language – la mort sans phrases. Tout d’un coup, ce bol oublié se rappelle à moi, s’impose, j’ai peur qu’il ne tombe de mes mains et ne laisse plus sur un tapis représentant deux éléphants avec leurs tours que de luisants débris qu’il faudra tristement ramasser. Ce bol fut autrefois lavé par des servantes caquetantes qu’entouraient des nuages et des vapeurs, qu’encadraient de lueurs de cuivre et d’étain. Le monde était neuf. Beaucoup d’hommes d’alors ont fait des morts. Tout conspire maintenant sans eux сontre le néant et jusqu’en ces capitales où ont fini par s’installer de nouvelles chambres de tortures. J’y pense, le bol entre les mains. L’artisan qui l’a façonné gardait peut-être fière allure, doux regard, était peut-être seul au monde.
Забытая безделушка
В один прекрасный день я вдруг замечаю этот предмет: десять лет он был у меня всегда на виду, но по-настоящему я его никогда и не видел. Не так ли все люди забывают свои безделушки, узоры ковра в своей комнате или рисунок камина – вплоть до самого мига, когда их без оговорок хватает – как говорится – молчаливая смерть. Я тогда вспоминаю этот забытый предмет, предстает предо мной эта чаша, я боюсь, как бы не выпал предмет из моих рук на ковер – два слона и две башни на нем – он оставит лишь горстку блестящих осколков, – о, как грустно мне было бы их собирать! А ведь прежде ее мыли болтушки-служанки, окружая парами и пеной, обрамляя блеском олова, меди. Мир был новым. Много прежних людей ушло навсегда. Но и без них все сплотились теперь против небытия, даже в тех столицах, где устроили новые камеры пыток. Думаю я об этом с чашей в руках. Кто был тот мастер, что ее так искусно создал? Был он, быть может, гордым и нежным и, быть может, один в этом мире.
Étendues
De sentir toute cette beauté dispersée dans les musées vient le désespoir de ne pouvoir la garder en soi. Au-dehors, on aperçoit les grands arbres d’un jardin alors que vole un oiseau des pays tempérés. Parfois, on entend gronder l’orage, les tableaux lentement s’assombrissent. Pour les vieux gardiens, cela fait diversion, ils commentent le ciel. Par les rues les gens se hâtent devant de vastes monuments qui les oppressent. La pluie fouette des verrières, l’ouragan brise des branches, cependant que le portrait d’une femme nue sourit dans son cadre d’or noir, s’éclaire d’une lumière indécise.
Красота
От сознания, что вся эта красота разбросана по музеям, приходишь в отчаяние, что не можешь ее сохранить в себе. А там, где-то снаружи, ты видишь сад, большие деревья и птичку из дальних стран. Порой слышны вдруг раскаты грома, картины постепенно темнеют. Все это лишь развлекает старых хранителей: они обсуждают погоду и небо. По улицам люди бегут, спешат мимо огромных памятников: – о, как они их угнетают! Дождь барабанит по стеклам и дверям, ураган ветки ломает, и лишь портрет обнаженной дамы нам улыбается из своей почерневшей золотой рамы, излучая неясный блеск.
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On voit un soir du début de ce siècle un mathématicien arriver jusque chez lui ayant en main une cage à oiseau que, distrait à la manière des savants, il a sans qu’il s’en aperçoive prise à un étalage du quai des oiseleurs. Ayant cheminé à travers les fiacres jaunes et noirs, il n’a pas vu dans une ruelle un chien s’enfuir avec un gigot dans la gueule, poursuivi par un boucher furieux et moustachu. Dans l’avenir va trembler le souvenir de ces heures dérisoires. Des citoyens qui auront survécu aux massacres seront bras croisés, sur des chaises tressées, revoyant le fantôme du professeur en noir à redingote bien brossée tenant sa cage inhabitée.
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Какой-то вечер начала века: математик идет к себе домой, несет он клетку, что по рассеянности, так свойственной ученым, он по ошибке взял (и даже не заметил!) на набережной птицеловов из кучи барахла, что выставляют там. Шагая быстро между желтыми и черными фиакрами, он не видит, как в одном проулке собака мчится с бараньей ножкой, а за нею гонится мясник, усатый и разъяренный. В будущем воспоминанье об этом времени ничтожном расплывется. А горожане, что уцелеют в резне кровавой, усядутся спокойно на плетеных стульях, и снова перед ними замаячит призрак, профессор в черном чистом рединготе, держащий пустую клетку.