Je vous salue, ma France
Jeanna AROUTIOUNOVA
Voyage au Pays des gourmets
(Suite. Voir N°1/2007)
La bière
La bière a plus de 9 000 ans d’histoire, originaire d’Égypte, on l’appelait zythum. C’était une boisson sacrée reservée aux femmes prêtresses. Elle fut également conseillée pour ses vertus thérapeutiques, notamment contre la peste et le choléra. Le grand Hyppocrate lui-même la prescrivait contre les fièvres. Aujourd’hui la bière est reconnue pour ses qualités rafraîchissantes ; boire une bière peut être un plaisir pour les assoiffés de nature. Des dizaines de milliers d’hectolitres sont produits chaque jour de par le monde. Quoi de plus naturelle qu’une bière, puisque ces ingrédients sont le malt d’orge, le houblon, l’eau et la levure. L’orge donne le malt par germinaition. Le houblon, connu depuis l’antiquité, c’est l’épice de la bière. Puis l’eau, de 7 à 10 litres, pour 1 litre de bière. Et la levure, organisme vivant, pas de fermentation sans elle. Pourtant cet ingrédient indespensable cause bien des tracas aux brasseurs qui ne maîtrisaient pas toujours ses conséquences : la bière étati imbuvable à cause de l’acidité. En 1876, un homme, Louis Pasteur, grâce à ses travaux sur la levure, en a permis le contrôle ; il est le père de la bière moderne. Les plus grands consommateurs de bière se retrouvent en Europe sur une bande qui s’étend d’ouest en est : Angleterre, Belgique, Allemagne, France, Tchéquie, Autriche. Autrefois, la bière la moins alcoolisée, la moins chère, était appelée la « petite bière ». Elle était brassée avec le grain qui avait servi à faire la bière.
Le bifteck
Le bifteck participe à la même mythologie sanguine que le vin. C’est le cœur de la viande, c’est la viande à l’état pur, et quiconque en prend, s’assimile la force taurine. De toute évidence, le prestige du bifteck tient à sa quasi-crudité : le sang y est visible, naturel, dense, compact et sécable à la fois.
Le sanguin est la raison d’être du bifteck : les degrès de sa cuisson sont exprimés, non pas en unités caloriques, mais en images de sang ; le bifteck est saignant (rappelant alors le flot artériel de l’animal égorgé) ou bleu (et c’est le sang lourd, le sang pléthorique des veines qui est ici suggéré par le violine, état supérlatif du rouge). La cuisson, même modérée, ne peut s’exprimer franchement ; à cet état contre-nature, il faut un euphémisme : on dit que le bifteck est à point, ce qui est à vrai dire donné plus comme une limite que comme une perfection. Manger le bifteck saignant représente donc à la fois une nature et une morale. Tous les tempéraments sont censés y trouver leur compte, les sanguins par identité, les nerveux et les lymphatiques par complément... Comme le vin, le bifteck est, en France, élément de base, nationalisé plus encore que socialisé ; il figure dans tous les décors de la vie alimentaire : plat, bordé de jaune, semelloïde, dans les restaurants bon marché ; épais, juteux, dans les bistrots spécialisés ; cubique, le cœur tout humecté sous une légère croûte carbonisée, dans la haute cuisine ; il participe à tous les rythmes, au confortable repas bourgeois et au casse-croûte bohème du célibataire ; c’est la nourriture à la fois expéditive et dense, il accomplit le meilleur rapport possible entre l’économie et l’efficacité, la mythologie et la plasticité de sa consommation.
De plus, c’est un bien français (circonscrit, il est vrai, aujourd’hui par l’invasion des steacks américains). Comme pour le vin, pas de contrainte alimentaire qui ne fasse rêver le Français de bifteck. À peine l’étranger, la nostalgie s’en déclare, le bifteck est ici paré d’une vertu supplémentaire d’élégance, car dans la complication apparente des cuisines exotiques, c’est une nourriture qui joint, pense-t-on, la succulence à la simplicité.
(d’après Roland BARTHES, Mythologies)
Le café
Il est difficile de déterminer où et comment le café a été bu pour la première fois. On pense qu’il est apparu en haute Éthiopie, en Afrique orientale, dans la région de Kaffa. Sans comprendre comment il a traversé la mer Rouge, c’est pourtant à partir du Yémen qu’il commence sa longue et lente progression vers l’Occident. Il lui faudra presque 100 ans pour traverser l’Europe et pas moins de 50 pour faire son apparition dans le Nouveau Monde. En Europe, le café se répand au XVIe siècle et on voit apparaître les premiers « cafés », c’est-à-dire des endroits où on fait et vend du café. Au XVIIIe siècle, on commence à vendre du café en poudre, plus économique, auquel on mêle de la farine de pois chiche pour en couper l’amertume. Au XVIIIe siècle, Gustave-Adolphe, roi de Suède, prit la décision de trancher définitivement le dilemme « le café, est-il bon ou pas pour la santé ? » Il ordonna que deux condamnés à mort soient exécutés pas absorption massive de ... café. Durant plusieurs jours et sous les yeux attentifs des médecins de l’état, on fit boire de grandes tasses de café aux prisonniers. Ces derniers, plutôt que de succomber aux affres de la boisson, se sentirent chaque jour en meilleure forme et commirent même l’outrage suprême de survivre au pauvre roi. À la fin du XVIIIe siècle, le café est entré dans les mœurs des Français, notamment, le café en poudre, moins fort et beaucoup plus économique.
Les calissons
D’origine italienne, le calisson est apparu à Aix-en-Provence au début du XVIIe siècle. Parfumé à la fleur d’oranger, cette pâte d’amandes douces accompagnée d’un mélange subtil de fruits confits, melon, orange, mandarine, abricot, cuit pendant 30 minutes. Elle est ensuite désséchée après 48 heures de repos et disposée dans un moule sur une feuille de pain azyme. Le tout est glacé puis chauffé à 150°C pendant 10 minutes. Il ne reste plus qu’à les ranger dans les fameuses boîtes qui épousent parfaitement leur forme.
Le cassis de Dijon
Presque aussi célèbre que la moutarde, le cassis de Dijon est considéré comme l’un des meilleurs au monde. Il naît d’un arbuste, le caississier ou groseillier noir, cultivé notamment dans Les Hautes-Côtes. Liqueur, sirop ou ratafia, le cassis inspire mille recettes populaires en utilisant les feuilles, les fruits, les bourgeons et l’écorce. Vers 1840, deux liquoristes dijonnais de passage à Paris sont frappés pas la vogue du cassis dans la capitale. Ils flairent un marché. En 1855, Pierre Lhéritier épouse Claudine Guyot puis en 1858, Elisabeth Lagoute et Henri Lejay convolent en justes noces. C’est la naissance des maisons Lejay-Lagoute-Lhéritier-Guyot qui, avec Boudier et quelques autres maintiennent le flambeau. Un arrêt de la Cour de cassation (1925) fait obligation aux producteurs de cassis de Dijon d’être installés dans cette ville. Mais si cette production est florissante (120 000 hectolitres par an, la moitié des 10 millions de bouteilles vendues chaque année) elle doit surtout ce succès à l’envol du fameux kir, apéritif bourguignon par excellence, appelé aussi « blanc-cassis du chanoine ». En effet, le chanoine Kir, qui était devenu maire de Dijon après la Libération, détestait les vins médiocres. Il préférait alors accompagner les crus les moins prestigieux de crème de cassis, et donna ainsi naissance au kir, ce mélange dosé selon le goût de chacun, de vin blanc (aligoté de préférence), et de cassis. La crème de cassis titre 16 degrès au moins, la liqueur aux alentours de 20 degrès. Le cassis est abondamment utilisé en cuisine et en pâtisserie à Dijon, foie de veau poêlé aux baies de cassis, par exemple, ou encore vacherin au cassis.
La cerise
Il y a quelques légendes sur l’étymologie du mot « cerise ». Certains prétendent que ce mot est une déformation du sanskrit kazara ce qui signifie « quel jus, quelle saveur ! » , d’autres disent que les premières cerises étaient originaires de kerassos, nom grec qui signifie « corne ». C’est de ce mot que provient le nom français « cerisier » pour l’arbre et « cerise » pour le fruit. La légende raconte que partie de l’Orient, les oiseaux laissent tomber des noyaux tout le long de leur envolée et c’est ainsi que la cerise se retrouve en Grèce, à Rome et garnit la table de Lucullus. L’empereur Charlemagne ordonne, dans son royaume, de planter les cerisiers aux côtés des muriers. Plus tard, au Moyen Âge, la cerise entre dans les menus, crue ou cuite dans le vin et servie comme dessert. En France, la cerise a une longue histoire d’amour depuis les temps des Gaulois. La cerise, toute rouge de plaisir ou de honte, a souvent trôné dans le vocabulaire de la galanterie. Dans certaines provinces de France on accrochait une branche de cerisier au-dessus de la porte des filles peu farouches ou on déposait une branche de cerisier sur le seuil de la maison de ces filles. Losrque vient le temps des cerises, plusieurs villes apportent dans les festivités le concours des cracheurs de cerises – à Francesca, c’est la cerise entière ; à Noyon, le noyau. Le record est de 11 mètres ! Au XVIIIe siècle, on pouvait même, dans la région de Montmorency, reconnue pour sa production, louer un cerisier à la journée pour en faire la cueillette à loisir.
Le champagne
Le champagne, tel qu’on le connaît aujourd’hui, est né sous le règne du roi Henri IV, à la fin du XVIe siècle. Son nom est lié à celui de Dom Perignon, savant œnologue qui a pratiqué le premier l’assemblage de ce vin pétillant. Le champagne brut a été créé en 1876 à la demande des Anglais qui préféraient les vins secs.
Les châtaignes
Tout d’abord, il convient de faire la différence entre « un marron » et « une châtaigne ». Tous deux proviennent d’arbres communément appelés « châtaigniers » dont il existe de multiples variétés. Le marron, qu’on utilise pour le confisage, se distingue de la châtaigne parce qu’il ne possède qu’une seule amande, plus grosse, plus charnue et plus savoureuse, ayant aussi une grande faculté de conservation et une bonne tenus à la cuisson. La châtaigne proprement dite, comprend trois amandes cloisonnées, plutôt triangulaires et plus petites. La châtaigne, dite « marron » ne doit pas être comparée au marron d’Inde issu du marronnier car cette variété est non comestible. Seules ses graines sont utilisées dans les produits pharmaceutiques. On retrouve la châtaigne dans tous les écrits anciens depuis la préhistoire, aussi bien en Chine, en Asie Mineure et sur le pourtour méditerranéen. C’était la nourriture des pauvres avant l’introduction de la pomme de terre. Au Moyen Âge, les châtaignes étaient cuites dans le lait avec un soupçon de vanille et beaucoup de sucre. Les Génois obligent les habitants de Corse à entreprendre la culture du châtaignier sur une grande échelle pour pallier aux disettes. En Corse, on consomme la châtaigne comme une céréale et on appelle respectueusement le châtaignier « l’arbre à pain ». Vers la fin du XVIIe siècle, on estimait qu’un pied de châtaignier nourrissait convenablement une famille pendant un mois... « Tant que nous aurons des châtaignes, nous aurons du pain », déclarait Pascal Paoli. Dans la région des Cévennes, les Cévenois avaient baptisé le châtaignier aussi comme « l’arbre à pain » – qui n’a aucun rappel avec l’arbre antillais du même nom. Sa culture remonte au XIe siècle. Comme alimentation, la châtaigne revient en force dans la cuisine corse : en soupe en ragoût, en gâteaux et confiseries (marrons glacés et purée de marrons), en liqueurs et confitures. On réduit la châtaigne à la farine pour la confection des pains, beignets, crêpes, gâteaux et bouillies. On en fait la pulenta, plat typique corse. À la Toussaint, les Corses ont l’habitude de déposer du lait et des châtaignes sur le rebord de la fenêtre parce qu’on dit ici que les morts reviennent chaque année à l’endroit où ils ont vécu et qu’un si long trajet donne la faim. Chacun fait bénir des châtaignes le Jeudi Saint car on croit qu’elle protège contre la maladie et qu’il suffit de poser une châtaigne bénie sur une partie du corps affectée pour guérir rapidement. La châtaigne sert aussi de monnaie d’échange. Ainsi, dans le canton d’Alesani, la famille de la mariée doit honorer ses hôtes avec 22 plats à base de farine de châtaigne préparés à la maison afin de faire valoir sa richesse.