Je vous salue, ma France
L’Algérie en chansons
Après l’indépendance de l’Algérie (1962), Enrico Macias, sur fond de musique arabo-andalouse, exprime avec humanisme le point de vue des rapatriés1 . En 1975, Serge Lama, jusqu-là plutôt attaché aux thèmes de l’amour, se risque à aborder la question, en prenant le point de vue de ces oubliés de l’histoire, qui, pourtant, dans leur majorité, s’étaient opposés au putsch des généraux favorables au maintien de la colonisation. Les paroles de Serge Lama sont pleines d’émotion.
L’Algérie
Paroles : Serge LAMA
Musique : Alice DONA
Dans ce port nous étions des milliers de garçons
Nous n’avions pas le cœur à chanter des chansons
L’aurore était légère, il faisait presque beau
C’était la première fois que je prenais le bateau
L’Algérie
Écrasée par l’azur
C’était une aventure
Dont on ne voulait pas
L’Algérie
Du désert à Blida
C’est là qu’on est parti jouer les p’tits soldats
Aux balcons séchaient draps et serviettes
Comme en Italie
On prenait des vieux trains à banquettes
On était mal assis
L’Algérie
Même avec un fusil
C’était un beau pays
L’Algérie
Ce n’était pas un port à faire du mélo2
Et pourtant je vous jure que j’avais le cœur gros
Quand on a vu le quai s’éloigner, s’éloigner,
Y en a qui n’ont pas pu s’empêcher de pleurer
Nos fiancées nous écrivaient des lettres
Avec des mots menteurs
Le soir on grillait des cigarettes
Afin d’avoir moins peur
L’Algérie
Même avec un fusil
C’était un beau pays
L’Algérie
Un port ce n’est qu’un port, mais dans mes souvenirs
Certains soirs malgré moi je me vois revenir
Sur le pont délavé de ce bateau prison
Quand Alger m’a souri au bout de l’horizon
Un beau jour je raconterai l’histoire
À mes petits-enfants
Du voyage où notre seule gloire
C’était d’avoir vingt ans
L’Algérie
Avec ou sans fusil
Ça reste un beau pays
L’Algérie.
Enrico Macias : « Séchez vos larmes,
jetez vos armes »
Un beau gars, Enrico est de ceux qu’on a envie d’aimer dès la première poignée de main. Il a un fluide, une chaleur, quelque chose de sincère, lorsqu’il chante, on se retient pour ne pas lui sauter au cou.
Que de chemins parcourus depuis 1962, où, débarquant en France, il chantait l’amour de son Algérie. L’ensemble de son inspiration reste marquée par ses origines, mais au fil des ans, il chante l’amour planétaire, prêche la fraternité universelle en des textes faciles et sur des mélodies très chantantes et colorées.
La vraie histoire d’Enrico Macias, né Gaston Chrenassia, ne sera réécrite qu’en 1999, par lui-même.
Gaston naît le 11 décembre 1938 à Constantine, en Algérie dans une famille juive. Il suit sa scolarité tout en s’adonnant au plaisir de la musique, celui de la guitare en particulier. Dès sa naissance, il porte en lui les thèmes de ses futures chansons : le déchirement entre les cultures juive et arabe ; la musique, à laquelle son père, violoniste au sein de l’orchestre de Cheikh Raymond Leyris, l’initie. Dès l’âge de 15 ans, le jeune Gaston joue dans son orchestre prestigieux.
En 1956, il obtient son baccalauréat et est embauché comme instituteur. La musique ne semble pas lui proposer un métier d’avenir. Mais il continue à pratiquer la guitare et jouer dans l’orchestre de Raymond Leyris. Mais l’Algérie française vit ses derniers instants, celle où les catholiques, les Juifs et les musulmans vivent sur le même territoire. Cette France de son enfance :
La France de mon enfance
N’était pas en territoire de France
Perdue au soleil du côté d’Alger
C’est elle la France où je suis né.
Le soleil n’était pas celui de Marseille
Ma province n’était pas ta Provence
Je savais déjà que rien n’était pareil
Et pourtant mon cœur était en France.
(La France de mon enfance)
La guerre éclate. Le père de la jeune épouse de Gaston, Suzy, est assassiné en pleine rue par le FLN. Cette mort symbolique le précipite vers l’exil en France.
Sur le bateau, il compose une sorte d’hymne national des rapatriés d’Algérie : J’ai quitté mon pays, bientôt chanté à tue-tête par la jeunesse française.
J’ai quitté mon pays
J’ai quitté ma maison
Ma vie ma triste vie
Se traîne sans raison
J’ai quitté mon soleil
J’ai quitté ma mer bleue
Leurs souvenirs se réveillent
Bien après mon adieu...
(J’ai quitté mon pays)
En arrivant à Paris, Gaston décide de se lancer dans la musique. Pour survivre, il chante dans les cafés parisiens. Dans ses chansons, il tient à dire au monde que le pardon est une vertu, que la race humaine est unie. Mais sa musique si particulière n’a aucun succès auprès des Parisiens. Un jour, il est invité à passer à la télévision lors d’une célèbre émission « Cinq colonnes à la Une » consacrée aux rapatriés d’Algérie. C’est le déclic.
La France découvre un chanteur avec un cœur « gros comme ça » et une musique peu familière, une variété orientale, portée par une très longue tradition. Dès son apparition sur le petit écran, Gaston qui adopte alors le pseudonyme d’Enrico Macias, devient le chanteur pieds-noirs, le porte-parole de tout un peuple déraciné. L’année 1964 est le début de sa grande carrière française et internationale. Macias se produit à l’Olympia. Il part en tournée à travers la France, mais aussi au Liban, en Grèce et en Turquie où il chante des chansons qui vont devenir des tubes, comme par exemple, Paris, tu m’as pris dans tes bras :
J’allais le long des rues
Comme un enfant perdu
J’étais seul j’avais froid
Toi, Paris, tu m’as pris dans tes bras...
Le chanteur réussit à toucher et à faire fredonner ses chansons par tous les jeunes de l’époque.
Et l’on m’appelle l’oriental
Le brun au regard fatal
Et l’on m’appelle l’oriental
Car moi je suis sentimental
Ses thématiques sont simples : le déchirement de l’exil, la rencontre avec les compatriotes de la métropole et, au-delà, la fraternité entre les peuples. À chaque album, il défend la paix au Proche-Orient et impose son « semez l’amour et donnez la vie ». En 1966, Macias se produit à Moscou devant 120 000 personnes au stade « Dinamo » et dans 40 autres villes soviétiques. Il s’embarque aussi pour le Japon où son succès est impressionnant. Il enregistre des disques en espagnol et en italien. En 1968, Macias remporte un immense succès au Carnegy Hall à New York et enchaîne sur des concerts au Canada. Deux ans plus tard, c’est à Londres qu’il donne une dizaine de représentations. Il effectue une grande tournée au Japon, en Israël et en France, se rend en égypte. Interdit depuis longtemps dans les pays arabes, Enrico Macias, fils d’une famille juive d’Algérie se produit devant 20 000 personnes au pied des pyramides. Son message est celui de la paix, avec des chansons comme Aimez-vous les uns les autres.
Quand dans la vie on s’aime
Tout nous paraît meilleur
Car tous ceux qu’on aime
Savent éveiller les qualités de notre cœur
(Les Yeux de l’amour)
En 1980, Kurt Waldheim, alors secrétaire général de l’Organisation des nations unies remet au chanteur le titre de Chanteur de la Paix, en 1985, il reçoit la Légion d’honneur.3 . Son attachement à des valeurs universelles comme la paix et la solidarité entre les peuples lui vaut une nomination prestigieuse en 1997 : il est nommé par Kofi Annan, le Secrétaire général de l’ONU, « Ambassadeur itinérant pour promouvoir la paix et la défense de l’enfance ».
Qu’il soit un démon, qu’il soit noir ou blanc
Il a le cœur pur, il est toute innocence
Qu’il soit né d’amour, ou par accident
Malheur à celui qui blesse un enfant
Il n’a pas de père, et il n’a pas de mère
C’est le plus frondeur de tout l’orphelinat
On cite en exemple son sale caractère
Et on le punit car on ne l’aime pas
Il est émigré d’un pays de misère
Et dans une école, il apprend à parler
Son accent fait rire, il ne peut rien faire
Sans qu’on lui reproche d’être un étranger
Qu’il soit un démon, qu’il soit noir ou blanc
Il a le cœur pur, il est toute innocence
Qu’il soit né d’amour, ou par accident
Malheur à celui qui blesse un enfant
(Malheur à celui qui blesse un enfant)
Quarante ans après son premier succès, Adieu mon pays, le voici aujourd’hui, chanteur de l’amour et de l’amitié entre les peuples. Rien qu’en 2003, il a fait l’Olympia. Aujourd’hui, Enrico Macias, le plus méditerranéen des chanteurs français, continue, avec l’aide de son fils, à brûler les planches, charme, enivre, et finit par séduire toutes les générations d’auditeurs. Un exemple remarquable de longévité et d’authenticité.
Enfants de tous pays, tendez vos mains meurtries
Semez l’amour et puis donnez la vie
Enfants de tous pays et de toutes couleurs
Vous avez dans le cœur notre bonheur
C’est dans vos mains que demain notre terre
Sera confiée pour sortir de notre nuit
Et notre espoir de revoir la lumière
Est dans vos yeux qui s’éveillent à la vie
Séchez vos larmes, jetez vos armes
Faites du monde un paradis.
(d’après Pierre Saka)
1 Qu’on fait rentrer dans son pays.
2 Mélodrame (m).
3 L’ordre national de la Légion d’honneur est la plus haute décoration honorifique française. Elle a été instituée le 19 mai 1802 par Napoléon Bonaparte. Elle récompense les mérites éminents militaires ou civils rendus à la Nation.