Je vous salue, ma France
La Nuit de la Nation
Le plus grand événement se déroule à Paris, la
nuit du 22 juin 1963, place de la Nation. C’est un méga-concert, organisé par Daniel Filipacchi, pour le premier anniversaire du magazine Salut les copains et le 20ème anniversaire de Johnny Hallyday.
Au programme : Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, le groupe Les Chats Sauvages. La seule publicité est une annonce que Daniel fait lui-même à l’antenne : « Venez tous samedi soir à 9 heures, place de la Nation ».
Le soir de l’événement, les organisateurs du spectacle appellent la police en renfort pour faire face à une foule de 150 000 jeunes. Les artistes chantent leurs chansons dans un délire total. 3 000 policiers encadrent les jeunes. Ce type de rassemblement était tout à fait nouveau à l’époque, et ce fameux concert de la place de la Nation où 150 000 copains yé-yé affrontent les flics, a réveillé tous les maux de la société française.
« Dans la France des années 1960, où les enfants ne parlaient pas à table, ce fut une déflagration1sup , rappelle Robert Hue2 . Soudain, la jeunesse s’est rendue compte que l’on pouvait chahuter3 , casser quelque chose, bousculer les flics et l’ordre établi. Et que ce n’était pas la fin du monde... ».
Un vrai mini-Mai 68, cinq ans auparavant. À partir de ce moment-là, naît la déchirure entre les générations. Cette incompréhension ne cessera de s’accentuer au fil des mois et des années.
Il est vrai que devant un tel déferlement, le pouvoir en place s’avoue dépassé. Le général de Gaulle en personne déclare : « Ces jeunes gens ont de l’énergie à revendre, qu’on leur fasse construire des routes ! ». Cette phrase du président prononcée au lendemain de la Nuit de la Nation, marque bien le fossé qui sépare les générations. D’un côté, il y a les anciens, ceux qui ont connu la guerre et qui ne pensent qu’au travail, de l’autre, ces jeunes gens nés du baby-boom, qui n’attendent qu’une bonne occasion pour s’amuser.
De Gaulle ne sais pas que plutôt que construire des routes, ces mêmes jeunes dépaveront les rues en mai 1968. Mais avant de dépaver les rues et faire des barricades, ils imposent un nouveau style de vie, une nouvelle mode, de nouvelles règles économiques en matière de spectacle, de vente de disques, de promotion.
Aux demandes de ces jeunes, le show-business répond en proposant un nouveau modèle culturel, qu’il s’agisse des vêtements, de nouvelles modes musicales (rock, chanson yé-yé, pop) et de jeunes chanteurs à admirer et à imiter. On les appelle « les idoles », la plupart retourneront rapidement au rang des inconnus, d’autres connaîtrons une très longue carrière.
Ils prennent des pseudos américains qui font fureur : Annie Chancel devient Sheila, Claude Moine – Eddy Mitchell. Il faut faire américain, à tout prix !
1 Explosion (f).
2 Homme politique français (1946), aujourd’hui sénateur du Val-d’Oise (île-de-France).
3 Siffler, hurler, semer du désordre.