Je vous salue, ma France
Natacha TWAGUIRAMUNGU
Le français au quotidien : les apocopes
Tous ceux qui apprennent ou
enseignent la langue française sont habitués à manier tous les jours des synonymes, antonymes et autres paronymes (si nécessaire, consultez un dictionnaire pour en connaître les définitions).
Aujourd’hui, nous parlerons d’un phénomène linguistique qui consiste à supprimer la fin d’un mot : l’apocope (f). Ce terme savant désigne des mots que vous connaissez très bien et que vous employez souvent. En effet, en prononçant ou en écrivant stylo, kilo, auto, moto, photo, vélo, métro, radio ou cinéma, nous ne pensons même plus aux mots originels qui avaient été apocopés pour leur donner naissance : stylographe, kilogramme, automobile, motocyclette, photographie, vélocipède, métropolitain, radiodiffusion et cinématographe. Actuellement, ces « aïeux » sont résolument démodés et ne s’emploient plus que dans les écrits auxquels on veut donner le coloris d’époque.
Apparues au seuil du XXe siècle dans la langue parlée, les apocopes s’utilisent de notre temps de plus en plus souvent dans la langue écrite, particulièrement dans la presse et les messages publicitaires. On attribue les apocopes à « la paresse » des Français qui, pour éviter de prononcer des mots longs, les raccourcissent. C’est surtout vrai pour les mots du vocabulaire savant et médical, par exemple :
Un sana pour un sanatorium
Un kiné pour un kinésithérapeute
Un labo pour un laboratoire
Un accu pour un accumulateur
Un dermato pour le dermatologue
Le palu pour le paludisme
Un stomato pour le stomatologue, etc.
Les apocopes abondent dans l’univers scolaire et universitaire où elles constituent l’argot estudiantin :
Un prof, un instit (instituteur), les maths, la géo, la bio, la gym, la fac (faculté), la prépa (classe préparatoire), le bac (baccalauréat), un dico (dictionnaire), un amphi (amphithéâtre), une compo (composition), un ordi (ordinateur), la philo (philosophie), la trigo (trigonométrie), la socio (sociologie), la stat (la statistique), la vérif (la vérification).
De nos jours, le rythme de la vie s’accélérant, le débit de la langue parlée devient encore plus rapide et de nouvelles apocopes surgissent pratiquement tous les jours. Si vous lisez régulièrement les journaux et des revues français vous avez sans doute quelques difficultés à comprendre ce que signifie par exemple : la sécu ou les alloc. En fait il s’agit de la sécurité sociale et des allocations familiales. Dans le domaine du social on entend parler des ados (adolescents), des quadras ou des quinqua (quadragénaires ou quinquénaires). Le vocabulaire politique en est truffé : des socialos (socialistes), des prolos (prolétaires), des fachos (fascistes), des anars (anarchistes). On s’embrouille entre les démos, les promos et les pubs (démonstrations, promotions, publicité) qui font courir les consommateurs ; les écolos (écologistes) tiennent souvent une place importante dans les éditos (articles éditoriaux) des quotidiens et des hebdos (hebdomadaires).
Rien à faire ! Il faut vivre avec son temps et si vous voulez être « branché » (actuel) suivez régulièrement les infos (informations) ; il faut être actif et recharger ses accus (reprendre de l’énergie), en cours de gym il faut penser à resserrer ses abdos (muscles abdominaux), si vous avez des problèmes, allez voir votre psy (psychanalyste), soyez écolo, mangez bio (produits issus de l’agriculture biologique), buvez du déca (café décaféiné), n’achetez pas de sac en croco (crocodile), ne faites pas de gaspi (gaspillage) mais faites de la récup (récupération). Sinon, ce sera la cata (catastrophe) !
Tenez ! Essayez de deviner les mots qui ont produit les apocopes suivantes : alu, aspi, beauf, calva, cardio, clim, démago, expo, homo, lino, litho, maso, mégalo, perm, pneumo, proto, pseudo, qualif, rhumato, sado, saxo, spéléo, toxico, transfo.
Grammaticalement, les apocopes obéissent aux règles générales concernant les noms communs : elles ont le même genre que les mots dont elles proviennent et se mettent au pluriel par un ajout de la lettre « s » à la fin, sauf des alloc, les sciences po (politiques) ou éco (économiques), les maths sup (supérieures). Par contre les maths et les abdos sont toujours au pluriel.
Certaines apocopes résultent d’une simple coupure du mot (un imper pour imperméable, une manif pour une manifestation, la météo pour la météorologie) ; d’autres modifient légèrement leur terminaison (mécano pour mécanicien, intello pour un intellectuel, apéro pour l’apéritif). L’apocope pour le restaurant a même deux variantes orthographiques resto et restau. Si de nombreuses apocopes se terminent par une voyelle, il y en a également beaucoup qui se terminent par une consonne : la fac, le certif (certificat d’études), la compil (compilation en CD), le diam (diamant), le périf ou périph (boulevard périphérique), la provoc (provocation), la stat (statistique).
Quel est le mécanisme de l’apparition des apocopes ? Y a-t-il une règle pour les former ? Non, il n’y en a pas. Les apocopes apparaissent spontanément, à l’usage. Donc, il est inutile, voire dangereux de se lancer soi-même dans leur fabrication en abrégeant tous les mots qui vous paraissent longs ou difficiles à prononcer. Soyez respectueux envers une langue étrangère ! D’ailleurs, prenez garde quant à l’utilisation des apocopes car la majorité de ces mots sont d’un niveau très familier (petit déj, bon ap, à plus, quatre heures du mat*) et doivent être évités à l’écrit. Certains d’entre eux sont teintés d’une nuance méprisante ou péjorative, tels intello, prolo. Par contre, suivez l’apparition de nouvelles apocopes et leur utilisation dans les expressions du français parlé. Les éditions récentes des dictionnaires vous aideront dans cette tâche. Rappelez-vous qu’au-delà de 4 ou 5 ans maxi (maximum), vos dicos deviennent vieillots, donc dépassés, car la langue, cette « matière » vivante est en constante évolution.
___________
* « traduction » : petit déjeuner, bon appétit, à plus tard, quatre heures du matin.