Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №12/2007

Arts et culture

STÉPHANIE

Des cornichons au chocolat

(extraits)

Introduction

Ce livre est une véritable surprise littéraire qui mérite quelques explications.
Une adolescente de 13-14 ans, qui n’est donc plus une enfant mais qui n‘est pas encore une jeune fille, raconte quelques mois de sa vie et la crise qu’elle traverse. Chemin faisant, elle donne sa vision des adultes et de leur monde, elle découvre l’injustice, la beauté, la solitude, l’amour…
J’ai accepté à mettre ce manuscrit en forme. Journaliste, romancier, cinéaste, je ne pouvais rester indifférent, dès la première lecture, à ce texte qui se présentait sous l’aspect de cahiers d’écolier.

Philippe LABRO

La Ferme

Stéphanie appelle son lycée « la Ferme ». Voilà comment elle explique ce nom.

On l’appelle la Ferme entre nous parce qu’on trouve que c’est plus vrai que Lycée (je vais expliquer: à la Ferme il y a des animaux, il y a des chèvres et des oies, c’est nous, et on nous traite comme ça et tout le monde beugle et tout le monde fait meuh! meuh! tout le monde caquette, cot cot cot codet, il y a des débiles et des simples d’esprit, on nous met en rang comme des vaches et on nous nourrit. La seule différence c’est qu’on nous trait pas, mais à part ça c’est pareil, on est des veaux et les profs, à part un ou deux, ils sont comme des fermiers, ils nous regardent tous ensemble mais jamais une par une. Jamais dans les yeux, toujours le troupeau).

À l’infirmerie

Un jour, Stéphanie se sent mal en classe et on l’envoie à l’infirmerie.

L’infirmière m’a demandé si je voulais appeler mes parents, j’ai dit qu’elle pouvait toujours essayer. Mon père est jamais là et ma mère non plus, et à son travail alors elle m’a dit, j’ai répondu qu’elle ne travaillait pas et que mon père n’était jamais à Paris, alors elle a eu l’air découragée et je lui ai dit que c’était pas grave:
« Ça va passer ».

Elle m’a laissée seule et pendant un moment j’ai été bien. Dans ma liste des Moments Où Je Me Suis Pas Sentie Trop Mal, je pense que je pourrais mettre ce moment-là. La pièce était vide, personne qui criait autour de moi, je suçais un morceau de sucre avec de l’alcool de menthe que l’infirmière m’avait mis sur une cuiller et j’avais gardé la cuiller dans la bouche, j’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu plusieurs oiseaux, trois ou quatre à mon avis, et ils sont repassés plusieurs fois devant les arbres dans la cour et c’était pas un moment désagréable. J’ai essayé de passer la vitre pour me mettre au-dedans d’eux mais je n’y suis pas arrivée. Ça demande un grand effort de concentration et j’avais dû perdre beaucoup de ma force si bien que je suis restée de ce côté-là de la fenêtre. Quand je me concentre terriblement, j’arrive quelquefois à me mettre de l’autre côté des choses pour exister avec ceux qui ne sont pas malheureux, ça dure jamais longtemps, mais c’est formidable. Le mieux, c’est avec tout ce qui vole, pas forcément les oiseaux, une fois j’ai réussi à me mettre comme ça dans un avion qui passait au-dessus de Paris au-dessus de l’arc de triomphe, je le voyais de chez nous parce qu’on habite dans le XVIIe, mais XVIIe Nord, là où on commence à monter vers la place Clichy et on est dans un immeuble assez haut et un étage assez haut (le huitième) pour pouvoir voir beaucoup de choses et en particulier l’arc de triomphe et j’ai donc vu cet avion et j’ai fait un effort absolument gigantesque pour me concentrer et je me suis retrouvée dans l’avion pendant à mon avis quatre ou cinq bonnes minutes. C’était incroyable, je ne sentais plus du tout que j’étais chez moi et j’étais assise toute seule dans un fauteuil de couleur rouge et j’étais très bien. Je l’ai mis en tête de liste sur ma Liste des Moments.

Les oiseaux de l’infirmerie, comme je les avais ratés, ils ne sont pas revenus. Ils passent une ou deux fois comme ça, ou vous pouvez prendre le vol en marche ou vous ne pouvez pas, ils veulent bien vous donner une chance mais pas trois ou quatre, alors ils s’en vont. À la prochaine fois !

Je sais très bien que si je devais raconter tout cela, on me ferait passer des tests pour voir si je ne suis pas trop fêlée dans ma tête, alors je ne dis rien, sauf à Garfunkel mais lui, il comprend tout, il est aussi fêlé que moi. Je parlerai de lui plus tard.


Fiche pédagogique

par Tatiana JELEZNIAKOVA,
professeur de français école n°1286

VOCABULAIRE

mériter – заслуживать
chemin faisant – по пути, мимоходом
vision (f) – вuдение, взгляд на
accepter – соглашаться
manuscrit (m) – рукопись
indifférent -e – равнодушный
dès – начиная с
se présenter sous l’aspect – представать в форме
traire – доить
beugler – мычать
caquetter – кудахтать
un simple d’esprit – недалекий, простодушный, блаженный человек
mettre en rang – строить в ряд
nourrir – кормить
à part çà – за исключением этого
troupeau (m) – стадо
infirmerie (f) – медицинский кабинет
infirmière (f) – медсестра
sucer – сосать
vitre (f) – оконное стекло
effort (m) – усилие
exister – существовать
pas forcément – необязательно
réussir – удаваться
immeuble – здание
en particulier – особенно, в частности
incroyable – невероятный
rater – упустить, потерпеть неудачу
s’en aller – уходить
fêlé – тронутый, ненормальный

QUESTIONS

Introduction
1. Est-ce que vous avez compris qui avait écrit ce livre ?
2. Qui est-ce Stéphanie ?
3. Qu’en pensez-vous, est-ce que Stéphanie est le vrai nom de la jeune fille, auteur de ces textes ? Pourquoi ?
4. Stéphanie est donc l’auteur et le personnage principal de cette histoire, n’est-ce pas ?
5. Une adolescente – auteur d’un roman, c’est intéressant, n’est-ce pas ? Pourquoi ?
6. Qu’en pensez-vous, c’est donc une lecture pour les adolescents ou pour les adultes ?

La Ferme
1. Qu’est-ce que c’est que la Ferme selon Stéphanie ?
2. Comment explique-t-elle ce nom ?
3. Est-ce que ses comparaisons vous paraissent justes ?
4. Votre école, est-ce qu’on peut la comparer à une ferme ?
5. Qu’en pensez-vous, est-ce qu’elle aime son lycée ?
6. Les adolescents et les adultes, leurs relations – c’est un des sujets principaux du livre. 7. En quoi consiste le problème selon ce premier texte ?

À l’infirmerie
1. Qu’est-ce qu’on apprend sur les parents de Stéphanie ?
2. Quel nouveau problème devinez-vous dans la vie de la jeune fille ?
3. Pourquoi se sent-elle bien à l’infirmerie ? Comment ça met en relief les problèmes de sa vie en famille, à l’école ?
4. Stéphanie est une fille extraordinaire, n’est-ce pas ? Pourquoi ?
5. De quelle liste parle-t-elle ici ? Vous allez en apprendre d’avantage plus loin.
6. Est-ce que vous faites des listes comme ça ?
7. Tenez-vous un journal intime ? Oui ou non, pourquoi ?
8. Parlons de l’imagination de Stéphanie. Qu’est-ce que vous pouvez en dire ?
9. Comment comprenez-vous la phrase « ... j’arrive ... à me mettre de l’autre côté des choses pour exister avec ceux qui ne sont pas malheureux ».
10. Avec qui et où aime-t-elle exister ? Pourquoi ?
11. On est heureux donc quand on est un oiseau ? Un voyageur dans l’avion ? « Le mieux, c’est avec tout ce qui vole... » Pourquoi ?
12. Les oiseaux, quelle chance donnent-ils aux gens ?
13. Pourquoi c’est difficile de réaliser cette chance ?
14. Stéphanie, où habite-t-elle ? Pouvez-vous trouver son adresse sur la carte de Paris ? Qu’est-ce que c’est que « le XVIIe » où habite Stéphanie ?
15. Est-ce que Stéphanie est « fêlée » comme elle dit ?
16. Pourquoi elle a peur qu’on ne la comprenne pas si elle raconte tout cela ? Est-ce que vous la comprenez ?
17. Qui est-ce qui la comprend ? Pourquoi ?


L’histoire du livre

Stéphanie a 13 ans, un chat confident nommé Garfunkel, du culot, des problèmes – parmi lesquels ses mauvaises notes à la Ferme (le lycée) et la mésentente de ses parents – un goût discutable pour les sandwiches aux cornichons et au chocolat, une vision dérangeante sur les adultes et un style et une verve inimitables...

Publié en 1983 sous le pseudonyme de Stéphanie, Des cornichons au chocolat est devenu un livre culte. Toute une génération s’est reconnue dans le journal de cette adolescente de treize ans. En réalité, le véritable auteur de ce livre n’est autre que le romancier Philippe Labro. À l’époque, par pudeur et par authenticité, il avait préféré se dissimuler sous la fausse identité de cette lycéenne inconnue – ce « je » féminin, pour laisser croire qu’il s’agissait d’un véritable document. Vingt-quatre ans plus tard, Philippe Labro a décidé de reconnaître ce « roman caché », d’autant qu’il constitue le premier volet d’une trilogie féminine poursuivie avec Manuella et enfin avec Franz et Clara. Les lecteurs et lectrices reconnaîtront, en effet, dans Des cornichons au chocolat, la patte du célèbre romancier qui a su s’identifier à l’adolescente. On n’oublie pas facilement Stéphanie – un ton inimitable.

Le plus étonnant, c’est que la verve naïve de Stéphanie n’a pas pris une ride. Ses difficultés existentielles, ses problèmes avec son corps, sa découverte de l’amour sont plus actuels que jamais, de même que son refus d’accepter la mésentente de ses parents. Les copains de la collégienne sont toujours aussi sympas, le chat Garfunkel toujours aussi attachant. Et ce texte continue à nous renvoyer à l’univers un peu cruel, mais plein de poésie, de la fin de l’enfance.

À l’époque, Philippe Labro avait rédigé une introduction expliquant pourquoi il a voulu collaborer à la publication de ce texte. D’abord, il estime que « ce livre est une véritable surprise littéraire qui mérite quelques explications ». Stéphanie aurait ainsi observé avec finesse et lucidité le monde qui l’entoure et aurait adopté « un ton inimitable, mélange précoce de maturité et de révolte, une invention perpétuelle de mots et d’expressions qui ne peuvent appartenir qu’au monde des adolescents […]. Le tout est irrésistible de comique et de pathétique, et, à ma connaissance, sans précédent ». Et modeste avec cela…

À la manière des auteurs du XVIIIe siècle que sont Marivaux (La Vie de Marianne ou Le Paysan parvenu), Laclos (Les Liaisons dangereuses) et bien d’autres, Philippe Labro a voulu faire croire dans un premier temps que ce roman n’était pas de lui mais qu’une jeune fille, Stéphanie, avait remis ce journal intime aux éditions J.-C. Lattès. On avait alors fait appel à Philippe Labro pour aider le jeune auteur à corriger le manuscrit et éclaircir certains points.

(à suivre)

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