Arts et culture
Françoise Hardy (1944), ex-idole devenue icône
Pas vraiment yé-yé,
Françoise Hardy symbolise le charme français et incarne les années 1960. Sa voix est gracieuse et élégante, son inspiration semble intarissable et elle devient la muse de nombre de réalisateurs (dont Roger Vadim qui lui propose de jouer dans l’adaptation du roman de Françoise Sagan Château en Suède. Elle s’en sort très bien, et l’on décèle chez elle un talent d’actrice : Il n’y a pas d’amour heureux d’Aragon et Brassens, Comment te dire adieu de Serge Gainsbourg, Étonnez-moi, Benoît de Patrick Modiano ou Suzanne de Léonard Cohen. Son physique et sa silhouette moderne, attire les couturiers, tels que Courrèges, Paco Rabane, et même Chanel et Yves Saint Laurent qui veulent voir sur elle leurs créations : les robes en métal, les compositions géométriques et, bien sûr, la minijupe. Les boots blancs et le visage sous la frange des cheveux complètent l’image de l’idole.
Quand on la voit, sur les photos des années 1960, en pull et en minirobe, ou maintenant, toujours aussi belle, quand on sait qu’elle a mis à ses pieds John Lennon, Bob Dylan, Jagger ou Bowie, on a du mal à comprendre pourquoi elle a longtemps été convaincue d’être un vilain petit canard. De là, de son traumatisme d’enfance, vient peut-être sa timidité. Ses chansons douces et nostalgiques sont toujours bien sincères. Bien qu’elle ait décidé de ne plus chanter en public depuis 1968, la sortie de chacun de ses albums reste un événement. Elle reste ainsi en contact avec le public, grâce à ses disques. Mais son talent ne se limite pas à la chanson, l’astrologie la passionne et devient sa seconde vocation.
Un vilain petit canard
Françoise est née le 17 janvier 1944, à Paris. Elle vit avec sa mère et sa sœur. Elle voit rarement son père qui est marié par ailleurs. Il passe deux ou trois fois par an les voir et ne verse pas souvent sa pension alimentaire. Françoise apprend le piano dès 5 ans, mais le trac qu’elle éprouve sur la scène coupe court aux leçons. La fillette vit en cercle fermé, entre sa sœur, sa mère et ses grands-parents maternels.
Sa grand-mère est de nature autoritaire. Si l’astrologie peut, selon Françoise Hardy, expliquer les traits d’une personnalité, la psychologie peut aussi expliquer son manque de confiance en elle. Françoise Hardy se trouve moche, peu intéressante. Quant à l’institution religieuse La Bruyère, qu’elle fréquente, elle s’y sent aussi très mal à l’aise. Solitaire, elle trouve l’évasion dans la littérature. « Je me suis toujours réfugiée dans les livres. Dans cette attitude, il y a un refus de vivre. Je privilégie ce qui est virtuel à ce qui est réel. Les auteurs dont je me suis le plus délectée sont des femmes : Colette, Simone de Beauvoir. Mais mon livre de chevet reste Le Petit Prince. Tout est dedans. »
Le temps des vacances est pour elle une bouffée d’oxygène. Françoise les passe souvent en Autriche pour perfectionner son allemand. Elle aime aussi écouter les chansons françaises et les chante tout bas dans sa chambre. Un événement dans sa morne existence : pour fêter son succès au bac, son père (l’éternel absent) lui offre une guitare. Françoise s’essaye alors à poser quelques accords sur des mots qui traduisent ses états d’âme et se met à rêver d’un métier ayant un rapport avec la chanson. Son rêve est de devenir animatrice ou programmatrice de radio, mais le destin en décide autrement.
Le Petit Conservatoire
de Mireille
Françoise s’inscrit au Petit Conservatoire de Mireille1 , école de variété bien connue dans les années 1960, où elle prend des cours de chant pendant deux ans. Quand elle apprend dans les journaux qu’une maison de disques recherche de jeunes chanteuses, Françoise se présente à l’audition, passe un essai et… subit un échec. Elle décide de contacter d’autres sociétés. C’est au bout de trois auditions et quelques cours de solfège, que Françoise Hardy réussit à signer un contrat avec la maison de disques Vogue. « Le Petit Conservatoire de la chanson » est aussi une émission télévisée, et le 6 février 1962 « Mademoiselle Hardy » fait sa première apparition en public. Ceux qui ont vu cette émission n’oublieront jamais la jeune fille qui, la trouille au ventre, gratouille sa petite guitare en chantonnant sa composition Tous les garçons et les filles de mon âge.
Tous les garçons et les filles
de mon âge
Se promènent dans la rue deux
par deux
Tous les garçons et les filles
de mon âge
Savent bien ce que c’est
d’être heureux
Et les yeux dans les yeux et la main
dans la main
Ils s’en vont amoureux sans peur
du lendemain
Oui mais moi, je vais seule par
les rues, l’âme en peine
Oui mais moi, je vais seule,
car personne ne m’aime...
Cette triste chanson de la mal-aimée qui souffre en silence de n’avoir ni amoureux ni copains, exprimant, avec naïveté la solitude adolescente, fait un triomphe. Les filles et les garçons de son âge en crise de solitude s’y reconnaissent et vont la chanter bien au-delà de la France : en Italie, en Allemagne et en Grande- Bretagne, au Canada et aux États-Unis.
La presse s’empare du phénomène, et en quelques mois, la chanteuse à la voix douce et fragile, devient une nouvelle idole des jeunes. Les tubes se succèderont à rythme fou : Le Temps de l’amour (mis en musique par Jacques Dutronc), Mon amie la rose, Des ronds dans l’eau.
La France danse aux rythmes des guitares et n’a d’yeux que pour les idoles de « Salut les copains ». Françoise fait depuis partie de cette bande où elle partage l’affiche avec Johnny Hallyday, Sylvie Vartan et Jacques Dutronc dont elle est la campagne dès 1966.
Idole malgré elle
Ce succès, porté par la vague yé-yé, lui vient également de ses talents d’écriture et de composition, peu courants chez les nouveaux interprètes de ce début des sixties. « Moi, on me considérait à tort comme l’intello », avoue-t-elle aujourd’hui.
Françoise Hardy devient la coqueluche de la presse. Son élégance naturelle, un peu distante et quelque peu mystérieuse, va la mettre encore davantage en avant. Elle atteint des scores de popularité inattendus. Une vedette malgré elle, Françoise n’est pas tellement à l’aise dans ce nouveau rôle qu’on lui fait jouer.
Les tournées incessantes en France, au Canada, au Moyen-Orient, dans les grandes universités britanniques et en Afrique du Sud commencent à la fatiguer. Elle est amoureuse de Jacques Dutronc et leurs longues séparations lui sont éprouvantes. L’époque de yé-yé s’en va. Françoise finit par remettre en question sa carrière et prend en 1968 la décision de se consacrer à l’écriture des chansons : « Si j’ai arrêté la scène c’est pour deux raisons. Premièrement, je suis très limitée vocalement. Deuxièmement, je ne surmonte pas mon émotion. L’émotivité va faire que vous allez oublier votre texte… »
Elle s’assure la collaboration de Michel Berger, qui lui écrit Message personnel, Jean-Michel Jarre, Jacques Dutronc, Serge Gainsbourg, Michel Jonaz, Louis Chedid….
Son temps libre est mis à profit pour suivre des cours de psychologie, puis se tourner vers l’astrologie. Persuadée que c’est « au niveau personnel, qu’il faut changer le monde et pas au niveau collectif », Françoise Hardy devient une spécialiste du sujet. Son intérêt dans ce domaine est vite connu et elle reçoit des propositions de travail. Elle fera désormais son chemin en experte et animera pendant huit ans des émissions sur Radio Monte-Carlo.
Le 16 juin 1973, Françoise donne naissance à son fils, Thomas, et se consacre à sa famille. À partir de ces années-là, elle se désintéresse de la mode et son élégance se résume à une tenue simple, jean-basket. Elle emmène son fils à l’école, fait des courses et cuisine elle-même. Le 30 mars 1981 le couple Hardy-Dutronc, se marie devant le maire de Monticello en Corse.2
La scène est un sport
En 1974, malgré le jeune âge de son fils, Françoise sort Entracte. En 1978, elle chante le Brouillard dans la rue Corvisart avec Jacques Dutronc. Alain Souchon collabore aussi avec la belle et lui écrit trois chansons : Quelqu’un qui s’en va, Tirez pas sur l’ambulance et C’est bien moi. Elle boucle les années 1980 avec l’album Décalages. Les textes écrits par la chanteuse elle-même, sont mis en musique par des gens aussi différents que Etienne Daho, véritable fan de l’artiste, William Sheller et Jacques Dutronc qui compose Partir quand même, magnifique chanson qui lui était destinée :
Partir quand même
pendant qu’il dort
pendant qu’il rêve
et qu’il est temps encore
Partir quand même
au moment fort
briser les chaînes
qui me lient à son sort...
En 1996 Françoise Hardy est de retour avec Le Danger, dans lequel sur les mélodies rock la chanteuse confirme que sa plus grande source d’inspiration a été et sera toujours la souffrance et la douleur des sentiments. « J’ai toujours été la même, j’aime les belles chansons lentes sur fond de violons. Je n’aime que les chansons tristes. »
Entre ces deux albums, elle participe à des disques collectifs : en 1993, elle chante en duo avec Alain Lubrano Si ça fait mal, une chanson sur l’amour et le sida et dont le produit des ventes a servi à financer la recherche sur cette maladie.
Décidément, la chanteuse ne se résout pas à s’effacer complètement, mais se refuse toujours à envisager un passage sur scène. « Je suis très émotive. Je perds les pédales facilement, j’ai peur d’oublier le texte. La scène est un sport, et là, moi, je suis carrément handicapée. »
Et aujourd’hui ?
Les années 2000 démarrent en fanfare avec l’album Clair Obscur, nourri de chansons plus ou moins oubliées, comme ce Puisque vous partez en voyage, chanson des années 1930. Françoise Hardy reprend ce morceau de tendresse et d’humour avec Jacques Dutronc, duo accompagné à la guitare par Thomas Dutronc ! Tous les trois donnent à cette œuvre vieille de 65 ans une étonnante modernité.
Lui : Puisque vous partez en voyage
Puisque nous nous quittons ce soir
Mon cœur fait son apprentissage
Je veux sourire avec courage
Elle : Voyez j’ai posé vos bagages,
Marche avant, côté du couloir
Et pour les grands signaux d’usage
J’ai préparé mon grand mouchoir
L’accueil exceptionnel fait à cette histoire de famille, donne envie à la chanteuse de quitter l’ombre pour la lumière. Thomas Dutronc, son fils et complice fidèle, fait à nouveau partie en tant que musicien et réalisateur de quelques titres. Elle publie aussi un livre sur sa passion, l’astrologie Les Rythmes du zodiaque.
En 2004, l’année de son soixantième anniversaire, Françoise Hardy sort son album Tant de belles choses :
Il y a tant de belles choses
que tu ignores
La foi qui abat les montagnes
La source blanche dans
ton âme...
Dans sa chanson Tant de belles choses, qui domine l’album, elle conclut : « L’amour est plus fort que la mort ». Tout est dit. Grâce à cet album, certifié de disque d’Or deux mois après sa sortie, elle est distinguée comme artiste interprète féminine de l’année aux Victoires de la musique le 5 mars 2005. Lors de la remise des Grands Prix de l’Académie française, le 8 juin 2006, elle se voit décerner la Grande médaille de vermeil de la chanson française qui récompense un auteur de chansons.
En fin d’année 2006, elle a enregistré un disque de duos. Accompagnée d’artistes qu’elle apprécie particulièrement – Jacques Dutronc, Julio Iglésias, Alain Souchon, Alain Delon, – Françoise reprend des chansons qui lui tiennent à cœur.
Le mot « idole » est depuis longtemps tombé en désuétude. Celui d’« icône » l’a remplacé. Françoise Hardy en est devenue une référence reconnue.
L’amour est plus fort que le chagrin
L’amour qui fait battre nos cœurs
Va sublimer cette douleur
Transformer le plomb en or
Tu as tant de belles choses à vivre
encore...
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1 Mireille Hartuch (1906- 1996), compositrice, fonde en 1955 le Petit Conservatoire de la chanson pour encourager les débuts des jeunes interprètes et démontrer que la chanson, comme le théâtre, peut faire l’objet d’un enseignement.
2 Jacques Dutronc est la plupart du temps dans le maison de Corse, pendant que Françoise est à Paris.