Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №14/2007

Arts et culture

Nino Ferrer (1934-1998), un faiseur de tubes ou un artiste maudit ?

« Nino Ferrer a mis fin à ses jours, hier, vers 13 heures, d’un coup de fusil de chasse, en bordure de la route de Saint-Cyprien à Montcuq. Toute une région pleure un compatriote simple et attachant qui avait su si bien s’intégrer. »
(Dépêche du Midi-Journal du 14 août 1998)

Personnage en marge du milieu musical, un fameux homme-orchestre, au charme vrai, Nino Ferrer a eu plusieurs vies : des tubes qui l’ont rendu célèbre ; une période sombre mais féconde sur le plan artistique ; une vie cachée en rupture avec le show-biz. Toutes ces facettes se concentrent en un personnage brillant, coléreux, exigeant, toujours insatisfait, victime d’une des plus grandes injustices de l’histoire de la chanson. Un romantique en quête d’absolu, il a été considéré comme un chanteur léger, un peu guignol aux textes insignifiants. Il a fallu attendre sa mort tragique le 13 août 1998, pour que l’on prenne conscience de l’immensité de son talent.

Un solitaire dans un monde des martiens

Né Agostino Ferrari à Gênes, en Italie, le 15 août 1934, Nino (comme on l’appelait dans la famille) a une enfance très agréable au sein d’une famille cultivée et amoureuse des Arts. Son père est Italien et sa mère Française. Il passe les cinq premières années de sa vie en Nouvelle-Calédonie où son père est ingénieur dans une usine de nickel. En 1939, Mme Ferrari et le petit Nino se trouvent en France, puis en Italie où ils vivent les années noires de la guerre. « Quand j’étais petit je n’étais pas grand et il y avait la guerre partout. Les circonstances de la vie firent de moi un enfant solitaire et par la suite un individu halluciné dans un monde de martiens. »

En 1947, toute la famille s’installe en France où Nino est inscrit dans les meilleurs collèges et lycées de Paris. Dans ce Paris de l’après-guerre, berceau de tous les arts, il découvre le jazz. Au départ, il fait de la musique pour s’amuser. Il apprend à jouer de différents instruments : guitare, piano, banjo, clarinette, trombone, trompette et basse dans le plus pur style « New-Orlean ». Mais sa passion de la musique ne l’empêche pas d’être un élève brillant : études supérieures en Sorbonne, licence ès lettres axée sur l’ethnologie, l’histoire des religions, la préhistoire, ainsi que la littérature et la philologie italienne. Stage au Musée de l’Homme, au département de Préhistoire, plusieurs campagnes de fouilles, en France, Mélanésie et en Espagne. 

À côté de cette passion pour l’histoire, il développe de nombreux autres centres d’intérêt. Il fait du théâtre, de la peinture et de l’écriture. « Il se trouve par ailleurs que je me suis depuis toujours poussé à traduire en langage artistique les émotions qui me bouleversent. Et c’est pour cela que j’ai sans cesse tenté de dessiner, peindre, écrire, jouer de la musique, transformer des maisons, créer des jardins, tourner des films, mettre en scène des spectacles, bref organiser le monde en fonction de ma sensibilité esthétique. Et j’ai vite compris que je ne pouvais rien faire de bon si je n’étais poussé par une passion d’amour, d’amitié, de révolte ou d’ailleurs. »

Après un diplôme d’ethnologie et d’archéologie à l’Université de la Sorbonne, le jeune homme se consacre à une musique qui depuis longtemps le fascine : le jazz, décision très mal prise par sa famille qui n’apprécie que la musique sérieuse. Nino se rend compte qu’il déçoit ses parents, mais se lance quand même dans cette aventure.

« Z’avez- pas vu Mirza ? »

Les débuts sont difficiles. Il joue du jazz sous le pont Neuf, dans le Jardin de Luxembourg, aux soirées dansantes. Il est tour à tour bassiste, trompettiste, saxophoniste, contrebassiste. Il ose chanter parfois, mais le public n’est pas très réceptif en trouvant sa voix trop aiguë et ses textes, un peu déplacés : son humour et sa mélancolie s’inscrivent encore mal dans l’atmosphère de l’époque yé-yé où la forme l’emportait sur le fond. Son style ne captive pas.

Le déclic a lieu de façon inattendue en 1965. Nino, qui ne se prend plus trop au sérieux, enregistre Mirza. La chanson, composée à l’improviste, pour s’amuser, est un succès immédiat et spectaculaire.

Z’avez pas vu Mirza ?
Oh la la la la la la

La maison de disques réclame à Nino Ferrer des titres du même genre. La France découvre ce dandy nonchalant avec amusement, puis avec passion et finit par s’emballer pour ce véritable bijou d’humour. Le public s’arrache les disques. On dirait une hystérie collective. Les yé-yé découvrent que l’on peut chanter en s’amusant et en faisant rire. Loin des histoires d’amours un peu bébêtes, Nino s’impose à une jeunesse qui le prend pour étendard en reprenant en chœur : « Des cornichons/ De la moutarde/ Du pain, du beurre/ Des p’tits oignons/ Des confitures/ Et des œufs durs/ Des cornichons ».

Succès immédiat qui conduit Nino Ferrer à enregistrer d’autres tubes, lui imposant le rôle du chanteur rigolo, le rôle qu’il confirme d’ailleurs avec Alexandre, Le Téléfon, et d’autres titres qui marquent les années 1960 par leur musicalité et l’originalité de leurs paroles. Assurément, Nino est un artiste à part. Mélange de clownerie, mélancolie et absurde. Il cherche dans le vocabulaire français des mots qui sonnent comme de l’anglais sur des rythmes rock et joue la dérision.

Toutes ces chansons ressemblent fort à des blagues, mais, deviennent classiques dès leur sortie et font le bonheur de toutes les radios. D’un coup, le chanteur débutant et mal accueilli devient une idole des jeunes.

Un piège

Nino Ferrer, AutoportraitSa vie prend un train d’enfer entre les galas et les émissions télévisées. Nino Ferrer est désormais considéré comme l’amuseur à la mode. Il a 31 ans alors que la moyenne des jeunes vedettes du moment en ont à peine 20. Sa notoriété est énorme, mais fondée sur un répertoire qui ne lui ressemble pas. Cependant, il continue d’enchaîner tube sur tube. Ses chansons sont drôles par leurs textes humoristiques, mais ne veulent rien dire.

En 1966, Nino donne 195 galas et participe à près de 30 émissions de télévision. Il profite à fond du système : argent, luxe, conquêtes. On le compare à Dutronc pour son côté dandy provocateur et séducteur à l’air blasé. Cela marche si fort qu’il aura du mal à se débarrasser de cette image d’amuseur public. Le public n’accepte aucune mélancolie de la part de son bouffon. Nino Ferrer se fait piéger.

Peu à peu, Nino se lasse du show-business. Le chanteur préfère prendre ses distances avec le monde de la chanson française et décide de garder son indépendance. Il quitte Paris et s’installe en Italie où il reste jusqu’à 1970.

À son retour en France, Nino Ferrer trouve son pied-à-terre dans le sud-ouest de la France. Avec sa femme Kinou (Jacqueline Monestier), qu’il épousera en 1978, et avec laquelle il aura deux fils, Pierre et Arthur, il s’installe dans une vieille demeure du XVIIIe siècle et mène une vie de famille qui fait son bonheur. C’est là, qu’il s’adonne à la peinture, qui demeure son jardin secret. Ce n’est qu’au début des années 1990 qu’il exposera ses tableaux.

Le mal-aimé

Nino Ferrer, MétronomieMais la musique l’attire toujours et il se tourne alors vers le rock. Nino met à jour des textes plus sombres, plus proches de lui. Il installe dans sa maison un studio et il y arrange, enregistre, mixe et fait les pochettes de ses disques. Il écrit indifféremment en français ou en italien, et parfois en anglais. C’est là, qu’il enregistre en 1972 son album Métronomie. Pour le plus grand regret du chanteur, ce n’est pas l’album qui marche, mais un seul des titres : La Maison près de la fontaine.

La maison près de la fontaine
Couverte de vigne vierge et
de toiles d’araignée
Sentait la confiture et le désordre
et l’obscurité
L’automne
L’enfance
L’éternité...

En 1973, Nino monte un groupe occasionnel avec quelques musiciens. Ensemble, ils enregistrent l’album Nino and Leggs dans une veine totalement rock’n’roll. L’album ne marche pas. Nino Ferrer souffre beaucoup de son insuccès autant qu’il a souffert quelques années auparavant de son succès. En 1975, il produit enfin le tube : Le Sud.

Il y a plein d’enfants
qui se roulent sur la pelouse
Il y a plein de chiens
Il y a même un chat, une tortue,
des poissons rouges
Il ne manque rien
On dirait le Sud...

Condamné à porter un masque

Si ce dernier titre n’est pas une chanson facile et s’oppose au style de ses précédents succès, le public continue injustement d’assimiler Ferrer au chanteur comique des Cornichons ou de Mirza. Cette étiquette tenace participe au mal-être du chanteur, qui souffre de plus en plus d’être incompris. On refuse d’accepter que les chansons de cet artiste se cachant derrière un masque de cow-boy hollywoodien, ont un arrière-goût de gravité et de vérité.

Ferret se retire définitivement du show-business en 1983. Sa retraite durera 10 ans, pendant lesquels l’artiste peint et compose. On le retrouve en 1995 pour un album au titre évocateur Désabusion (jeu de mots, mélange de « désillusion » et « désabuser »). Un ultime essai de sortir de cette image de chanteur-clown qui le faisait tant souffrir et dont il voulait tant se débarrasser ? Oh, la difficulté de sortir d’une image... quand on tient encore à cette image. Celui qui accepte à mettre un masque est-il condamné à le porter toute sa vie ?

Offert par Nino Ferrer aux habitants de MontcuqAu début des années 1990, Nino retrouve un certain succès en Italie. Les quelques concerts qu’il y donne attirent beaucoup de jeunes fans. L’année suivante, c’est en France que Nino fait un grand retour, dû à la sortie d’une compilation et d’une intégrale, L’Indispensable. Enorme succès commercial. Comme en Italie, c’est un public jeune qui découvre et apprécie son répertoire. En 1994, il fait une exposition à Paris, publie un recueil de textes et continue la promotion de l’album. Cependant, un Olympia prévu au printemps 1994 est annulé. Son père est décédé, sa mère est gravement malade et il s’en charge.

C’est le décès de sa mère adorée en juillet 1998, qui le plonge dans une grave dépression. Nino Ferrer semble s’être définitivement retranché du monde extérieur, pour le quitter violemment et à tout jamais le jeudi 13 août 1998, deux jours avant son 64ème anniversaire. Ce jour-là, le soleil a perdu son éclat. C’est alors que le titre amer de son dernier album, La Désabusion, prend tout son sens.

Je vais te dire adieu
La belle vie
Ça ne m’intéresse pas
Je vais te dire adieu
La fête est fini
Pour moi...

La France apprend avec stupeur le décès de cet artiste talentueux et attachant. Il aura fallu attendre la mort de Nino Ferrer, pour que le monde de la chanson française reconnaisse enfin son talent. Depuis, il est enfin considéré, mais bien tard, à sa juste valeur.

J’ai passé ma vie dans un train
Roulant toujours vers le soleil
Mais la pluie tombe sans arrêt
Et mes heures sont toutes pareilles
Dérisoire, tout est éphémère.
Pas d’espoir, tout est dérision...

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