Mon amie la langue française

Comment écrire une lettre de rupture ?

Il y a plusieurs façons de rompre. On peut le montrer : Jacques Brel, après avoir « apporté des bonbons », venait « les rechercher ». On peut le dire comme Serge Gainsbourg : « Je suis venu te dire que je m’en vais ». Mais on peut aussi l’écrire comme Pierre Perret dans La Rupture : « Je vous écris, chère Pénélope/ Ce billet de rupture/ ». La lettre de rupture permet de peser ses mots, à la différence du face-à-face. Quand elle a été dictée par la colère, on peut toujours la déchirer (ou l’effacer si l’on a choisi l’ordinateur), la corriger ou en faire un exercice de style.

Annoncer la rupture

La lettre de rupture met un terme à une relat ion qui n’engage pas que celui (celle) qui l’écrit ; elle officialise ainsi le désamour qui n’est peut-être pas partagé. Mais on l’écrit généralement pour en finir, et elle doit clairement l’annoncer. Même si elle n’est en fait qu’une manœuvre pour amener l’autre à prendre conscience d’une situation qui paraît insupportable, on la rédige pour que les choses changent. Quoi qu’il en soit, il ne faut jamais oublier que prendre la décision d’écrire une lettre de rupture n’est pas andin et, quand elle aura été envoyée, il sera difficile de revenir en arrière. Il faut donc y réfléchir avec soin et être sûr de soi. N’écrivez donc rien qui puisse un jour se retourner contre vous et évitez les tirades. Ne perdez pas le sens de la mesure et n’oubliez pas encore une fois le but avoué de cette lettre : en finir.

• Comment commencer ?
Il peut être maladroit et cruel de choisir des termes trop affectueux qui laisseraient un espoir et renforcerait ensuite la désillusion, ou au contraire des termes trop distants. On préfère le prénom de la ou du destinataire précédé de la date et éventuellement du lieu, pour ne laisser aucune équivoque.
• Quand l’annoncer ?
Mieux vaut le dire dès les premières lignes, en exprimant à la fois ses regrets et sa décision. Mais on peut être clair sans être insensible, et rien n’interdit de revenir sur les sentiments qui vous unissaient, à condition d’en parler au passé. On peut se montrer nostalgique d’un bonheur perdu, sans douter de la nécessité la page. C’est une question de choix ou de style.
On peut d’abord faire appel à la lucidité : « Nous devons regarder la vérité en face », ou bien : « Nous nous sommes trompés sur nous-mêmes ». Quelques-uns se serviront de termes plus romantiques : « L’amour est mort dans mort dans cœur ».
• Petits exercices de style :
1) Ironique : « On s’ennuie de tout, mon Ange, c’est une loi de nature ; ce n’est pas ma faute./ Si donc je m’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupée entièrement depuis quatre mortels mois, ce n’est pas ma faute » (Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses)
2) Radical : « Je vous renvoie vos reproches, le portrait que j’ai de vous, et la boucle de cheveux que je vous dérobai. » (Beaumarchais, La Mère coupable)
3) Délicat : « Je crois qu’il vaut mieux/ S’aimer un peu moins, nous deux./ C’était merveilleux… » (chante Serge Reggiani dans Rupture)

S’expliquer…

Se trouver des excuses est inutile, mais donner ses raisons est la moindre des choses. Les très laconiques et très théâtraux « Je m’en vais », « Je te quitte », « Adieu », ont leurs partisans. Cela a le mérite d’être clair, mais ces brefs billets déclenchent souvent une avalanche de questions. Il est donc plus prudent de prendre les devants et de donner à l’autre toutes les explications dont il (elle) a besoin.
Le cahier de doléances est un classique du genre : on reproche, on accuse, on accable… Or, accuser l’autre de tous les maux, c’est risquer de prolonger les querelles.
Au chapitre des reproches il suffit souvent d’écrire : « Je n’en peux plus ! » ou bien « L’expérience a prouvé que nous ne pouvons pas nous entendre » ; « Nous sommes trop différents l’un de l’autre », ce qui a le mérite de suggérer que les torts sont partagés.
On peut aussi faire l’inventaire de ses propres défauts et noircir le tableau pour adoucir la douleur de la séparation, en espérant paradoxalement se faire détester : « Je crois sincèrement ne pas être en mesure d’assurer ton bonheur ».

Dire adieu

Une fois la rupture annoncée et expliquée, il reste à prendre congé sans réveiller de vieilles rancoeurs. Certains le feront en exprimant un vœu : « Je souhaite que tu rencontres la personne qui te rendra heureux (se) ». D’autres ajouteront une phrase pacifiée : « De tout ce temps passé près de toi, je ne veux garder que les bons souvenirs ». Pour sa part, la cynique marquise de Merteuil (Les Liaisons dangereuses) finissait sa lettre par une cruauté supplémentaire : « Je te quitte sans regret : je te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n’est pas ma faute ».
Avant la signature, toute tournure de politesse serait évidemment déplacée : vous pouvez vous contenter de votre prénom. Le fameux « Adieu ! » reste théâtral et pourrait vous ridiculiser.

Un exemple à ne pas suivre

Madame Bovary est un roman sur l’ennui et le désenchantement. Gustave Flaubert y met en scène Emma, une jeune femme qui rêve à travers les romans et que la réalité désespère. Mariée à un personnage sans envergure, elle prend un amant et rêve d’une autre vie avec le beau Rodolphe, un petit noble qui se lasse bien vite. Il lui adresse une mémorable lettre de rupture, chef-d’œuvre d’hypocrisie. Le lecteur assiste à l’écriture de celle-ci . En voici la fin : « Il me semble que c’est tout. Ah ! Encore ceci, de peur qu’elle ne vienne à me relancer : “Je serai très loin quand vous lirez ces tristes lignes ; car j’ai voulu m’enfuir au plus vite afin d’éviter la tentation de vous revoir. Pas de faiblesse ! Je reviendrai ; et peut-être que, plus tard, nous causerons ensemble très froidement de nos anciennes amours. Adieu !” Et il y avait un dernier adieu, séparé en deux mots : à Dieu ! ce qu’il jugeait d’un excellent goût.
– Comment vais-je signer, maintenant ? se dit-il. Votre tout dévoué…Non. Votre ami ?... Oui, c’est cela. “Votre ami” ».