Arts et culture
STÉPHANIE
Des cornichons au chocolat
(extrait)
(Suite. Voir N° 12, 13, 15, 17, 18, 19, 21, 22, 23, 24/2007, 01/2008)
Le retour et la réconciliation
Après, on est rentrées toutes les deux vers Paris en voiture. Après, elle m’a tout raconté. Maman n’a tout expliqué. Elle m’a expliqué que c’était Mamo qui lui avait téléphoné les premiers jours de mon arrivée et de la maladie. Mamo, elle avait été géniale. Elle avait dit à maman qu’il valait mieux qu’elle vienne quand je serais guérie. Et maman, de son côté, elle avait attendu deux jours pour venir parce que entre-temps elle avait essayé de retrouver mon père. Et c’est comme ça que j’ai compris que mon père il avait voulu quitter maman. Et que c’était pas du tout un voyage aux États-Unis en Amérique. Et qu’avec papa, ils s’étaient expliqués après. Et qu’il y avait eu, comme ils disent, une Crise, il paraît que ça arrive à tous les adultes. Et que moi, dans la crise, comme je les avais lâchés tous les deux et que je leur avais fait très peur, ils avaient décidé d’essayer de recommencer à vivre ensemble comme des parents normaux et de mieux m’élever et de mieux m’aimer.
Mais pourquoi alors papa il était pas venu me chercher avec elle, j’ai demandé.
Maman m’a dit que c’était elle qui avait décidé de venir seule. Elle voulait me parler à moi toute seule parce que j’étais sa fille chérie, elle voulait me montrer qu’elle tenait à moi vraiment, elle s’était fait tant de souci pour moi.
Alors, pour la première fois depuis longtemps, j’ai dit à ma maman qu’elle avait eu raison et que j’étais heureuse d’être seule avec elle en voiture. Même si ça me fendait le cœur que dans le coffre à l’arrière dans une petite boîte, il y avait le corps de Garfunkel.
Quand on est rentré j’ai pas voulu retourner tout de suite au lycée. Mes parents, ils ont été très sympas, ils m’ont dit tu prends tout ton temps et on est restés tout le temps ensemble. On a fait des tas de choses ensemble. La seule chose que je faisais seule c’est que j’allais voir l’Autre pratiquement tous les jours. Ça a duré trois quatre jours, on écoutait de la musique, on était bien, je lui ai tout raconté.
En rentrant de chez lui, le deuxième jour, ma mère m’a dit : « Viens voir. »
Et elle m’a amené dans la cuisine et là il y avait un tout petit chat, tout petit petit tout petit tout mignon tout minouquet, un Blue-Point exactement comme Garfunkel mais en tout petit en dix mille fois plus petit plus jeune. J’en revenais pas. J’étais intersidérée, sciée, dépouillée, j’en croyais pas mon cœur. Me mère m’a dit : « Il est pour toi, je l’ai cherché partout. Et tu sais comment tu vas l’appeler ? Tu vas l’appeler Simon. »
Alors j’ai dit à ma mère : « T’es géniale, maman. »
J’ai joué avec le petit Simon pendant toute la soirée. Le lendemain, j’allais vraiment bien. Et alors j’ai décidé d’aller faire un tour dans le quartier, de ressortir un peu, et je me suis retrouvée sans le faire exprès devant le café où j’avais eu Garfunkel sur mes genoux pendant des heures et où j’avais réfléchi et où sans doute c’était là que tout avait commencé. Tout de ma véritable fugue, la vraie, celle qui avait mal tourné. Alors je sais pas pourquoi j’ai voulu rentrer dans le café. Il y avait le même garçon à moustaches rousses. Je lui ai commandé un Coca. Il m’a reconnue. Le garçon, il m’a dit : « Ça va, mademoiselle ? Vous avez toujours l’air un peu bizarre quand vous venez ici. »
J’ai dit : « Non non, ça va bien maintenant. »
J’ai bu mon Coca, j’ai attendu, et je me suis sentie tout en paix d’un seul coup et alors seulement je suis sortie.
La fin et le début
Ce matin, en me levant, j’ai pris une grande décision, et j’ai décidé d’arrêter d’écrire dans ce cahier.
Je sais que rien n’a vraiment changé et que j’ai pas vraiment changé mais c’est bizarre, j’ai plus envie d’écrire mes histoires. De toute façon, j’ai d’autres choses à faire plus importantes dans ma vie, j’ai à m’occuper de quelqu’un d’autre que moi : l’Autre. Et puis il faut que je voie ce qui va se passer avec mes parents entre eux, ce qu’ils vont faire, et comment ce qu’ils vont faire va changer ma vie, maintenant qu’on est une Famille.
Enfin voilà quoi, c’est la Fin du cahier de Stéphanie. Peut-être que je le rouvrirai mais pas tout de suite. Pour l’instant, mes cahiers, mes pleurnichades, c’est fini tout ça.
J’ai quand même tout relu ce que j’avais écrit d’un seul coup, ça m’a pris du temps, j’ai relu le passage au début où je disais que je voulais arrêter la vérité, comme on fait au cinéma quand on arrête l’image. Je crois pas que j’y suis arrivée. Je crois pas que c’est possible. Je crois que c’est des choses impossibles à faire. Mais si on essaie pas de faire des choses impossibles, alors on devient un Être Humain Absolument Banal et ça, je le serai jamais, ça au moins c’est sûr !
Enfin, je vais essayer. Je sais que là-haut dans le ciel, Garfunkel est en train de me regarder pendant que je suis en train d’écrire et je sais qu’il a envie de me dire que j’en suis cap’, d’être quelqu’un pas comme les autres.
Le chat Simon, lui, il me parle pas encore. Il est encore trop jeune. On se connaît pas bien et ça va nous prendre du temps. L’amour, ça prend du temps.
Tatiana JELEZNIAKOVA
Fiche pédagogique
VOCABULAIRE
réconciliation (f)– примирение
il vaut mieux – лучше, предпочтительнее
guéri – выздоровевший
lâcher – зд. бросить, оставить
élever – воспитывать
tenir à – зд. дорожить
faire tant de souci – доставить столько беспокойства, хлопот
аvoir raison – быть правым
fendre le cœur – разрывать сердце
coffre (m) à l’arrière – зд. багажник машины
des tas (m) de choses (f) – масса, куча вещей
amener – привести
exactement – точно
j’en revenais pas – я не могла прийти в себя
intersidéré – ошеломленный, пораженный
scié – зд. изумленный, пораженный (от scier - пилить)
dépouillé – зд. пораженный, ошеломленный (от dépouiller - сдирать кожу)
exprès – нарочно
bizarre – странный
avoir envie de – иметь желание, хотеть
de toute façon – во всяком случае
pleurnichades (f) – зд. нытье, хныканье, сетования
quand même – все-таки, однако
c’est sûr – это точно
être en train de – быть занятым чем-либо (il est en train de me regarder – он смотрит на меня)
cap’ (capable) – способный
se connaître – знать друг друга
QUESTIONS
Le retour et la réconciliation
- Maman, qu’est-ce qu’elle a raconté à Stéphanie ?
- Parlez de tous les personnages de cet extrait (maman, papa, Mamo), de leur rôle dans les derniers événements et peut-être dans les événements précédents.
- La fugue de Stéphanie, quelles conséquences a-t-elle provoquées ? C’étaient de bonnes ou de mauvaises conséquences, selon vous ?
- Pourquoi après le retour Stéphanie a eu besoin de passer quelques jours à la maison avant de revenir au Lycée ?
- Maman, quel cadeau a-t-elle fait à Stéphanie ? Pourquoi ?
- Pourquoi Stéphanie revient dans le café qu’ elle avait visité juste avant sa fugue ? Ce retour, qu’est-ce qu’il lui donne ?
La fin et le début
- Stéphanie, quelle grande décision prend-elle ? Pourquoi cela lui arrive un matin ?
- Quelles autres choses plus importantes a-t-elle à faire dans sa vie maintenant ?
- Parlez de chacune de ces choses. Qu’est-ce que vous en pensez ?
- L’écriture, pourquoi empêche-t-elle Stéphanie de s’occuper des autres ?
- Est-ce qu’elle a renoncé à son but d’arrêter la vérité ?
- Un Être Humain Absolument Banal, qu’est-ce que cela veut dire ?
- Les deux chats, pourquoi ils sont les derniers qui apparaissent sur les pages de ce récit ?