Je vous salue, ma France
La Corse
«Le capitaine, un vieux petit homme tanné, séché, raccourci, racorni, rétréci par les vents durs et salés, apparut sur le pont, et, d’une voix enrouée par trente ans de commandement, usée par les cris poussés dans les bourrasques, il dit à Jeanne :
– La sentez-vous, cette gueuse-là ?
Elle sentait en effet une forte et singulière odeur de plantes, d’arômes sauvages.
Le capitaine reprit :
– C’est la Corse qui fleure comme ça, Madame ; c’est son odeur de jolie femme à elle. Après vingt ans d’absence, je la reconnaîtrais à cinq milles au large. J’en suis. Lui, là-bas à Sainte-Hélène, il en parle toujours, paraît-il, de l’odeur de son pays. Il est de ma famille. Et le capitaine, ôtant son chapeau, salua la Corse, salua là-bas, à travers l’océan, le grand empereur prisonnier qui était de sa famille... »
Guy de Maupassant publie ces lignes en 1883, dans un feuilleton hebdomadaire qu’il réunira en un roman Une vie. Jeanne, la fille d’un modeste baron dont la propriété est près d’Yport en Normandie, va connaître un éphémère bonheur, lors d’un bref voyage de noces dans ce qui deviendra « l’île de Beauté », la Corse. Il y a tout dans ces quelques pages : les odeurs, les sentiers, l’âpreté sauvage, la douceur ensoleillée, la méfiance montagnarde, la chaleureuse hospitalité et aussi la Vendetta...
La Vendetta, la « vengeance », est un code d’honneur violent. Il conduit à punir de mort une insulte faite à une famille. Cette mort conduit à son tour à une autre mort, vengeant la première en un cycle qui peut être sans fin.
Prosper Mérimée avait décrit cette Vendetta dans Colomba, nouvelle publiée en 1840, et déjà dans Mateo Falcone dès 1829. Il était connaisseur de la langue russe, traducteur de Pouchkine, Gogol et Tourgueniev et l’inspirateur du livret de Mateo Falcone, opéra de César Cui qui était le fils d’un officier français resté en Russie après les campagnes de Napoléon.
Maupassant relate également dans Une vie un épisode de Vendetta. Nous y voyons Jeanne et son mari recevoir avec effarement le récit d’un de ces guides corses qui a lui-même été témoin d’un meurtre par vengeance. Dans le roman, le voyage de Jeanne se passe en 1819. Il restait alors à Napoléon, prisonnier sur l’île de Sainte-Hélène, trois ans à vivre. Voilà pourquoi le capitaine, dans l’extrait précité, l’interpelle là-bas, au-delà de son île.
La Corse est une terre particulière. C’est une île, possession de la république de Gênes au XVIIIe siècle, une des nombreuses principautés qui se partagent alors l’Italie. Agitée par un courant d’indépendance, elle est vendue au royaume de France en 1768. Nous sommes un an avant la naissance de Napoléon Bonaparte à Ajaccio. Celui-ci a passé sa jeunesse dans des luttes fratricides. Les uns, avec la famille Paoli, s’opposent au rattachement à la France et veulent l’indépendance. Les autres acceptent le rattachement et cherchent à en tirer avantage. Les Bonaparte, famille de petite noblesse, ont hésité d’abord et puis ont choisi le camp français. Le père de Napoléon, ami du comte de Marbeuf, gouverneur de l’île, peut ainsi faire admettre son fils au collège militaire de Brienne, dans l’est de la France. Celui-ci a alors neuf ans, c’est le début de la longue carrière que l’on sait…
Ajaccio, ville natale de Napoléon, garde les souvenirs du grand homme et de son neveu qui deviendra plus tard Napoléon III : statues, musée impérial, chapelle impériale édifiée par le neveu, collections de peintures italiennes du cardinal Fesch, l’oncle maternel de l’empereur. Il y a surtout la maison familiale, peuplée de souvenirs, conservés ou rapportés. Cette maison était alors partagée avec la famille cousine des Pozzo di Borgo. Ironie du sort, le comte Pozzo di Borgo finit par prendre la parti de Paoli qui cherchait une alliance avec les Anglais. Pourchassé par son cousin Napoléon, il parvint en Russie, où il devint le conseiller du tsar Alexandre Ier. Ses avis furent précieux, lors de la campagne de France et de la prise de Paris en 1814 par les troupes alliées. Il sera ambassadeur de Russie à Paris jusqu’en 1834, puis à Londres jusqu’en 1839. D’un côté Napoléon et sa campagne de Russie, de l’autre son cousin Pozzo di Borgo au service de la Russie !
En Corse, l’histoire, profondément ancrée dans l’imaginaire collectif et passionnément vécue au quotidien dans les luttes pour affirmer l’identité corse, est toujours d’actualité. La Corse est une île de passions. Elle est à la fois accueillante et jalouse de son identité. Elle lutte pour maintenir sa langue, issue du latin des Romains et du toscan des Italiens du Moyen Âge. On y trouve cette volonté de garder son indépendance face au continent, mais aussi cette douceur de vivre, et la force de liens tissés depuis si longtemps avec ce même continent.
La Corse s’étend sur 200 kilomètres du nord au sud et 80 kilomètres d’est en ouest. Elle est située à 190 kilomètres de Gênes et à 175 kilomètres de Nice. C’est une véritable montagne dans la mer : 50 sommets atteignent les 2 000 mètres, le Mont Cinto et sa couronne neigeuse culminent à 2 710 mètres. Des côtes déchiquetées découpent des criques sauvages à l’ouest. Elles s’aplatissent en longues plages sablonneuses à l’est. Pays de gorges sauvages, de forêts mêlant chênes, pins, hêtres et même bouleaux en altitude, de maquis denses, atteignant jusqu’à six mètres de hauteur, avec leurs senteurs puissantes au printemps. Pays de ports fortifiés : Bastia, Calvi, Bonifacio, de vieilles citadelles au croisement de cols comme Corte. Pays de bourgs perchés avec leurs vieux quartiers, leur dédale de sombres venelles, leurs voûtes, leurs escaliers, leurs maisons dont le granit épais protège du froid et de la chaleur. Pays de cités pittoresques : Sartène « la plus corse des villes corses » (comme l’écrit Prosper Mérimée), Cargèse et ses deux églises face à face, (celle des Grecs, installés au XVIIIe siècle et celle des Latins de rite romain, premiers occupants des lieux), Porto et son golfe bordé de falaises de granit rouge, qui s’observe si bien du village de Piana.
La Corse a son caractère, son unité, elle est à la fois la France, l’Italie et la Méditerranée. Chaque été, un vol direct relie Moscou à la Corse.
Pour plus d’information, consultez : www.visit-corsica.com