Arts et culture
Être enfant, ce n’est jamais facile…
Les années de scolarité sont plus que pénibles pour Jacques Brel. Tout d’abord à l’école primaire Saint-Viateur, tenue par des frères ; puis à l’Institut Saint-Louis où parmi une majorité de prêtres se trouvent quelques rares professeurs laïcs.
À Saint-Viateur, loin des fracas du monde des adultes, on apprend aux enfants sages et briqués les bases de l’orthographe, du calcul, de la grammaire et du solfège et quelques rudiments de flamand, matière où Jacques se montre exécrable. On leur inculque aussi l’amour et le respect de Dieu, du Roi, de la Patrie et de la Famille. Dans l’ordre.
Jacques est un élève tout ce qu’il y a de banal. Sans excès de brio ni de médiocrité. Un enfant doux et rêveur, peut-être un peu mélancolique. Plein de bonne volonté, sans doute, mais pas assez travailleur ni assez attentif. De très bonnes notes en français et une honnête moyenne partout ailleurs. En fait, un écolier sans grande originalité, que rien ne permet de distinguer des autres.
En 1941, Jacques est inscrit demi-pensionnaire à l’institut Saint-Louis, qui passe pour être le meilleur établissement de Bruxelles, essentiellement fréquenté par les fils des familles aisées et où est dispensé à la fois l’enseignement classique et catholique. De simplement terne, sa scolarité devient franchement désastreuse, et il s’enfonce peu à peu dans le rôle du cancre.
Il fait le clown devant ses camarades et professeurs, et développe ses dons naturels d’acteur et de parodiste. C’est l’époque où Jacques découvre l’adolescence et la timidité, la complexité des filles, les incertitudes, mais aussi la conviction absolue de devoir vivre autrement.
Y’en a qui ont le cœur si large
Qu’on y entre sans frapper…
Y’en a qui ont le cœur dehors
Et ne peuvent que l’offrir.
(Les Cœurs tendres)
Cœur large, cœur ouvert, cœur offert, Jacques rêve d’ouvrir les portes, d’oublier les bornes et les interdits, tout ce qui enferme la vie dans les limites d’un parcours bordé d’habitudes. Il ne rêve que de prouesses, on lui apprend la prudence, il est généreux, on lui dit d’être économe, il rêve d’aventures, on lui oppose l’autorité.
En réalité, les conditions de vie de cette période de l’Occupation justifient partiellement ces restrictions de liberté. être enfant, ce n’est jamais facile, face aux adultes, leur morale, leur mode de vie, leurs exigences. Et souvent ce mal de vivre reste gravé dans la mémoire et le cœur même…
Faut vous dire, Monsieur,
Que chez ces gens-là,
On ne vit pas, Monsieur,
On ne vit pas : on triche !
(Ces gens-là)
Jacques Brel
Ballade
(1953)
Je voudrais un joli bateau
Pour m’amuser
Un beau bateau de bois doré
Pour faire la pêche à la morue
Je voudrais une jolie calèche
Pour me promener
Et pour éclabousser les filles
Qui dansent dans les avenues
Je voudrais que dans les tramways
On soit gentil
Qu’on dise merci et s’il vous plaît
Sur les plates-formes des tramways
Je voudrais que tous les clochards
Puissent chanter
Tôt le matin et tard le soir
Des airs de liberté
Je voudrais que dans les maisons
ça sente bon
Le pain, la bière et le jambon
Qui se balance au plafond
Je voudrais un joli avion
Pour voir le Bon Dieu
Un bel avion souple et léger
Qui m’emmènerait haut dans les cieux
Et je voudrais que les petits enfants
Ne soient pas méchants
Et que leurs rires, comme des jets d’eau
Rafraîchissent l’humanité.