Arts et culture

Jacques Brel, Quand on n’a que l’amour (1956)

1956. En Algérie, la « pacification » ne peut plus cacher son nom : c’est la guerre. En avril, la France rappelle les jeunes qui, ayant déjà effectué leur service militaire, sont pour quelques années encore à la disposition de la nation. En novembre, c’est l’expédition catastrophique de Suez qui voit la déconfiture des armées coloniales. Dans le même temps, un millier de chars soviétiques investissent Budapest. Le 4 au matin, un appel au secours, est lancé par radio, en direction de l’Occident : « Aidez la nation hongroise, ses travailleurs, ses paysans et ses intellectuels. À l’aide ! À l’aide ! À l’aide ! »

Empêtré dans ses querelles diplomatiques, l’Occident ne bouge pas et, le 11 novembre, la Hongrie est définitivement broyée. Jean-Paul Sartre publie dans L’Express un article rageur : C’est l’horreur qui domine !

L’horreur, en effet. Partout ! Jacques Brel n’est pas un chanteur engagé, mais ce qu’il voit le bouleverse. C’est dans cette conjoncture troublée, qu’il connaîtra bientôt son premier véritable succès, avec une chanson résumant bien des angoisses du moment :

Quand on n’a que l’amour
Pour parler aux canons
Et rien qu’une chanson
Pour convaincre un tambour…

La première version de Quand on n’a que l’amour a été mise en boîte le 14 mai 1956, au studio Apollo. Le disque sort quelques mois plus tard. Le thème est dans l’air du temps. Il traduit un sentiment partagé par toute une jeunesse. Ce n’est pas le tube fracassant que sera bientôt La Valse à mille temps, mais un succès capable, déjà d’asseoir une carrière. D’autant que le 33-tours qui suit reçoit le 11 juin 1957 le prix de l’Académie Charles Cros. Ce prix prestigieux est une sorte d’indiscutable label de qualité ; mais il touche peu le grand public. Pour s’imposer, il devra continuer à se battre, avec la même détermination et le même courage ; mais pour lui le temps des vaches maigres est définitivement terminé. Il aura duré quatre ans. C’est peu, si l’on songe à ces artistes qui connaîtront d’interminables années de « galère » avant d’avoir (ou pas) leur première véritable chance. C’est énorme, lorsque l’on fait le bilan des privations, des heures de désespoir et des humiliations subies.

(d’après Marc ROBINE)

Quand on n’a que l’amour

Quand on n’a que l’amour
À s’offrir en partage
Au jour du grand voyage
Qu’est notre grand amour
Quand on n’a que l’amour
Mon amour toi et moi
Pour qu’éclatent de joie
Chaque heure et chaque jour
Quand on n’a que l’amour
Pour vivre nos promesses
Sans nulle autre richesse
Que d’y croire toujours
Quand on n’a que l’amour
Pour meubler de merveilles
Et couvrir de soleil
La laideur des faubourgs
Quand on n’a que l’amour
Pour unique raison
Pour unique chanson
Et unique secours
Quand on n’a que l’amour
Pour habiller matin
Pauvres et malandrins
De manteaux de velours
Quand on n’a que l’amour
À offrir en prière
Pour les maux de la terre
En simple troubadour
Quand on n’a que l’amour
À offrir à ceux-là
Dont l’unique combat
Est de chercher le jour
Quand on n’a que l’amour
Pour tracer un chemin
Et forcer le destin
À chaque carrefour
Quand on n’a que l’amour
Pour parler aux canons
Et rien qu’une chanson
Pour convaincre un tambour

Alors sans avoir rien
Que la force d’aimer
Nous aurons dans nos mains
Amis le monde entier.