Univers du français
Éloge du bon élève
Iriez-vous voir un match de football entre deux équipes composées de cancres du ballon rond ? Non, vous préférez les footballeurs, qui sont des prix d’excellence. De même, au cinéma, paieriez-vous une place pour un film interprété par des tocards ? Non, vous préférez voir les acteurs, qui sont des as de la profession. En fait, il semble que l’on ait aujourd’hui le devoir d’être excellent partout, sauf à l’école, où le mauvais élève jouit encore d’une certaine indulgence. Il est temps de faire l’éloge du bon élève.
Qu’est-ce qu’un bon élève ? À mon avis, un être réactif, rapide, mais profondément paresseux : il s’ingénie à expédier son travail dans les meilleurs délais pour avoir le loisir de faire autre chose. Le bon élève sait que les meilleures notes sont très relatives et que la vraie vie est ailleurs. Un bon élève ressemble à une sorte d’Arsène Lupin, il crochète toutes les serrures d’une main preste de gentleman-cambrioleur, le voilà déjà sur le toit du château tandis que le cancre est encore au rez-de-chaussée avec son trousseau de clés. En réalité, c’est le malheureux cancre qui est scolaire, personne n’est plus obsédé que lui par l’école, il ânonne ses leçons, maudit les manuels. Si le cancre croit en l’école, le bon élève n’y croit guère. Si le cancre attend un miracle, le bon élève est plutôt un incrédule, un voltairien. Évidemment, on a tendance à redouter les voltairiens. Le cancre va donc passer une partie de sa vie à regarder en coin les bons élèves, ces scintillants, ces insolents. Les bonnets d’âne n’aiment guère les peaux d’âne.
Tout cela a peu à voir avec l’origine sociale. Il y a des milliers de bons élèves venant de milieux dits défavorisés. Quant aux familles les plus fortunées, elles fournissent invariablement leur contingent de cancres. Résultat : les bons élèves constituent aujourd’hui une espèce volontiers dénigrée. Ce sont eux les briseurs de consensus, les punks discordants, les « bad boys » gênants. Être un cancre, c’est assez facile. Exceller en classe, c’est finalement plus rare et plus risqué. Tel serait mon conseil final aux cancres : si vous voulez être de vrais rebelles, en finir avec le conformisme confortable, encourir la réprobation générale, essayez donc de devenir de bons élèves.
(d’après la presse française)