Univers du français
Mariam PATARAÏA
L’économie : le mot-clé de l’époque
Au début des années 1990, la Russie a entrepris de passer d’un système économique centralement planifié à une économie de marché. Pour mieux comprendre les changements survenus, nous vous proposons un mini-dictionnaire qui reflète les réalités de l’époque et les épreuves endurées.
la libéralisation des prix
l’hyperinflation
la crise économique
la privatisation
les chèques de privatisation
la crise des paiements
les pyramides financières (« MMM »)
les actions
l’oligarchie
la dénomination
le chômage
la dévaluation
le redressement
la stabilisation
la croissance économique
Comme nous étions encore trop petits lors de tous ces bouleversements, nous nous sommes adressés à nos parents pour savoir ce que ces notions signifient dans leur mémoire.
Tous ont commencé par : la libéralisation des prix, l’hyperinflation, la crise économique, la crise des paiements.
Les images-souvenirs évoquées par ces mots sont variées : magasins vides, queues de plusieurs heures pour acheter des marchandises de première nécessité, certificat qui attestait que son possesseur pouvait prendre les transports sans payer (car il n’avait pas touché son salaire), absence de nourriture pour les bébés, manque constant d’argent pour couvrir les dépenses. Tous soulignent que les années 1991-1994 ont été la période la plus dure.
Viennent ensuite : la privatisation, les chèques de privatisation, les actions et les pyramides financières. Une des mamans a appelé ces phénomènes « une grande tromperie du grand peuple ». Tous croient que la privatisation était injuste, faite au profit d’un cercle de fonctionnaires.
Le désir des gens de sauver leur bien de l’inflation a été exacerbé par une campagne publicitaire sans précédent de MMM-invest, fondé par Mavrodi. MMM était la plus grande, (mais pas l’unique) pyramide financière. Elle a été saisie en été 1994. Des milliers de gens y ont perdu des sommes d’argent importantes.
La crise financière de 1998 fait partie des souvenirs les plus pénibles : « On a perdu tout notre argent. Il n’y avait plus d’argent liquide. »
Nous sommes rentrés à l’école le 1 septembre 1998, soit un mois après la crise financière que la Russie avait connue au mois d’août : la combinaison d’une forte dévaluation et d’un défaut sur la dette interne. Cette crise avait provoqué une secousse de premier ordre sur les marchés financiers internationaux. Pour la Russie, elle s’est avérée salutaire, c’était comme un aboutissement du chemin parcouru par le pays depuis 1992.
Aujourd’hui, nos parents notent un redressement économique, mais considèrent que la croissance économique est lente :
« Si le niveau de vie s’améliore, les salaires ne suivent pas l’inflation. »
Quant à savoir s’ils regrettent le système économique soviétique, les réponses varient :
« Pas du tout. »
« Il y a quelques regrets parce qu’à l’époque on vivait avec une totale assurance envers le lendemain, l’instruction était gratuite, les retraités avaient les moyens de vivre, les prix étaient stables. »
« Il y avait moins de pauvreté, et pas de sans domicile fixe. »
« Il n’y avait pas de chômage, pas d’énormes écarts entre les niveaux de vie. »
Ma génération a grandi à l’époque du capitalisme. Quelle est notre attitude envers le côté économique de la vie ? La première chose à noter : les points de vue sur le rôle joué par l’économie dans notre vie sont opposés.
« L’économie ne fait pas partie de mes intérêts. »
« Je ne sais presque rien sur l’économie. »
« L’économie concerne tout le monde, c’est le domaine le plus important de la vie de notre pays. »
« Chaque personne, même si elle ne le réalise pas, fait partie du système économique, ne serait-ce qu’en achetant quelque chose au magasin. »
Les personnes qui peuvent affirmer qu’elles sont conscientes des problèmes économiques du pays sont minoritaires :
« Lorsqu’on me parle de l’inflation, des actions, je comprends à peu près ce que cela signifie, mais je ne maîtrise pas le sens du problème. »
« C’est très difficile de dire si je les ai déjà intégrés. Je peux en nommer quelques-uns si je réfléchis bien. C’est mon père qui influe sur ma prise de conscience parce que je lui pose souvent des questions et il essaie toujours de me donner des réponses détaillées. »
« Je les ai compris, car j’entends partout les récriminations des gens mécontents qui parlent de leurs problèmes : le niveau de vie reste encore très bas, les prix augmentent tout le temps. »
Tous mes copains considèrent que le problème de l’argent est délicat et que l’on ne peut en discuter qu’en famille ou avec les amis. En même temps, ceux qui participent au planning du budget familial sont minoritaires :
« Je ne participe pas à la répartition du budget familial, c’est l’affaire de mes parents. »
« Je ne peux pas dire que je suis au courant du budget familial. »
La situation économique de mes copains ne m’intéresse pas et elle n’influe pas sur nos relations :
« Ce qui m’intéresse ce sont leurs vraies qualités, leur âme et pas leur argent. »
« Je communique facilement avec les gens qui ont plus ou moins d’argent que moi, mais je me sens plus à l’aise avec des gens qui sont dans la même situation économique que moi. »
« Je peux dire que la situation économique de mes copains ne m’intéresse pas, mais c’est important pour moi de savoir que mes amis sont bien éduqués. »
« La situation économique de mes copains m’intéresse seulement dans le cas où il faudrait les aider. »
Plus de la moitié des élèves de ma classe ont déjà travaillé et ont gagné leur premier argent. Certains ont réussi à gagner des sommes importantes. Il y en a ceux qui cumulent les études et le travail :
« Quand on ne travaille pas, on pense que gagner de l’argent n’est pas un problème, on le dépense librement, presque sans réfléchir. Depuis que je travaille, mon attitude envers l’argent a complètement changé. Maintenant avant d’acheter quelque chose je pense toujours, j’essaie de planifier mon budget. »
« J’ai réalisé le rôle de l’argent dans la vie quand j’ai commencé à travailler et ce fut une expérience très importante pour moi. »
« Il faut s’investir beaucoup pour bien gagner sa vie. Je pense que c’est le travail qui m’a permis de comprendre si j’étais prête à mener une vie adulte. »
« Je suis prête à commencer à travailler dès le deuxième semestre de mes études universitaires, car on ne peut pas vivre toujours avec l’argent de ses parents. Parfois je suis très heureuse d’avoir encore un peu de temps pour rester infantile. »
Tous mes copains sont d’avis que de nos jours on peut acheter presque tout, mais seulement « presque » :
« ... parce qu’on peut acheter un livre, mais pas les connaissances, on peut acheter une maison, mais pas le foyer, on peut acheter des médicaments, mais pas la santé, on peut même acheter une personne, mais pas l’amour ».