Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №9/2008

Univers du français

Alexandra CHAPILOVA

La Moscou post-soviétique

Dans la mémoire collective internationale, la mort symbolique du système soviétique s’est matérialisée par le déboulonnage le soir du 22 août 1991de l’immense monument à Félix Dzerjinski.

Moscou, le premier témoin du déclin de l’Empire soviétique, doit se forger une nouvelle image. Et les Moscovites se mettent à réaménager la capitale. En moins de dix ans, la ville est devenue méconnaissable. On a fait disparaître des symboles communistes et en même temps on fait revivre le passé historique russe. Les symboles d’hier ou d’aujourd’hui se juxtaposent.

Les rues changent de nom

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Les changements des toponymes moscovites ont commencé sous la Perestroïka ; déjà avant 1991, plus de trente lieux ont retrouvé leurs anciens noms : ainsi, l’artère principale de Moscou baptisée par les Bolcheviks rue Gorki, est redevenue en novembre 1990 rue Tverskaya. Entre 1990 et 1993, la Douma de Moscou vote le retour des noms historiques de plus de 150 lieux, ces dispositions n’entreront en application que fin 1994. Par ailleurs, seuls les toponymes du centre historique ont été modifiés.

C’est pourquoi, aujourd’hui encore à Moscou, il n’est pas difficile de remonter le temps et de retrouver les toponymes soviétiques. Ainsi, par exemple, à peine sorti de la station du métro « Taganskaya » qui se trouve sur la ligne circulaire délimitant le centre historique, le flâneur peut emprunter la rue « Bolchaya Kommounistitcheskaya », bifurquer sur la ruelle « Malaya Kommounistitcheskaya » pour finalement déboucher sur la « Plotchad’ Ilitcha » (Lénine). D’ailleurs, le métropolitain de Moscou garde toujours le nom de Lénine.

J’ai enquêté auprès de mes copains. Tous pensent que les toponymes soviétiques doivent être gardés comme une partie de notre histoire. « L’époque soviétique est une grande et importante partie de notre histoire et on ne peut pas changer l’histoire. Donc il faut garder les noms soviétiques. »

Le retrait des monuments

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Dès août 1991, un comité d’experts a été nommé par le Gouvernement de la ville dans le but de régler le sort des monuments soviétiques « à caractère politique. » Les statues déboulonnées de Dzerjinski, de Sverdlov et de Kalinine sont transférées dans le parc de la Maison des Artistes, désormais qualifié de Parc de la Sculpture. Mais, devenue affaire d’état, la question du retrait des monuments s’enlise : comme en témoigne l’imposant Lénine de la place Oktiabrskaya et son Mausolée qui demeure en place.

L’opinion de mes condisciples vis-à-vis des monuments de l’époque soviétique est nette :

« Je pense que quand on supprimait les symboles de l’époque, c’était un geste de protestation. On voulait mettre fin à une époque et marquer le début d’une nouvelle vie. »

« Il ne faut pas raser les monuments. On peut ne pas aimer l’époque soviétique, mais il faut la connaître et surtout ne pas l’oublier. Les monuments soviétiques sont un rappel historique. »

La reconstruction des monuments

La Moscou post-soviétique fait des efforts pour établir une continuité entre l’histoire prérévolutionnaire et l’histoire contemporaine.

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Depuis le début des années 1990, la reconstruction ainsi que la réouverture de nombreux lieux de culte orthodoxe favorisées par l’état fédéral et la municipalité de Moscou, traduisent la réconciliation de l’église orthodoxe et du pouvoir. Alors qu’en 1988, on ne dénombrait que quarante-huit églises orthodoxes, en janvier 1997, plus de trois cent cinquante étaient en activité.

Comme il est impossible de tout reconstruire, on a choisi de réédifier les monuments les plus caractéristiques de la Moscou prérévolutionnaire, notamment l’église de Notre-Dame de Kazan, la porte de la Résurrection, la chapelle d’Ibérie à l’entrée de la place Rouge et le palais Gostinyï Dvor, mais c’est sans conteste la cathédrale du Christ-Sauveur qui est la plus symbolique. La reconstruction de ce temple du Sauveur marque la volonté du nouveau pouvoir de rendre à Moscou son aspect historique prérévolutionnaire.

L’église de Notre-Dame de Kazan porte le nom de l’icône qui est très vénérée en Russie. La première église remonte à 1625. Le premier bâtiment était en bois, il brûla dix ans après sa construction et fut remplacé par une église en pierre, modifiée ensuite en 1801, 1805, 1865.

En 1925-1930 des travaux de reconstruction ont rendu à l’église son aspect initial, mais en 1936 elle a été détruite pour des raisons politiques.

À l’étonnement de tous, lorsqu’on a essayé de construire un autre édifice à l’emplacement de l’église de Notre-Dame de Kazan, il y a eu des accidents répétés, à tel point que les ouvriers ont refusé de faire des travaux dans cet endroit. On a transformé l’emplacement en un petit parc simplement recouvert de gazon. C’était le seul endroit « ouvert » sur la place Rouge.

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Notre-Dame de Kazan a été reconstruite de 1990 à 1993 par la ville de Moscou, et pour notre génération la place Rouge est inimaginable sans cette église.

Le Christ-Sauveur a été construit pour célébrer la victoire de l’armée russe sur Napoléon. 50 ans ont séparé la pose de la première pierre et la consécration. La décoration intérieure avait été confiée à des artistes célèbres comme Sourikov, Verechtchaguine, Neff. La Cathédrale incarnait la gloire de la Russie et la foi en sa grandeur.

Détruite le 5 décembre 1931, elle devait être remplacée par un gigantesque palais des Congrès qui aurait eu 416 mètres de haut et aurait été couronné d’une statue de Lénine. Mais le projet n’a jamais vu le jour et finalement une gigantesque piscine en plein air a pris sa place. Mais les vapeurs d’eau chaude nuisaient à l’environnement. Dès 1980, a débuté le mouvement pour la restauration de l’église. Le décret présidentiel de Boris Eltsine du 5 mai 1995 a permis le commencement des travaux. Des fonds ont été à nouveau collectés. Plus d’un millier d’artisans de toute la Russie ont travaillé 24 heures sur 24 respectant au mieux les documents d’archives. Les techniques modernes ont permis d’achever les travaux en 5 ans. L’église a été officiellement consacrée en août 2000. C’est la plus grande église de Russie, elle peut accueillir 10 000 fidèles.

Il est vrai qu’à la fin du XIXe siècle, le temple haut de 105 mètres, dominait, avec les tours du Kremlin, le paysage urbain. Tandis qu’aujourd’hui, il ne peut pas rivaliser avec les nombreux buildings et gratte-ciel qui percent le ciel moscovite.

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La reconstruction à l’identique de la cathédrale marque l’attachement de la patrie à la « Sainte-Russie », la bienveillance du pouvoir politique envers la religion, pour certaines générations la reconstruction du Christ-Sauveur est un acte de repentir de toute une nation. Mais l’opinion publique est hétérogène. Et qu’en pensent mes copains ?

Les opinions sont divergentes.

« À vrai dire, je n’ai pas de sentiments particuliers pour cette cathédrale. C’est une église comme les autres et sa reconstruction ne me dit rien. Mais je suis très heureuse que notre gouvernement s’occupe de la reconstruction des églises, car c’est très important pour la religion. »

« Il ne fallait pas reconstruire la cathédrale du Christ-Sauveur parce qu’on a fait à son emplacement une piscine qui a profané le lieu. La cathédrale aurait dû rester dans la mémoire des Moscovites. Aujourd’hui elle provoque seulement des sentiments tristes. »

« Selon moi, la reconstruction du Christ-Sauveur a pour les Russes une signification particulière. La cathédrale a été construite avec l’argent du peuple en l’honneur de la victoire de 1812. Il fallait restituer la justice historique. »

« Christ-Sauveur est le symbole de la victoire de la Russie sur Napoléon. C’est le symbole de la grandeur et de la puissance de la Russie, c’est le symbole de la foi du peuple russe en ses forces. »

La politique de rénovation critiquée

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La reconstruction des monuments historiques du centre a été réalisée en un temps record. Afin de mobiliser les efforts des urbanistes et des architectes, la municipalité a associé le programme de reconstruction au 850ème anniversaire de la ville célébré en 1997.

La politique de rénovation a suscité de nombreuses critiques. En effet, alors que de nombreux monuments ont été reconstruits, la municipalité n’a pas hésité à en détruire beaucoup d’autres afin de construire des édifices modernes. Quant aux bâtiments historiques qui ont survécu à la période soviétique, seules les façades sont restaurées : on ne se soucie que de donner une « coloration historique » à certains quartiers du centre ville.

Tout au cœur de Moscou un centre commercial a été créé place du Manège, on reconstruit les célèbres hôtels National, Intourist, Moskva, Rossia, un projet sous le nom de Manhattan moscovite – Moskva-City – a été lancé, et on entreprend la rénovation du Bolchoï. La ville continue à changer à une vitesse cosmique...

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Mes copains ne sont pas indifférents aux changements d’aspect de la capitale.

« Reconstruire – oui, mais pas changer. Plusieurs monuments ont besoin de reconstruction parce qu’ils vieillissent, mais il faut tâcher de garder l’atmosphère de la ville, son esprit. »

« Il me semble qu’aujourd’hui Moscou perd son visage. On construit n’importe quels bâtiments n’importe où. Je pense qu’il ne faut pas construire de nouveaux bâtiments dans les quartiers anciens. »

« Le centre historique de Moscou doit être gardé tel qu’il était. Les gratte-ciel c’est pour la banlieue. »

Quelle est l’attitude actuelle des Russes envers leur capitale ? Le Fonds de l’opinion publique a effectué en septembre 2007 un sondage de 1 500 personnes partout en Russie. Les points de vue ne sont pas homogènes. 43 % des Moscovites pensent que Moscou incarne tout ce qu’il y a de meilleur en Russie. Cet avis est partagé par 22 % des habitants des autres régions de la Russie.

Pour d’autres, Moscou est tout simplement une grande ville. C’est l’avis de 54 % des Moscovites et de 69 % des habitants des autres régions.

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36 % des Moscovites déclarent que leur ville éveille en eux des émotions positives, 35 % avouent qu’ils n’éprouvent aucune émotion vis-à-vis de la capitale, et 20 % d’entre eux ressentent un sentiment négatif. Ces chiffres doivent être analysés par les autorités de la ville.

Et nous autres, nés en 1991, quelle est notre attitude envers la capitale ? Nous l’aimons bien. Nous lui trouvons mille facettes, et chacun de nous a ses lieux préférés. Cette ville immense est notre petite patrie.

« La place Rouge est toujours très belle, en hiver comme en été. Je ne me lasserai jamais de m’y promener et de l’admirer. »

« J’aime beaucoup Vorobiovy gory. Là, l’ambiance est magique. On se sent loin de Moscou et en même temps une belle vue s’ouvre sur la capitale qui est comme à tes pieds. »

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« Je ne peux pas dire que j’aime des endroits concrets. J’aime flâner dans les ruelles, découvrir des lieux que je ne connais pas encore. »

« J’aime avant tout Tchistyïé proudy parce que j’ai beaucoup de sentiments liés à ce lieu, mais j’aime aussi les rues du vieux centre de Moscou, parce qu’y règne une ambiance historique mystérieuse. On imagine les équipages, les femmes habillées de belles robes, les événements des temps passés. »

« Je me promène souvent au parc de la Victoire, car il est tout près de chez moi. On dirait que ce lieu est toujours orné. En été il y a beaucoup de fleurs, en hiver il est joliment éclairé. »

« J’aime le parc Sokolniki. C’est un des parcs où l’on peut trouver encore la nature vivante, par exemple, les écureuils. C’est un lieu calme qui n’est pas touché par la civilisation de la grande ville. »

« Moscou c’est ma ville natale, la ville où je suis née et où je vis. J’aime bien l’atmosphère de ma ville, je m’y sens bien. Je l’aime à chaque minute de ma vie. Je suis fascinée par la beauté de l’Université Bauman, surtout le soir quand, en rentrant de mes cours, j’admire ses éclairages. Mais j’adore aussi la cour calme de ma maison avec ses arbres. Il me semble que Moscou est si différente que chacun peut facilement trouver un coin où il se sentira bien. »

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