Univers du français
Elena LVOVA
Le septième art à la limite des deux époques
En URSS, le cinéma, considéré comme le plus important des arts, remplissait un rôle éducatif. Des réalisations du cinéma soviétique étaient mondialement reconnues.
Après la chute de l’URSS, le cinéma russe a connu de graves problèmes. À partir de 1991, la production de films a chuté de 375 films par an à 20 films. La Russie s’est trouvée à un niveau considérablement plus bas que l’Occident, en y puisant essentiellement ce qui s’y faisait de pire.
La période de 1991 à 1996 est un abîme qui sépare le passé glorieux du cinéma soviétique de son futur incertain. Le seul événement remarquable a été un Oscar décerné au film de Nikita Mikhalkov Soleil trompeur (1995). Ce film a reçu également le Grand prix du 47ème festival de Cannes, mais n’y a pas décroché la Palme d’or, ce qui a été qualifié par son metteur en scène de grand échec pour le cinéma russe.
Selon le directeur général du consortium cinématographique « Mosfilm » Karen Chakhnazarov, le niveau du cinéma russe reflète le niveau culturel de son public et aujourd’hui, on constate, malheureusement, sa dégradation. La mondialisation est un rouleau compresseur de la culture qui détruit toute l’individualité humaine. Bien sûr, il existe un public raffiné, mais il est extrêmement restreint.
Mon sondage auprès des copains montre qu’ils préfèrent le cinéma au théâtre. L’explication est évidente : les billets sont moins chers. Quant au choix du film à voir, c’est Internet et la publicité qui le détermine. Les copains aiment bien les films de l’époque soviétique, notamment les comédies de Gaïdaï et Riazanov.
« Ces films ne ressemblent point aux films étrangers, ils reflètent les valeurs russes. Quant aux films russes contemporains, ils imitent trop les films américains. »
« Je regarde plutôt des films qui font rire, parce que la vie est dure, je préfère m’amuser, oublier mes propres problèmes et ne pas me plonger dans les problèmes des autres. »
Nous espérons qu’avec la stabilisation politique et la croissance économique, l’industrie cinématographique russe prendra son essor. Il y en a des indices.
Parmi les films parus ces derniers temps, celui du réalisateur Pavel Lounguine L’Île (2006) mérite d’être cité. Humble, priant sans cesse le Seigneur d’avoir pitié de lui, de le purifier, de ne pas l’abandonner, Anatoli a un secret. à 17 ans, il a tué un compatriote pendant la Seconde Guerre mondiale, sous la contrainte des SS (scène filmée comme un cauchemar, où l’on ne voit pas les visages). Il est depuis miné par la culpabilité, se considère indigne de l’intérêt qu’il suscite. Voué à la prière, mi-fou mi-illuminé, il s’est imposé cette sorte d’emprisonnement pour faire acte de repentance et implorer un pardon pour pouvoir mourir en paix. Cet halluciné est interprété avec charisme par Piotr Mamonov, ex-chanteur rock, touché par la grâce comme son personnage. Lounguine confie qu’il n’aurait pas tourné le film sans lui.
« On a envie de réfléchir après avoir vu ce film. »
« L’acteur qui joue le rôle d’Anatoli (Pyotr Mamonov) est extraordinaire. Il semble que son jeu dans ce film c’est une prière continue. »
« Le succès du film est une preuve du fait que notre société ressent le besoin de réfléchir sur l’éternité, le péché et la conscience. »
« Il paraît que le film parle de la foi, mais pour moi c’est avant tout un film sur l’homme qui porte la croix de sa faute. »
En mai 2007, deux films russes étaient en compétition pour la Palme d’or au festival de Cannes. Cette invitation traduit une attention soutenue pour le cinéma russe. La Russie a été présentée à Cannes par Alexandra d’Alexandre Sokourov et Le Bannissement d’Andreï Zviaguintsev.
Le film de Nikita Mikhalkov 12 a été accueilli avec enthousiasme par les cinéastes européens. Il a remporté le Lion d’or au Festival du film à Venise.
Dans ce film 12 jurés examinent le dossier d’un jeune homme qui avait tué son père. Un personnage ayant mis en doute la culpabilité de l’accusé détruit la certitude des autres. L’action se déroule dans la Russie d’aujourd’hui, le jeune homme est Tchétchène et son père adoptif est un officier russe. « Malgré la dureté du sujet ayant des composantes d’un thriller psychologique, dit Nikita Mikhalkov, c’est un film consacré aux finesses que nous passons sous silence, c’est l’un de mes films les plus sincères».
Souhaitons du succès au cinéma russe, ce septième art, si aimé dans notre pays !