Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №13/2008

Arts et culture

Jeannine BURNY

« Le jour s’en va toujours trop tôt »
Sur les pas de Maurice Carême

(Suite. Voir N°10, 11/2008)

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En 1963, Maurice décida de réaliser les traductions des poètes néerlandais et de les publier.

« À mes amis de France, si incrédules lorsque je leur parle de la valeur des œuvres d’un Gezelle, d’un van de Wœstijne, d’un van Ostayen, je veux prouver qu’ils sont d’aussi grands poètes que Verlaine, Baudelaire ou Apollinaire. »

Il fallait donner en français l’équivalent du poème dans sa langue originale. C’était une gageure. La langue française est précise, intellectuelle, stricte quant à sa forme ; la langue flamande, au contraire, est souple, vivante, elle permet les néologismes et se plie à la fantaisie de celui qui l’emploie. La langue française a un besoin essentiel d’architecture qu’elle l’édifie ou non à l’aide de la rime ou de l’assonance – la langue flamande est naturellement sonore et rythmée, elle se passe de rimes et souvent d’architecture apparente.

Comment concilier tant de divergences et donner aux lecteurs fran­çais, qui n’ont aucune connaissance de la langue néerlandaise, une idée de la beauté des poèmes de la Flandre ?

Ce ne fut qu’en 1967, quatre ans plus tard, que nous pûmes enfin réunir cent septante poèmes. Maurice avait traduit quatre-vingt-trois poètes de Flandre. Il fut décidé de les publier en une présentation bilingue.

Lors des dernières mises au point, Maurice s’aperçut d’une chose surprenante : plus le poème traduit semblait avoir été écrit directement en français, plus il se rapprochait de l’original néerlandais.

« Comment expliquer cela ? » remarqua-t-il.

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En 1965, Maurice reçut un jour un appel téléphonique du peintre Henri-Victor Wolvens.

– Maurice Carême ? lui demanda-t-il. Je viens de lire votre recueil Mère chez un ami. Je rêve depuis longtemps de faire un album de luxe sur la mer du Nord avec des dessins et des poèmes. Ce poète que je cherche, Monsieur, c’est vous !

Maurice eut beau se récrier, affirmer qu’il était un homme de la terre et non de la mer, rien n’y fit.

– Je suis persuadé, cher ami Carême, que vous êtes le seul à réussir l’œuvre dont je rêve. Trente poèmes suffiraient. Pourquoi ne pas essayer ?

– La mer n’est pas mon univers, répéta Maurice. Je n’ai jamais pu écrire sans inspiration.

Wolvens continuait à écrire, à téléphoner, à inviter chez lui. Cela durait longtemps.

– C’est stupide, me dit un jour Maurice. Un grand peintre me supplie depuis des mois de faire avec lui un album de grand luxe, et je refuse. Apporte-moi des feuilles et un crayon.

Il se mit à écrire. Ayant terminé le poème, Maurice prit le combiné du téléphone et lut les vers à Wolvens.

– C’est ce que je voulais, s’écria celui-ci au comble de l’enthousiasme. Préparez votre valise. Je vous installe ce soir dans mon appartement de Coxyde. Il est situé en face de la mer. Du quatrième étage, on ne voit, à marée haute, ni la digue ni la plage. Vous auriez l’impression d’être dans un navire glissant sur les eaux.

Maurice resta le mois de mai 1966 à la côte. Il écrivit plusieurs poèmes sur la mer, parus dans le recueil Mer du Nord.

Le Cheval

Et le cheval longea ma page.
Il était seul, sans cavalier,
Mais je venais de dessiner
Une mer immense et sa plage.

Comment aurais-je pu savoir
D’où il venait, où il allait ?
Il était grand, il était noir,
Il ombrait ce que j’écrivais.

J’aurais pourtant dû deviner
Qu’il ne fallait pas l’appeler.
Il tourna lentement la tête

Et, comme s’il avait eu peur
Que je lise en son cœur de bête,
Il redevint simple blancheur.

En 1969, nous séjournâmes à Reims, puis à Château-Thierry. Maurice désirait visiter la maison de Jean de La Fontaine. Il avait une véritable passion pour l’œuvre du grand fabuliste. « On dirait – tant c’est simple – qu’il s’agit de prose, remarquait-il, ce n’est qu’un leurre. C’est la poésie, la vraie, celle que le temps ne peut altérer. » La Fontaine allait demeurer un de ses maîtres à penser.

La maison de Jean de La Fontaine a été bâtie au dix-septième siècle. Un escalier en fer à cheval mène à la porte d’entrée. Les pièces aména­gées avec goût rassemblent une foule de souvenirs : éditions ancien­nes, collections d’assiettes où sont présentés les personnages des fables les plus célèbres. Un jour, nous allâmes à la Ferme Renard. Elle était située dans la campagne environnant la ville de Château-Thierry. Malgré son état de délabrement, elle a gardé l’aspect que lui a connu La Fontaine. Ses fonctions de maître des Eaux et Forêts l’avaient amené à en faire sa résidence.

La Ferme de La Fontaine

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La ferme se cachait
Loin derrière le bois.
Les grands loups d’autrefois
Y venaient quelquefois.

Celui qui l’habitait
Ne les dérangeait pas.
Ils venaient, s’en allaient,
Hurlaient au temps des rois.

Et il arrivait même
Que, du seuil, il parlât
À ces bêtes bohèmes
Heureuses d’être là.
Et elles lui contaient
De curieuses histoires
De lièvres, de renards,
De rats et de mulets.

Hélas ! qui maintenant
Écouterait encore
Ne fût-ce que le vent
Parler au merle d’or ?

La ferme tombe en ruines.
Les loups d’antan sont morts.
Et, seul, le son du cor
Déchire ici la bruine.

Au long des années, Maurice avait étudié, comparé les religions et les sagesses du monde. Il s’était forgé une philosophie originale basée sur l’amour, la bonté et la tolérance. Elle était devenue la source de son inspiration. Maurice croyait en une force supérieure qui dépassait la compréhen­sion des hommes. C’est cette force qu’il appelait Dieu. « S’il y a un Dieu, il est le même pour tous », remarquait-il.

S’il lui fallait conserver un seul livre de son immense bibliothèque, il choisirait sans hésiter les Évangiles. « Quelle puissance de poésie et de sagesse se trouve réunie dans ces textes vieux de près de deux mille ans », se plaisait-il à répéter. Mais il ne concevait de christianisme véritable qu’œcuménique, ouvert aux autres religions du monde. « La lumière est si vive pour chaque religion qu’elle empêche de voir les autres lumières aussi vives qu’elle. » Et souriant de ces discussions entre religieux, il concluait : « Ils oublient l’essentiel. Toutes les religions sont dans la vérité. Du moment qu’elles amènent l’homme à se dépasser, à être meilleur qu’il ne serait sans la foi, à être tolérant et à respecter ceux qui ne pensent pas comme lui. »

Les Fleurs du mal

Les Fleurs du mal sont affichées
Sur la façade de l’église.
Que de gloire, de joies promises
Même à ceux qu’on croyait damnés !

Notre ère étrange ne s’effare
Plus de rien. Le Christ ne revient
Plus qu’en homme à peine bizarre
Dans des films qui se portent bien.

Le démon mange aux mêmes tables
Que l’ange dans les grands hôtels.
Il n’attise plus qu’aux retables
Le brasier du feu éternel.

« Montaigne, frappé par le manque de maturité de ses contemporains, le serait-il moins aujourd’hui, se demandait Maurice. Tant d’êtres vivent pour acquérir des richesses matérielles ! Peu ont en eux la qualité de silence nécessaire à la vie intérieure. Nier la spiritualité de l’homme comme le font certains philosophes du vingtième siècle est une aberration. L’être humain a plus que jamais besoin de retrouver le sens du sacré. L’enfer, le démon ne sont ni des lieux ni des êtres, mais des états dans lesquels on se met par manque d’amour. »

Dans le bois de la Vierge, à Villers, nous avions trouvé un véritable nid. On ne nous voyait de nulle part. C’est là qu’il écrivit la Prière du poète.

J’avais emporté La Citadelle d’Antoine de Saint-Exupéry. Je lisais un passage si beau que je ne pus m’empêcher d’interrompre Maurice. Il avait déjà commencé le poème.

– Écoute, lui dis-je, c’est admirable !

Quelques instants plus tard, il m’appela et me montra les vers suivants.

Prière du poète

Je ne sais ni bêcher, ni herser, ni faucher,
Et je mange le pain que d’autres ont semé.
Mais tout ce que l’on peut moissonner de douceur,
Je l’ai semé, Seigneur.

Je ne sais ni dresser un mur de bonne pierre,
Ni couler une vitre où se prend la lumière.
Mais tout ce qu’on peut bâtir sur le bonheur,
Je l’ai bâti, Seigneur.

Je ne sais travailler ni la soie ni la laine,
Ni tresser en panier le jonc de la fontaine.
Mais ce qu’on peut tisser pour habiller le cœur,
Je l’ai tissé, Seigneur.

Je ne sais ni jouer de vieux airs populaires,
Ni même retenir par cœur une prière.
Mais ce qu’on peut chanter pour se sentir meilleur,
Je l’ai chanté, Seigneur.

Ma vie s’est répandue en accords à vos pieds,
L’humble enfant que je fus est enfant demeuré,
Et le peu qu’un enfant donne dans sa candeur,
Je vous l’offre, Seigneur.

Je restai confondue. Il venait de transposer le passage que je venais de lui lire.

Maurice Carême écrivit son dernier poème le 25 décembre 1977. Au-dessus, il nota : « Pour Jeannine, pour la veille de Noël. »

On dansa la ronde

On dansa la ronde.
Jean se mit à rire
En voyant son ombre
Aller et venir.

On chanta Ma blonde,
Luc se mit à rire.
Aucune en la ronde
N’était vraiment blonde.

La ronde cessa.
Et fini de rire.
On se dispersa
En attendant pire.

On allait grandir.
Et adieu les rondes !
On allait souffrir
Comme tous au monde.

(La publication est préparée par Maria RIVES.)

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