Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №15/2008

Les Routes de l’Histoire

Serge KHAVIN

La peinture de la Grande Guerre (1914-1918)

En 1914, les artistes, comme tous leurs concitoyens, sont mobilisés, envoyés en première ligne et confrontés aux horreurs de la guerre. Français, Anglais, Russes, Allemands, ils sont appelés sous les drapeaux. Ces artistes sont : Georges Braque, Fernand Léger, Otto Dix, Pierre Bonnard, Maurice Denis et d’autres… Fernand Léger et Ossip Zadkine deviennent brancardiers, Oskar Kokoschka cavalier, Derain artilleur. Seuls les citoyens des pays neutres – Picasso et Gris parce qu’Espagnols – en sont épargnés1. Certes, aucun de ces artistes n’aurait imaginé une guerre aussi sanglante, dans laquelle non seulement leur chair et leur moral seraient mis à rude épreuve, mais également leur art. La guerre impose aux artistes un nouveau régime : peindre ce qui est laid. Tout ce qui les entoure est laid. La guerre héroïque a cédé la place à des soldats enterrés dans les tranchées ou enfoncés dans la boue, à des corps déchiquetés par les éclats d’obus, souffrant des gaz et piétinés par les chars.

Portrait du soldat, paysages de ruines, vie quotidienne

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Édouard Vuillard, Interrogatoire
d'un prisonnier, 1917

Les artistes dessinent et peignent ce qu’ils vivent et ce qu’ils voient. Dès carnets de croquis où ils crayonnent en première ligne aux toiles exécutées à leur retour à l’arrière, ils laissent des témoignages intenses et justes : les portraits des soldats, les paysages de ruines ou les scènes de la vie quotidienne dans les tranchées. Très peu d’œuvres reflètent la violence des combats, la force de destruction des armes, la cruauté du corps à corps... Ces œuvres sont soit oubliées, soit peu étudiées, car elles rappelaient des souvenirs cruels et ont été peu regardées aussitôt la guerre achevée. Leurs auteurs n’ont pas cherché à les montrer, tel Fernand Léger qui, dès sa démobilisation, a peint la vie contemporaine.

Le silence des peintres

Parmi les peintres mobilisés figurent Braque et Derain qui quittent ensemble la gare d’Avignon le 2 août 1914 pour rejoindre leurs régiments, Pablo Picasso les accompagne. Braque participe aux combats. Il est grièvement blessé le 11 mai 1915, trépané, longtemps convalescent, et ne retrouve son atelier qu’un an plus tard. Mais il ne laisse pas un dessin, pas une toile qui fasse allusion à la guerre. La représentation de la guerre est absente de son œuvre.

André Derain est versé dans l’artillerie et sert en Champagne, à Verdun, sur la Somme, sur le Chemin des Dames jusqu’en 1917. Il n’est démobilisé qu’après l’armistice. De cette période de cinq ans, il ne reste pas un croquis, tout juste le titre d’une toile, le Cabaret du front, qu’André Breton a vu dans l’atelier de Derain en 1921, mais qui a disparu ensuite, probablement elle était détruite.

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Maurice Denis, Soirée calme
en première ligne, 1917

Nombre des peintres qui ont produit dans les tranchées, affirment leur impuissance à peindre la réalité. Peut-on parler d’un blocage artistique ? N’ont-ils pas su adapter les règles artistiques d’avant-guerre à la réalité du temps présent, surmonter leur dégoût, les souffrances et la peur pour raconter cette Grande Guerre ? Ou bien, les sujets de tableaux leur manquaient-ils ? « La bataille moderne, écrit l’essayiste, Robert de la Sizeranne , fait beaucoup pour les écrivains, psychologues, poètes, auteurs dramatiques, elle ne fait rien pour les peintres. Le trait saillant de cette guerre, avec la tranchée et la mitrailleuse, c’est l’action du canon et des autres machines : avions, tanks, sous-marins, torpilles. Il n’y a donc pas là de sujet de tableau. »2

La peinture contre la photographie : un combat inégal

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Félix Vallotton, Le cimetière de Châlons-sur-Marne, 1917

Si André Derain ne continue pas Le Cabaret du front ou le détruit, il photographie dans les tranchées à partir de juillet 1916. Il écrit à sa mère : « L’appareil que tu m’as envoyé marche extrêmement bien. J’ai des résultats merveilleux. »3

Eh oui, c’est la photographie en plein essor qui s’impose et qui s’empare à la guerre, étalant dans les journaux la violence du feu. Des centaines de milliers de photos sont prises au cours de la Grande Guerre. Pour un public il est beaucoup plus intéressant de voir sur un cliché ou sur l’écran la « vraie guerre », celle où l’on peut apercevoir un cadavre déchiqueté, accroché dans les barbelés et dévoré par les rats, que de contempler Les Chevaux dans le cantonnement (1915) de Fernand Léger et de son cubisme ! Les journaux abondent en clichés, œuvres tantôt des photographes officiels, tantôt des soldats eux-mêmes qui, en dépit des interdictions, vont en première ligne avec leurs appareils et prennent des risques pour obtenir la photo la plus éloquente, la plus spectaculaire ou la plus terrible. Est-ce la fin de la peinture ? Bien sûr que non.

La guerre moderne doit être peinte de manière moderne

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Félix Vallotton, L'église de Souain en silhouette, 1917

Les artistes des avant-gardes européennes comprennent que la guerre doit être peinte de manière moderne et s’appliquent à trouver des moyens nouveaux adaptés à la nouvelle et monstrueuse réalité. Le temps du réalisme héroïque et des allégories patriotiques n’est plus. À l’explosion des obus, à la toute-puissance de l’artillerie, aux nuages des gaz mortels, à la guerre totale, il faut que les lignes se brisent, que les couleurs éclatent pour donner à sentir la violence inhumaine du combat. Ces moyens sont, pour la plupart ceux du cubisme, du futurisme, de l’expressionnisme, de l’abstraction.




Quelques notes personnalisées sur les artistes de la Grande Guerre

Pierre Bonnard (1867-1947), France

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Pierre Bonnard, Un village en ruines
près de Ham, 1917

Il fait partie du groupe des peintres qui ont reçu mission à la fin de 1916 d’aller peindre la guerre. La tâche semble très éloignée de ce que l’artiste faisait auparavant, inspiré en général par les nus et les scènes d’intérieur. Le résultat de cette mission est une seule toile restée non-achevée, où sont rassemblées les ruines des maisons calcinées, l’image de désolation et de misère – le vieillard accroupi et la voiture de la Croix-Rouge à l’arrière-plan. Cette situation s’explique par la distance entre son inspiration artistique et le sujet, malgré quoi certes la guerre n’a pas pu le laisser indifférent.




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Marc CHAGALL, The Salute, 1914

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Fernand Léger, La Partie de cartes, 1917

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Ossip Zadkine, Loude, 1916

Maurice Denis (1870-1943), France

L’artiste est envoyé en 1917 par l’État-Majeur sur le front afin d’en rapporter les tableaux. Lui aussi s’acquitte de cette mission à son retour en exécutant la Soirée calme en première ligne. Denis par contre refuse toute référence au tragique, laissant dominer son tableau par les couleurs claires et les sujets calmes qui lui sont déjà esthétiquement habituels.

Édouard Vuillard (1868-1940), France

Le peintre est comme Bonnard et Denis invité à se rendre dans les tranchées en hiver 1917. Malgré son passé dans le groupe des Nabis4 il se présente plus sensible à la misère humaine que Denis ou même Bonnard qui ont aussi fait partie de ce groupe avant la guerre. D’où le sujet de L’Interrogatoire d’un prisonnier – le fruit de son séjour sur le front dans la région des Vosges. Le tableau est marqué par sa froideur, malgré le poêle allumé placé au centre de l’ouvrage.

Felix Vallotton (1865-1925), Belgique

Le voyage de Vallotton en Champagne et en Argonne a donné plusieurs tableaux marqués par le sentiment d’omniprésence de la mort. D’où Le Cimetière de Châlons-sur-Marne, dominé par les croix en bois, de couronnes et les palmes les décorant. L’absence de nom lisible sur la croix fait penser au soldat inconnu, la symbolique devenue officielle après la guerre.

Fernand Léger (1881-1955), France

Engagé comme brancardier, Léger a fait Verdun et Argonne deux lieux des batailles acharnées de la Grande Guerre, puis blessé, il a passé plusieurs mois à l’hôpital près de Paris. Son œuvre représente différents aspects de la guerre. Tout en restant fidèle à son esthétique cubiste, l’artiste a fait plusieurs peintures et beaucoup de dessins, représentant les avions, les chars et les gaz de combat, le quotidien des tranchées et les destructions des machines et des hommes.

En mai 1915 il écrit à un ami : « Cette guerre-là, c’est l’orchestration parfaite de tous les moyens de tuer, anciens et modernes. C’est linéaire et sec comme un problème de géométrie. Tant d’obus en tant de temps sur une telle surface, tant d’hommes par mètre et à l’heure fixe en ordre. Tout cela se déclenche mécaniquement. C’est l’abstraction pure, plus pure que la peinture cubiste5. » Léger figure des hommes-robots déshumanisés, serviteurs de machines qui les écrasent. Il relève les formes éboulées des ruines et les lignes brisées d’un avion abattu.

Les soldats de Léger sont pratiquement sans visages et peuvent être distingués seulement par leurs décorations et les signes de leur grade. L’image d’homme-machine deviendra son idée fixe dans les années qui suivent.

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Pablo Picasso, Guillaume
de Kostrowitzky, artilleur, 1914

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Otto Dix, Autoportrait en soldat, 1914

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Otto Dix, Crâne, 1924

Pablo Picasso (1881-1973), Espagne

Tandis que l’artiste reste à l’écart de la mobilisation grâce à sa nationalité espagnole, il ne peut pas ne pas rendre hommage à son ami poète Guillaume Apollinaire, qui s’engage en 1914 dans l’artillerie et grièvement blessé à la tête, meurt en 1918. Les deux portraits d’Apollinaire montrent avant tout l’amitié, dont les deux hommes sont liés depuis une dizaine d’années avant la guerre, et l’admiration que porte Picasso au courage de son ami. Ces deux portraits représentent Apollinaire à deux ans d’intervalle : le premier – sabre au clair et le deuxième – blessé, mais en uniforme, décoré de la Croix de Guerre. Si le premier est un peu ironique, le deuxième montre le sérieux des carnages dus à la guerre.

Georges Braque (1882-1963), France

Mobilisé en 1915 ce grand maître cubiste est blessé à la tête, trépané et recommence à peindre seulement en 1917. Profondément choqué par les horreurs de la guerre il ne laisse pratiquement pas de traces de cette dernière dans ses œuvres. Il reste un des artistes, qui ont gardé le silence sur la réalité des tranchées.

Marc Chagall (1887-1985), Russie

L’artiste ne participe pas à la guerre, car rentré en Russie en 1914 il y reste bloqué par les hostilités et ne peut pas revenir en France. Mais il exécute toute une série de dessins à l’encre représentant les scènes de la mobilisation, du départ, du deuil et des blessures. Dans ces dessins il s’écarte des images d’enfance de son art d’avant– guerre et durcit son style, qui le rapproche un peu des expressionnistes allemands.

Ossip Zadkine (1890-1967), France

Ami de Modigliani, l’artiste s’engage dans l’armée française en 1916 comme brancardier. Il est gazé la même année. Avant sa blessure et lors de sa convalescence il dessine beaucoup. Les images de son quotidien : les blessés sur les civières, les tentes, les voitures de la Croix Rouge, les mutilés font sa chronique de l’époque. Ses croquis sont marqués par les traits cubistes et ne sont que sa vision de la guerre sans pathétique, ni horreurs soulignées.

Otto Dix (1891-1969), Allemagne

Mobilisé dès le début de la guerre dans l’armée allemande le peintre passe son service en première ligne. Il réalise plusieurs ouvrages montrant les ravages que la guerre a produits en soldats. Il exécute, lorsqu’il est soldat, toutes sortes de croquis, mais il ne réalise ses grands tableaux sur le sujet qu’après 1918. L’artiste veut à tout prix éviter de montrer le caractère héroïque du front pour ne pas se laisser répandre les mythes sur la guerre moderne.

Pour traduire ses visions cauchemardesques de la guerre, Otto Dix y recourt avec une intensité exceptionnelle. Avec Dix, la peinture de guerre est totalement vulgaire. La série de 50 gravures intitulée La Guerre et réalisée par Dix en 1924, montre le pouvoir de destruction inégalée que la guerre produit sur les êtres humains à travers les corps mutilés et détruits gisant à l’état des squelettes dans des paysages apocalyptiques. Rien n’y fait place au symbolisme. Rien n’est sous-entendu. L’horreur de l’hécatombe est peinte sous ses vrais traits. Au moment où Dix exécute cette œuvre, il y a un certain temps que la guerre est terminée, mais le souvenir de quatre années d’horreur se sent encore dans son coup de pinceau et de plume. Un cadavre gît encore avec son masque à gaz au visage, ses compagnons passent à côté de lui avec une indifférence totale.

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George Grosz, Explosion, 1917

George Grosz (1893-1959), Allemagne

Engagé en 1914, l’artiste, par la multitude de ces croquis et gouaches, fait le procès-verbal de l’épouvante de la guerre. Des cadavres abandonnés, les trous d’obus lacérant la terre, les visions atroces des combats le hantent, et même après la guerre, il reste profondément marqué par ces visions. L’esthétique expressionniste, que Grosz commence à développer encore avant la guerre, lui est utile pour documenter ses impressions d’épouvante du conflit.



Max Beckmann (1884-1950), Allemagne

Parti volontaire dans le service de santé en 1914, il est démobilisé en 1915 suite à une dépression grave. Ses images de guerre, surtout une série des gravures L’Enfer, utilise la déformation afin de convertir son expérience militaire en un défi. Déguisé en clown l’artiste montre les misères, que connaît son pays pendant la guerre, comme les hallucinations sans limites.


1 Jusqu’alors, à de très rares exceptions près, les artistes et les écrivains assistent aux guerres mais n’y participent pas. En 1914, pour la première fois, ils sont forcés d’y participer.

2 Robert de la Sizeranne, L’Art pendant la guerre, 1914-1918.

3 André Derain, Lettres à Vlaminck, suivies de la Correspondance de guerre.

4 Nom adopté par de jeunes peintres indépendants qui voulaient s’affranchir de l’enseignement officiel (1888).

5 Fernand Léger, Une correspondance de guerre.

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