Arts et culture
Les métamorphoses de Soljénitsyne
Trois livres du Prix Nobel paraissent simultanément en France. Ce sont Aime la Révolution !, Réflexions sur la révolution de Février et Une minute par jour. Chroniques.
Alexandre Soljénitsyne est né en 1918. Condamné aux travaux forcés en 1945 pour « activités contre-révolutionnaires », il se fait connaître, en 1962, grâce à Une journée d’Ivan Denissovitch. Ses romans Le Premier Cercle, Le Pavillon des cancéreux et son livre historique, La Roue rouge, sont interdits en URSS. Prix Nobel de littérature en 1970, il est expulsé de son pays en 1974, après avoir publié en Occident L’Archipel du Goulag. Il retournera en Russie en 1994.
Le personnage qui s’appelle Nerjine est un alter ego de l’écrivain, qui l’a suivi dans presque toute son œuvre. C’est lui le héros du roman inachevé Aime la Révolution ! publié à Moscou en 1997, en français aujourd’hui. Il a été écrit à Marfino, la prison laboratoire où se passe l’action du Premier Cercle. C’est un roman d’apprentissage de la vie. L’étudiant maigrichon a eu un mois d’enseignement avant d’être mobilisé, alors qu’il brûle de périr à la « Guerre révolutionnaire » qui apportera au reste de la planète le régime parfait que la Russie a inventé. Mais l’apprentissage de ce jeune homme sincère et idéaliste se fait par à-coups rapides. La Révolution n’est pas si facile que ça à aimer !
L’apprentissage, ce sont les dialogues avec le couple des Diomidov, qui ont connu les camps, et savent comment fonctionne le grand hachoir humain, c’est l’arbitraire grossier de la police, c’est la haine des femmes cosaques pour les rouges qui viennent tout piller... Et, par-dessus tout, c’est la découverte du peuple fataliste, cruel, parfois tendre, – Nerjine découvre et la férocité de ce peuple, et son éternelle sagesse. Aime la Révolution ! est un vers de Boris Lavreniov, un des romantiques bolcheviques des années 1920. Pris comme titre, il dit le mélange d’amour et d’ironie.
Gleb était un rêveur aux pieds légers, le voici entravé par la découverte de la violence, apercevant l’immensité de l’Archipel en un soir. Ce roman, est un livre captivant. Même son aspect inachevé lui confère du mystère.
Réflexions sur la révollution de Février a été publié pour le 90ème anniversaire de la révolution de février 1917. Les conclusions sont sèches, parfois contradictoires : Nicolas II, trop préoccupé de sa famille, n’a pas su réprimer une révolte qui n’avait pas de racines dans le pays profond. Thèse centrale : l’athéisme, la perte de la foi ont ruiné la résistance morale de la Russie, plus sainte du tout...
En somme, Février 1917 a été une « syncope » de la nation, et il faut à tout prix lui éviter de rechuter... Mais comment l’éviter ? Une minute par jour donne une réponse : ce sont les interventions télévisées de l’écrivain entre avril et septembre 1995. Premièrement, écouter les humiliés et les offensés, deuxièmement, revenir aux traditions du gouvernement local d’autrefois, le zemstvo, et puis aussi s’inspirer de la fermeté morale des vieux croyants. Il y a chez l’écrivain un culte du zemstvo qui va au-delà de cette réforme que la Russie doit à Alexandre II. Il croit que le zemstvo est la voie russe vers la démocratie.
(d’après la PRESSE FRANÇAISE)