Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №18/2008

Arts et culture

Cet étonnant Serge Gainsbourg...

« J’ai mis un masque de cynique que je n’arrive plus à retirer. »
Serge Gainsbourg

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Avec Juliete Gréco

À partir de mars 1957, il commence à chanter tous les soirs au cabaret Milord l’Arsouille où il est pianiste d’ambiance. C’est une sorte de salon dont la chanteuse est Michèle Arnaud. C’est par hasard que Michèle Arnaud découvre en ce Serge gauche et nerveux un talent hors pair, un être rare, une trouvaille sans prix. C’est elle qui l’incite à interpréter son propre répertoire au même cabaret. Elle sera d’ailleurs sa première interprète en enregistrant, dès 1958, les titres : La Recette de l’amour fou, Douze belles dans la peau, Jeunes femmes et vieux messieurs et La Femme des uns sous le corps des autres.

C’est là, qu’il compose de nombreuses chansons et même une revue1, fait ses premiers pas de chanteur. C’est son début en tant qu’interprète de ses propres chansons. Et ça ne marche pas très bien. La timidité maladive de Gainsbourg, ses textes trop osés et trop noirs, son attitude dédaigneuse dérangent… Et le public et les critiques ne l’apprécient pas… Pour l’instant…

Gainsbourg se situe musicalement d’abord dans la sphère du swing et du jazz et moque les yé-yé2 :

Au temps des yoyos
Déjà je t’aimais
Je t’aime encore au-
Tant et tu le sais
Le temps des yoyos
Nous aura bercé
Voici au berceau
Le temps des yé-yé...
(Le Temps des yoyos) 

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Michèle Arnaud

Peu à peu, il perçoit tout ce qu’il peut tirer de cette musique qu’on appelle rock’n’roll. Il doit gagner la génération rock’n’roll. « La nouvelle vague, je dirai d’abord que c’est moi, affirme-t-il. Nouvelle vague veut dire qui est à l’avant-garde de la chanson. La chanson française n’est pas morte, elle doit aller de l’avant et ne pas être à la remorque de l’Amérique. Et prendre des termes modernes. Dans la vie moderne, il y a tout un langage à inventer. Un langage autant musical que de mots. La chanson française est à faire. »

Il accepte d’ailleurs tout ce que lui propose la vie : un engagement au Théâtre de l’Étoile, en lever de rideau d’Yves Montand, une tournée provinciale en première partie de Jacques Brel, de Juliette Gréco, des émissions de télévision « Avec le sourire », « Mardi Gras », « Toute la chanson », « Ni figue ni raisin » et « Discorama ». Son physique peu avantageux et ses propos très directs lui valent des débuts difficiles dans le monde de la chanson. Le public le rejette et les critiques cruels se moquent de ses grandes oreilles et de son grand nez. Mais il n’a pas le choix. Il doit réussir, coûte que coûte. Il n’a pas le droit de décevoir son père…

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Alors, les cheveux s’allongent, il porte des chaussures deux tons, chemises de soie, cravates austères. L’interprète complexé adopte tout un équipement de dandy, poseur3 et nerveux, qui veut passer pour quelqu’un de dur, de cynique afin de cacher sa sensibilité et sa fragilité. Volontiers provocateur, Serge Gainsbourg est aussi malade d’angoisse en public. Comme il le dira dans une interview à la télévision suisse en 1968 : « J’ai mis un masque de cynique que je n’arrive plus à retirer. » Porter un masque, c’est un jeu dangereux, lourd de conséquences. Le réalise-t-il vraiment ? « Tout jeune garçon, j’étais timide et romantique. Je ne suis devenu cynique qu’au contact de mes prochains, qui m’agressent sur ma laideur et sur ma franchise. On me dit que je suis laid, bon, d’accord, je le sais, je m’en fous. »

Quoi qu’il en soit, son objectif est de montrer au monde de la musique avec quel brio il sait passer de la variété au rock, sans perdre son propre style. Les dés sont jetés, mais la route du succès est longue.

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En 1959, Serge Gainsbourg obtient son premier rôle au cinéma dans Voulez-vous danser avec moi ? Pendant toute sa vie, il gardera un lien étroit avec le cinéma : il va tourner dans une quinzaine de films et composer de nombreuses bandes originales. Il lui faut cependant attendre 1960 pour qu’il obtienne son premier succès avec L’Eau à la bouche.

Gainsbourg n’en continue pas moins à être un auteur de chansons recherchées. « Personnellement, je ne suis capable d’aucun compromis, mais pour les autres, ça m’est égal, je fais ce qui leur convient », avouera-t-il. Il travaille donc pour les autres et élargit le cercle de ses interprètes. Et enregistre des disques dans les studios. En 1961, son album L’Étonnant Serge Gainsbourg fait une grande place à son amour de la littérature. Dans La Chanson de Maglia, il évoque Victor Hugo, et dans La Chanson de Prévert, il chante le grand poète français. Ce titre sera immédiatement repris par de nombreux artistes dont Mouloudji ou la Québécoise Pauline Julien. C’est à cette époque, que Gainsbourg passe pour la première fois sur la scène du music-hall parisien l’Olympia, d’abord comme invité de Jacques Brel, puis de Juliette Gréco. Il fait également quelques tournées en Belgique et en Suisse. La chanteuse Barbara lui propose de faire une série de concerts avec elle, mais devant l’hostilité du public, il renonce. Il ne remontera sur scène qu’en 1979. En 1963, c’est à Londres que Serge Gainsbourg enregistre un 45-tours de quatre titres, parmi lesquels La Javanaise, autre titre légendaire de son répertoire et que Juliette Gréco reprend la même année sur un de ses disques. Visionnaire, Gainsbourg cherche à Londres un son plus moderne que ce qui est produit dans les studios français. Pendant une dizaine d’années, il continuera souvent à travailler outre-Manche.



img41 Dans les cabarets de chansonniers, une revue est un spectacle d’amateurs joué par les membres d’un groupe et mettant en scène les plus marquants d’entre eux.

2 Yé-yé – courant musical qui, au début des années 1960, s’inspirait des rythmes de chansons anglo-saxonnes adaptées en français.

3 Poseur – fat, pédant, snob, maniéré.

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