Je vous salue, ma France
Natacha TWAGUIRAMUNGU
Le Père-Lachaise
Si vous êtes déjà allés à Paris et avez fait le parcours obligé du parfait touriste, si vous avez déjà visité ses incontournables monuments tels que la tour Eiffel, la cathédrale Notre-Dame, les Invalides, le Sacré-Cœur et autres curiosités parisiennes, si vous revenez à Paris, que vous avez du temps libre et qu’il fait beau, consacrez une après-midi au cimetière du Père-Lachaise : je vous assure, il vaut le détour !
Avec ses 43 hectares, c’est le cimetière le plus vaste de Paris. Plus qu’un cimetière, c’est un champ de repos au pays des Disparus et un très grand jardin, planté de quelques 12 000 arbres aux essences rares. Ce lieu mythique est très fréquenté par les touristes et les fervents adorateurs qui viennent pour fleurir une tombe, se recueillir devant un nom illustre, goûter un peu de calme dans ce lieu apaisant.
Cependant il serait simpliste de réduire le Père-Lachaise à un lieu touristique. En effet, cette vaste nécropole est à la fois un jardin pittoresque, une architecture complexe et variée, un haut lieu chargé d’histoire, bref, un endroit tout simplement extraordinaire !
On peut accéder au Père-Lachaise par l’une des 4 entrées situées à proximité des stations de métro suivantes : « Gambetta », « Père-Lachaise » et « Philippe-Auguste ». Nous allons emprunter l’entrée principale à l’Ouest, située entre les stations « Père-Lachaise » et « Philippe-Auguste » en arrivant par la rue du Repos où l’on peut s’arrêter dans le bistro du coin qui porte le nom symbolique de « La Renaissance » et où vous pouvez acheter, pour la modique somme de deux euros, le plan du cimetière. Mais avant de commencer notre promenade dans cet incroyable labyrinthe parmi quelque 900 000 sépultures, il est intéressant d’en apprendre un peu plus sur l’histoire de ce cimetière qui n’en a pas été toujours un.
À l’origine, ce grand parc descendant sur le flanc de la colline était la propriété d’un ménestrel du roi, le sieur Jean d’Avignon. Cette vaste propriété en dehors de la ville s’appelait Champ d’évêque, car l’évêque de Paris y possédait des vignes, des arbres fruitiers et des cultures maraîchères. Les années passèrent et les propriétaires se succédèrent jusqu’au début du 17ème siècle où la propriété passa à la communauté des jésuites qui y installa une maison de retraite et de repos pour les membres de sa congrégation. Parmi les abbés qui fréquentèrent ce lieu paradisiaque, il y en eut un dont l’histoire garda le nom jusqu’à nos jours, nom qui l’associa définitivement à ce lieu. Il s’agit du Révérend Père François d’Aix de la Chaize, confesseur du jeune roi Louis XIV, le futur Roi-Soleil. Ce dernier s’y rendait si fréquemment, que l’endroit fut rebaptisé Mont-Louis et l’on y érigea pour lui un château, un Versailles en miniature, avec une orangeraie, des fontaines et un parc magnifique. Que de visiteurs illustres se pressèrent en ce lieu fantastique ! Des parties de chasse, des fêtes brillantes y étaient organisées. Et c’est le Père-Lachaise en personne qui était l’âme de ces amusements.
Après la mort du Père-Lachaise le Mont-Louis perdit de son prestige. D’ailleurs, peu après, les jésuites, ne pouvant plus s’acquitter des lourdes taxes qui pesaient sur eux, furent expulsés de cette propriété. La valse des propriétaires recommença jusqu’à l’année 1804, l’année où ce terrain fut acquis par le comte Nicolas Frochot pour le compte de la ville de Paris ; c’est alors que ce lieu fut transformé en nécropole, car la place commençait à manquer en ville. D’ailleurs, à la suite de l’arrêté du 2 ventôse de l’an IX (21 février 1801), pour des raisons de salubrité publique, les cimetières devaient être évacués de la cité. Toutefois les Parisiens ne se pressèrent pas pour inhumer leurs proches sur ces hauteurs éloignées de la ville. Alors on y transféra les sépultures collectives et, pour attirer les curieux en ce lieu, les restes supposés de Molière et de La Fontaine, ainsi que les ossements des amants célèbres Héloïse et Abélard. Le calcul se révéla juste : ces tombes attirèrent un flot de curieux, et les jeunes couples romantiques se pressèrent devant les grilles de l’élégante chapelle où l’on peut voir les gisants d’Héloïse et d’Abélard. Cette opération « promotionnelle » s’avéra payante, puisque quelques années plus tard, le Père-Lachaise devint un lieu à la mode, une sorte de Bottin mondain où il fut de bon ton de reposer pour l’éternité. En effet, ce cimetière est de nos jours le lieu où l’on rencontre le plus grand nombre de célébrités au kilomètre carré ! Les familles rivalisèrent entre elles pour construire à leurs chers disparus des monuments plus beaux et plus hauts les uns que les autres, parfois même de vrais maisons à étages !
Mais il ne faut pas croire que ce lieu fut toujours paisible. Loin de là ! Rien que ces deux exemples vous le démontreront. En 1814, quand l’armée Russe investit Paris, les cosaques y bivouaquèrent. C’est tout dire ! Et pendant la Commune de Paris, les Fédérés y campèrent. Ils éventrèrent les tombes et y installèrent leurs dépôts de munitions. Le cimetière se transforma en un champ de bataille et fut le théâtre de sanglants combats où chaque mètre fut farouchement défendu. Finalement les Fédérés perdirent et les survivants furent fusillés sur place par les Versaillais. Le Mur des Fédérés, ce monument funéraire célèbre, se dresse en souvenir de cet effroyable massacre, de façon que bien de gens n’associent le Père-Lachaise qu’à ce triste évènement. Pour beaucoup, ce lieu devint à jamais synonyme de la Commune et de la Semaine Sanglante, ce qui est pour le moins abusif. Ne faudrait-il pas plutôt prendre le Père-Lachaise comme un musée de l’art funéraire en plein air, avec ses chapelles, caveaux, monuments funéraires, sculptures et gisants (le gisant – (ici) la sculpture du défunt sur sa tombe le représentant en position couchée).
Suivons donc l’allée principale qui monte vers le Monuments aux Morts, réalisé par le sculpteur Bartholomé en 1895. Après son achèvement, ce chef-d’œuvre resta quelque temps voilé pour ménager la pudeur des visiteurs qui auraient pu être choqués par la nudité des personnages y figurant. Au centre de ce vaste ensemble se trouve la porte de la Mort par laquelle on voit pénétrer un homme et une femme. Ils se tiennent bien droit et n’ont pas l’air d’avoir peur. De part et d’autre de la porte, sont regroupés ceux qui se préparent à entrer dans le Royaume de la Mort. Les personnages à droite, massés derrière l’homme, confiants, prient en attendant leur tour de passer. Et à gauche, les mécréants se lamentent.
Dans l’allée qui mène au Monument aux Mort on peut admirer, sur la gauche, les tombes de Rossini et de Musset. Le poète avait demandé qu’on plantât sur sa tombe un saule, mais le sol à l’endroit où il repose n’étant pas adapté à cette espèce d’arbre, le saule de Musset est bien rachitique. Néanmoins, il est régulièrement remplacé par les soins du service d’entretien du cimetière.
Par les marches d’un escalier assez raide nous atteignons l’allée transversale où dans la division 25 se trouvent les tombes des « doyens » de ce cimetière : Molière et La Fontaine. Elles sont entourées d’une grille commune et sont abondamment fleuries. On peut dire que l’illustre dramaturge et comédien et le célèbre fabuliste se trouvent en bonne compagnie, puisque d’autres écrivains et gens de théâtre ont leurs sépultures non loin de là : Beaumarchais, Béranger, Anne de Noailles, Benjamin Constant, les comédiens Talma, Mademoiselle Georges et Sarah Bernardt. En se promenant dans les étroits chemins du vieux cimetière, on rencontre les grands noms de la littérature française : Honoré de Balzac, Gérard de Nerval, Alphonse Daudet, Marcel Proust, Colette, Paul Éluard… Sur la tombe de Guillaume Apollinaire se dresse une stèle de granit. Sur sa pierre tombale nous pouvons lire un de ses poèmes et un calligramme en cœur, aujourd’hui presque illisible : « Mon cœur pareil à une flamme renversée ».
Les tombeaux des musiciens célèbres sont également nombreux ici. Il serait trop long de les énumérer tous, nommons seulement Chopin, Bizet, Poulenc. C’est la tombe de Chopin qui est la plus visitée et fleurie en permanence. Oui, ce compositeur et pianiste hors pair repose en France, alors que son cœur se trouve à Varsovie, dans l’un des piliers de l’église Sainte-Croix. Les Polonais en visite à Paris ne manquent pas de venir se recueillir sur sa tombe. Est-ce que ce sont eux qui « empruntent » régulièrement les doigts et les orteils de la Muse en marbre blanc qui orne le tombeau ? En guise de souvenir peut-être ?
Il faut remarquer que certaines tombes sont plus visitées par les touristes que d’autres. Il n’est pas rare de rencontrer dans les allées des gens qui vous demandent comment trouver la tombe d’Oscar Wilde, de Jim Morrison ou d’Allan Kardec, le grand maître de la philosophie spirite, qui a réputation d’exaucer les vœux. Le monument funéraire en marbre qui représente Oscar Wilde sous la forme d’un ange est tout couvert de baisers de ses adoratrices qui prennent soin auparavant de farder généreusement leurs lèvres. Et sur la tombe de Jim Morrison, célèbre chanteur de rock américain, mort d’une overdose en France, les jeunes fans jouent de la guitare, boivent de l’alcool et même, pour les plus audacieux, fument de la marijuana.
Dans la division 44, sur le chemin vers le columbarium, se trouve la tombe d’Yves Montand (Ah, les feuilles mortes…) et de son épouse, l’actrice Simone Signoret. Près de leur tombe, un bouleau, comme un clin d’œil à leurs opinions de gauche et à leurs amitiés avec la Russie. L’incomparable Édith Piaf repose assez loin d’eux, vers le Mur des Fédérés, mais il me semble qu’ils communiquent dans l’au-delà.
Quant aux beaux-arts, les peintres ici présents appartiennent à toutes les écoles : David, Ingres, Géricault, Delacroix, Pissarro, Seurat, Modigliani…. On pourrait en constituer tout un musée. Et bien sûr, des Hommes politiques, depuis Thiers jusqu’à Maurice Thorez, en passant par Félix Faure, président de la République française de 1895 à 1899, qui contribua fortement au renforcement de l’alliance franco-russe.
Tout en haut, la 87ème division est occupée par le columbarium (le crématorium) où les urnes, scellées dans les niches à colombes renferment les cendres de la diva Maria Callas, de la célèbre danseuse Isadora Duncan, de l’artiste d’origine allemande Max Ernst, de l’écrivain Georges Perec et du « père » Nestor Makhno, pour ne citer que ceux-ci. Le crématorium avec son dôme doré se dresse en hauteur et est bien visible de loin. Il se présente sur deux niveaux en sous-sol, là où se déroulent les cérémonies funéraires, et des galeries supérieures ouvertes qui contiennent les urnes. Dans le hall d’entrée le sculpteur Paul Landowski réalisa une impressionnante statue où la Vie, personnifiée par une femme agenouillée, tient dans ses bras une humble mortelle.
Il faudrait remarquer que le Père-Lachaise est un cimetière civil qui accueille les dépouilles des gens sans discrimination de race ni de religion. Bien que la majorité des tombes portent des noms catholiques, on y rencontre également des musulmans, des juifs et des Asiatiques. Autrefois, deux divisions étaient attribuées aux Israélites et une aux musulmans mais, de nos jours, dans la partie nouvelle de la nécropole, les tombes sont confondues. N’est-ce pas une preuve d’égalité ? Et les libres penseurs et athées peuvent être incinérés et trouver leur place au columbarium. D’ailleurs, on ne voit nulle église dans l’enceinte du cimetière. Tout le monde est égal devant la mort.
Une allée circulaire bordée par le jardin du Souvenir entoure la nécropole. Suivons-la pour redescendre. En nous dirigeant vers le Mur des Fédérés, nous nous inclinons au passage à la mémoire des victimes du nazisme, assassinées ou péries dans les camps de concentration et les chambres à gaz des camps de Buchenwald, Dachau et Aushwitch-Birkenau. Les monuments funéraires érigés en leur souvenir bouleversent par leur tragique beauté.
Les étrangers morts pour la France à différentes époques de son histoire mouvementée ne sont pas oubliés non plus. Une allée qui monte sur la gauche vers le columbarium leur est dédiée. Nous pouvons y admirer les monuments aux Espagnols morts pour la liberté, aux Italiens Garibaldiens, aux Arméniens de l’armée française, aux soldats belges, tchécoslovaques et aux volontaires hellènes.
En se promenant dans ce labyrinthe du pays des Disparus, aucun visiteur ne peut rester indifférent à la beauté du site et à l’atmosphère unique qui règne dans ce lieu. On marche en méditant l’épitaphe gravée sur la sépulture d’Alain Kardec :
Naître, mourir, renaître encore
Et progresser toujours !
Telle est la loi.